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CONVERSATION GRAMMATICALE…

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Semaine de la langue française
du 18 au 26 mars 2000
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CONVERSATION GRAMMATICALE…

C’était un frileux petit
matin d’octobre, vers les 8 heures et demi. Le mari et le fils partis courageusement
accomplir au loin leurs tâches quotidiennes, je savoure le confort du foyer familial. Je
regarde d’un œil la cafetière qui fume, hésite et finalement décide qu’un autre
café m’aiderait certainement à faire un plongeon dans cette journée nouvelle. Armée du
récipient au liquide odorant, je m’en vais sans attendre m’installer devant ce
merveilleux outil qui, bien qu’il soit sans malice aucune, fait encore bien souvent un peu
peur à certains. Pour ma part, je l’avoue dès la première rencontre, entre lui et moi,
ce fut un coup de foudre. Quel merveilleux engin ! Disponible, conciliant, qui se rit des
erreurs et vous les répare en un tour de main. Que dis-je, en un tour de main ? Pour
être plus précise, il conviendrait de dire en jouant juste de quelques touches. Je
m’apprête à pousser le bouton, magique interrupteur, qui donne vie à l’appareil et
lumière à l’écran, active sa mémoire et la met en éveil, quand, soudain, un murmure
attire mon attention. D’où vient-il ? Je reste silencieuse afin de déceler d’où vient
ce bruit étrange. On dirait quelque chose comme une conversation.

Avant de continuer ce modeste récit, il faut que je vous dise que mon compagnon de
vie, un jour où son humeur était à la bricole, eut la géniale idée d’installer une
large étagère près de l’ordinateur. Ainsi, j’ai tout loisir de garder à portée de la
main les indispensables ouvrages de référence ainsi que les divers et nombreux
dictionnaires. Bien en vue, dans un ordre impeccable et facile d’accès, trône Maître
Larousse. Il est en compagnie de l’imposant Robert et de l’indispensable Multi pour toutes
les difficultés de la langue française. Il y a là aussi un rigide Collins anglais en
habit de carton bleu marine. Et puis, au bout de la rangée, un petit livre sans
prétention aucune et dont la couverture laisse à penser qu’il est d’un âge vénérable.
Maurice Grévisse, Précis de Grammaire française. Faut-il dire Grévisse ou encore
Grevisse ? Je ne l’ai jamais su. Comme la religieuse qui nous enseignait disait, parlant
de lui : "Mes enfants, veuillez prendre votre grammaire Grevisse", je
m’obstinais à croire, par esprit de pure contradiction, qu’elle se trompait, qu’il
convenait de dire Grévisse. Car bien évidemment, à cette époque lointaine, l’accent
posé sur les majuscules était chose inconnue. Grevisse ou Grévisse, peu importe
vraiment, il n’y a pas là quelque chose d’important et digne qu’on s’y attarde, mais je
persiste à croire, que c’était moi qui avais raison…

Sur la page blanche qui suit la couverture, une écriture d’enfant malhabile y a tracé
à l’encre ces mots : "Marybé, Pensionnat des Dames du Sacré-Cœur, troisième
année". Cette grammaire est bien à moi, j’en suis propriétaire. Quelle belle
fidélité ! Imaginez un peu depuis toutes ces années ! Elle m’a suivie partout. Et
même, quand en juillet soixante-dix nous prîmes mon compagnon et moi la grande décision
de laisser derrière nous le vieux monde et de sauter par-dessus l’océan afin de
découvrir cette grande province aux allures si attirantes, je n’ai pas oublié de lui
trouver une place confortable au sein de mes valises. Hors de question d’abandonner un
témoin important d’une enfance studieuse qui peina bien souvent pour apprendre ses
règles.

Et c’est avec surprise que je découvre que le murmure étrange qui m’avait intriguée
provient d’entre ses pages.

Indiscrétion peut-être ? … Mais je veux écouter…

Voici ce que j’entends clairement énoncer : l’article défini dit à son demi-frère,
l’article indéfini :
"Y avez-vous pensé mon cher, l’importance que nous avons vous et moi, car c’est bien
grâce à nous que le nom peut savoir de quel genre il est. Et aussi de quel nombre.
Féminin, masculin, pluriel ou singulier, ce sont des choses qu’il se doit de
savoir."Le nom, qui vient d’entendre cette remarque, acquiesce et se permet alors la
réflexion suivante : "Oui mes chers, vous m’êtes très précieux. Peu importe
d’ailleurs que je sois nom commun, nom propre, nom simple ou composé, vous m’êtes, chers
articles, des repères précieux. Mais il ne faudrait pas pour autant oublier le rôle
primordial joué par l’adjectif. Car il est, lui aussi, un précieux additif puisque il me
qualifie et puis me détermine et c’est bien important." Nullement jaloux, les
articles en chœur approuvent sans condition. Et voilà que le verbe, jusqu’alors
silencieux, entre dans le feu de la conversation. Il se jette dans l’action. Ce n’est pas
étonnant car l’action est souvent du verbe la principale fonction, bien qu’il arrive
cependant que, des fois, il marque l’existence ou encore l’état. De natures diverses, il
peut être auxiliaire, pronominal, parfois impersonnel. Peu importe qui qu’il soit, ce qui
est certain et irréfutable, point de phrase sans verbe, point de proposition. Il peut
donc se vanter d’être indispensable. Présente, la grande famille des pronoms dans lequel
on retrouve les personnels, les possessifs, les démonstratifs, les relatifs, sans oublier
bien sûr les interrogatifs et les indéfinis. Certains se risquent à leur tour
d’émettre une opinion. "Tout cela est bien beau, disent-ils, mais y avez-vous
pensé. Nous sommes quant à nous dignes représentants du nom et même d’un adjectif,
d’une idée ou encore d’une proposition. Ce point, il nous semble, se doit d’être
souligné".Vous avez entièrement raison, dirent en chœur tous les autres
éléments de la phrase. Vous êtes, vous aussi, vraiment indispensables. Dans un coin,
taciturnes ou songeurs, je ne sais pas vraiment, je vois la gamme des mots que l’on dit
invariables. Comme ils ne varient pas, ils sont imperturbables. L’adverbe en tête, puis
la préposition, la conjonction ensuite et en tout dernier lieu, se trouve l’interjection.
Finalement, celle-ci, devant le mutisme des autres, se permet enfin de dire quelque chose
: "Juste ciel ! Croyiez-vous vraiment nous reléguer à part ? Holà, sachez que nous
sommes, nous aussi, indispensables. L’auriez-vous oublié ? "Silence dans
l’assistance, une telle omission est, à tout le moins, vraiment impardonnable. Alors le
verbe, en sa qualité de maître incontestable de la phrase, prend la parole et,
s’adressant à tous, dit les mots que voici : "Vous tous ici présents, peu
importe qui vous êtes, articles, noms ou pronoms, adjectifs, adverbes, prépositions ou
encore, conjonctions, peu importe votre rôle ou vos attributions, vous êtes, pour la
qualité du discours comme pour celle de l’écriture aussi indispensables que l’air et
l’eau pure le sont à la nature. C’est de la bonne entente que naît l’harmonie. Ne vous
jalousez point, mais bien au contraire, créez et tissez entre vous des liens amicaux et
solides. Unis et en accord, vous formerez des phrases dont la qualité, la clarté, la
précision rendront soit le discours, ou encore, la lecture agréable. Chacun d’entre nous
est soumis à des règles, à des principes à suivre et c’est dans la grammaire qu’ils se
trouvent consignés".Le discours du verbe me semble plein de sagesse. La grammaire,
c’est un fait, est un outil précieux dont on ne peut, même si on le voulait, prétendre
se passer. Le Larousse, qui comme ses confrères avait suivi toute la conversation, avec
des trémolos dans la voix énonça ce qui suit : "J’éprouve quelques inquiétudes,
dit-il, concernant notre avenir à tous. Depuis plusieurs années, on parle de nous
remplacer par un média nouveau, plus moderne, plus d’actualité. Qu’en est-il vraiment ?
Que deviendrons-nous ? "Cette interrogation semble m’être destinée. Alors je le
rassure. "Si pour l’instant lui dis-je, et depuis des années vous vous êtes
trouvés couchés sur des pages de papier, bientôt, c’est évident, pour être plus
conformes à l’esprit du moment, vous vous retrouverez logés sur un support nouveau,
appelé cédérom. Mais il n’y a pas là matière à s’inquiéter. Au contraire, plus
faciles d’emploi, et plus polyvalents, plus séduisants aussi, grammaires et dictionnaires
sous cette forme nouvelle seront, à mon avis, par un grand nombre de personnes encore
plus souvent consultés. L’avenir est à ceux qui lui font confiance et qui se font devoir
de contrer les petites habitudes, la routine souvent sécurisante, mais qui, dans bien des
cas, freine l’évolution". Mais voilà que soudain je pense à mon petit bouquin,
Précis de grammaire française, fidèle compagnon depuis ma tendre enfance. Si un jour,
je devais le voir remplacé par un fameux CD, je sais qu’il restera l’unique,
l’irremplaçable. Il ne périra point. Il sera de la liste des objets à léguer.
Qu’adviendra-t-il de lui quand j’aurai disparu ? Je me plais à penser que dans ma
descendance, il se trouvera quelqu’un qui lui accordera parfois une œillade
bienveillante ; qui délicatement, le feuilletant d’une main, prendra garde d’abîmer plus
avant sa couverture déjà si défraîchie. Alors avec sur les lèvres l’ombre d’un
sourire, peut-être un peu moqueur, se parlant à lui-même, dira "Ainsi, c’est donc
sous cette forme-là que se présentaient les règles de grammaire autrefois, jadis, au
temps de ma grand-mère".

Marybé
http://www.geocities.com/marybe1

Marybe43@yahoo.fr


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