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UN LIEN POUR NOUS UNIR : LA LANGUE FRANÇAISE

Allocution de Marie-Hélène Poirier, animatrice de Tournée d’Amérique, prononcée au déjeuner-causerie d’Impératif français tenu pour souligner la Semaine internationale de la Francophonie, édition 1998.

UN LIEN POUR NOUS UNIR : LA LANGUE FRANÇAISE

Marie-Hélène Poirier, journaliste

L’émission que j’anime à la radio de Radio-Canada, Tournée d’Amérique, m’offre la grande joie d’unir chaque semaine des voix francophones d’un océan à l’autre et, souvent, d’au-delà les océans puisque la radio permet une telle souplesse dans la communication.  (…)

Moi qui fais depuis trente ans de la radio en français, je ne vous cacherai pas mon émotion et mon enthousiasme quand je découvre aux quatre coins de la planète LA personne qui me donnera une entrevue dans la langue de Molière.  Et je me dis que Molière serait bien fier d’entendre parler français depuis le Pôle Sud ou depuis le Pôle Nord quand Bernard Voyer décide d’y porter ses pas.  Ça a moins bien marché pour l’Everest; mais ça, c’est la montagne qui l’a décidé.

Qu’il y ait, tendus autour du globe, de multiples liens pour unir les francophones, c’est une réalité et une source de fierté.  Mais nous savons tous – surtout nous, Canadiens – à quel point la force d’attraction de l’Anglais – de l’Américain, devrait-on dire – peut effilocher ces liens et qu’il arrive même que là où le lien devrait être le plus fort, dans la famille, l’enfant désapprenne la langue de sa mère.

Deux mots (m-o-t-s) pour lutter contre ce mal qui nous guette tous : la Passion et l’Appropriation.

Nous participons à un petit-déjeuner, la table est mise, …j’aurais le goût de vous proposer une allégorie alimentaire.  De la même façon que vous vous demandez régulièrement « Ai-je pris ma vitamine C ce matin, mon jus d’orange ou mon demi-pamplemousse ? », pourquoi ne nous demandons-nous pas également « Ai-je enrichi mon vocabulaire aujourd’hui » (titre d’une chronique du Reader’s Digest), « Ai-je utilisé un mot nouveau ? »  « Quand ai-je ouvert le dictionnaire, la dernière fois, pour vérifier le sens d’un mot ou pour lui trouver un synonyme plus riche, plus précis ? »

De la même façon que nous nous forçons pour manger plus de brocolis ou d’épinards, de la même façon que nous écoutons les spécialistes de la diététique quand ils nous disent de varier le contenu de notre assiette, pourquoi ne nous efforçons-nous pas de nommer proprement chaque objet ?  S’il est question de mobilier, pouvons-nous distinguer la commode du bureau, le buffet du vaisselier, de la desserte ou de la console ?    Une étagère, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’une tablette, qu’une bibliothèque ou qu’une armoire.  Un banc et un tabouret sont sans doute cousins, mais pas frères jumeaux.  Restons dans la maison !  Si vous préparez un rôti ce soir et que vous voulez l’attacher …avec une corde, pourquoi n’essayez-vous donc pas de prendre de la ficelle à la place ?  Votre rôti s’attendrira d’une si délicate attention.

Au menu : nous approprier les mots les plus variés, les plus colorés, les plus riches, les plus fantasques, les plus sincères.  Ma grand-mère – qui avait beaucoup de talent comme couturière – était aussi une cruciverbiste passionnée.  Avec quelle adresse ne faisait-elle pas éclore, à partir de définitions plutôt linéaires, des mots qui avaient l’insigne qualité d’entrer précisément dans le nombre de carrés prévus tout exprès pour les recevoir !  Grand-mère Joséphine, qui dormait seule, n’avait qu’une seule lecture de chevet : le dictionnaire.  Elle en était folle de son Larousse.  Imaginez si elle avait connu le Petit Robert (…il n’existait pas encore, …trop jeune pour elle).

Loin de moi l’idée de défendre la norme.  Comme journaliste, je ne suis ni grammairienne, ni linguiste.  Et je suis loin d’avoir « la science infuse », comme on dit.  Cependant, dans mon métier, l’outil principal est le mot et cela m’impose d’employer le plus précis afin d’obtenir le maximum de clarté dans la communication.  Or la communication est un acte d’amour.  C’est le mathématicien français, philosophe à ses heures, Michel Serres qui a déjà dit de la communication qu’elle était un acte érotique.  L’enseignant, le journaliste, le conférencier doit séduire s’il veut se faire comprendre.  Alors mettez ça bout à bout : érotisme, passion et variété (…du vocabulaire, bien entendu) et je crois que nous voilà équipés pour veiller tard !

Vous savez, on dit que dans l’amour, c’est comme dans les auberges espagnoles d’il y a quelques années : on y trouve ce qu’on y apporte.  La langue française, un lien qui nous unit, c’est vrai de Conakry à Tananarive et de Chicoutimi à La Fayette.  Mais ne tenons rien pour acquis : comme les baleines dans le golfe du Saint-Laurent et comme les arbres centenaires de la forêt amazonienne, des cultures et des langues disparaissent elles aussi.  Si nous voulons que le lien demeure entre nous et le reste du monde, il nous faut entretenir nos connaissances linguistiques, les développer, faire faire de la gymnastique à nos mots et à notre langue.

Je vous propose – à coups de vitamines, de dictionnaires, de désir, de passion – de nous entraîner …comme si chacun d’entre nous devait participer, en personne, aux Jeux de la Francophonie qui vont se dérouler dans la région Hull-Ottawa en 2001.  L’entraînement commence aujourd’hui même.  Nous allons devenir, vous et moi, de vrais athlètes de la langue !

Marie-Hélène Poirier, animatrice de Tournée d’Amérique

CBOF 90,7 FM

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