LA FÊTE
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LA FêTE |
(Allocution faite à Aylmer, le mardi 30 mai à 10 h)
La première chose qui me vient en tête ce matin – et vous
comprendrez du coup le surprenant costume que je porte – cest de vous raconter une
histoire qui se passe au XVIIIe siècle.
Pendant quau loin, en France, François Marie Arouet faisait le
bonheur ou le malheur de certaines bourgeoises ou prenait lair avec quelque
primesautiè re marquise, au son des musiques de lharmonieux et brillant Lully, non
loin dici, dans ce qui allait devenir le parc des Cèdres, lun des plus
magnifiques sites du territoire de lOutaouais, il y avait aussi un mouvement de
va-et-vient, où, cette fois, la musique ne rejoignait pas seulement lagréable,
mais encore encourageait l utile.
Un spectateur attentif aurait pu entendre, parmi les cris nasillards
des sarcelles et lappel langoureux du huard, une histoire damour peu ordinaire
chantée sur la rivière par des hommes vêtus comme moi dune chemise rouge,
dune tuque en laine, de mitasses, cest-à- dire de jambières, de souliers de
chevreuil, dune bourse aux couleurs voyantes appelée aussi sac à feu, où ils
jetaient non seulement leur pipe, leur briquet et leur tabac mais aussi tout leur coeur.
Dans cette histoire, chantée par nos valeureux voyageurs, il est
question dun homme qui vient voir sa fiancée, laquelle a appris quil partait
pour la guerre. Il la trouve éplorée. Il lui dit la vérité, lui demande même de venir
le reconduire jusquau pied du rocher, où là, dans un grand moment de partage, il
lui avoue quil lépousera si la guerre le ramène. La jeune fille
sappelait Françoise.
Depuis des siècles, Françoise est sur les lèvres des jeunes hommes
qui remontent lOutaouais dans leurs grands canots de maître. Car layant tant
trouvé seulette « sur son lit qui pleurait, Maluron lurette », ils ont décidé de la
prendre avec eux jusquaux Grands Lacs, en sorte de toujours lavoir bien en
bouche. On appelait ces voyageurs les « galériens chantants », non seulement parce
quils ramaient dix-huit heures par jour en remontant les courants, mais encore parce
quils transportaient dans leur musique les airs les plus chauds et le nom le plus
doux.
Ils ont porté à travers lAmérique la belle langue française.
Ils ne se vautraient pas, chaque soir, dans lédredon comme François Marie Arouet,
dit Voltaire, lhomme des « quelques arpents de neige », mais sur un lit de
branches de cèdre coupées sur le rivage de la Grande Rivière. à leur façon, ils
avaient le sens de la fête. Ces hommes des canots géants chantaient la liberté au
rythme des saisons de leurs chairs.
La morale de cette histoire : il ny a pas de plus belles noces
que celles de langue et du coeur. Notre fête nationale, cest aussi ce moment où
nous devons dun seul coeur chanter aux sarcelles et aux cèdres de notre pays une
belle histoire damour :
Cest la belle Françoise, élongué! Cest la belle Françoise Qui veut sy marier, Maluron,lurette, Qui veut sy marier, Maluron, luré. |
Stéphane-Albert Boulais, écrivain
Coprésident ambassadeur
LOutaouais en fête – la Fête nationale du Québec
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