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Manifestation au Québec contre la loi sur la laïcité
Manifestation au Québec contre la loi sur la laïcité
David Himbert / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Propos recueillis par Rachel Binhas

L’article suivant est Publié le 01/12/2020 à 15:02 dans Marianne 

Au Québec aussi, la défense de la laïcité créé des tensions. Tout comme celle de la langue française face à une anglicisation progressive. Impliqué dans ces deux dossiers, le ministre de la justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, répond aux questions de Marianne.

Le Québec, tel le dernier village gaulois, résiste au multiculturalisme. L’année dernière, les Québécois adoptaient la loi 21 sur la laïcité interdisant le port de signe religieux aux fonctionnaires en position d’autorité : juges, enseignants ou policiers. Tout en garantissant les droits acquis : ceux qui portaient déjà un signe religieux peuvent continuer à le faire. Une loi vivement critiquée par le Premier ministre Justin Trudeau, et aujourd’hui attaquée en justice par des associations au nom de la discrimination, voire de la ségrégation qu’instaurerait la loi.

Autre sujet de friction : ces dernières semaines, des enquêtes ont révélé l’anglicisation progressive au Québec et notamment à Montréal, et ce, en dépit de la loi 101 censée faire du français l’unique langue officielle de la province.

Deux dossiers qui concernent ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette. Ce jeune homme de 33 ans est en effet à l’origine de la loi 21 et il entend aussi remettre la défense et la promotion du français au cœur de la vie collective. Entretien.

Marianne : La loi 21 sur la laïcité, que vous avez fait voter il y a un an, est actuellement devant le tribunal à Montréal. Êtes-vous surpris ?

Simon Jolin-Barrette : Du tout, les contestations judiciaires de cette loi étaient écrites dans le ciel ! Les débats s’organisent autour de la remise en question, au sein de la loi 21, de la clause dérogatoire (laquelle protège une loi contre les contestations judiciaires qui seraient fondées sur certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés N.D.L.R.). Cette clause permet de nous assurer que ce sont les élus de la nation québécoise et non les tribunaux qui choisissent la manière dont les rapports entre l’État et les religions s’organisent. La loi 21 est modérée ; le fait que l’État québécois soit laïc n’entrave pas les droits et les libertés des individus.

“Les Québécois attendaient un texte sur la laïcité depuis une dizaine d’années.”

La sécularisation du Québec et la laïcité appartiennent à un long processus débuté dans les années 1800. En Amérique du Nord, cette spécificité autour de la laïcité et de la langue française doit être protégée. Le rôle de l’État est donc de s’assurer que la nation québécoise puisse évoluer selon ses propres paramètres. Une chose est sûre, le gouvernement québécois, par le biais du procureur général, en l’occurrence moi, va défendre la loi lors de toutes les procédures judiciaires, et jusqu’à la Cour Suprême s’il le faut. C’est une loi voulue par la nation québécoise, qui fait état des spécificités du Québec et qui est rattachée à son Histoire.

L’enjeu qu’est la place du français au Québec semble moins mobiliser que la loi 21, au moment du projet de loi. Comment l’expliquer ?

En ce qui concerne la laïcité, les Québécois attendaient un texte depuis une dizaine d’années, mais les gouvernements successifs ne s’étaient pas emparés du sujet. Au moment du projet de loi, il y avait donc un fort consensus social au Québec sur ce que devait constituer la laïcité de l’État. Pour ce qui est du français, la population québécoise a vraiment pris acte cet automne du déclin du français au Québec et en particulier à Montréal. Ce déclin s’est installé il y a près de 15 ans. Le gouvernement précédent, libéral, négligeait cette situation et balayait le tout sous le tapis.

À la suite de la publication d’enquêtes ces dernières semaines, on a constaté une forte demande de la population pour que le gouvernement agisse. J’ai annoncé la semaine dernière que j’allais déposer un projet de loi à la prochaine session parlementaire pour actualiser la Charte de la langue française (la loi 101), pour la moderniser, la renforcer de façon à ce que les droits fondamentaux des Québécois, d’être servis d’être informés et de pouvoir travailler en français, soient respectés.

Le Canada s’est appuyé sur la constitution de 1982 avec la Charte des droits – laquelle fait du multiculturalisme une doctrine officielle de l’État canadien – pour restreindre la portée de la loi 101. Cette dernière, avec les assouplissements successifs qu’elle a connus, est-elle encore efficace ?

Pas autant qu’elle devrait l’être disons, voilà pourquoi je vais la renforcer. Aujourd’hui, les Québécois ne sont pas toujours servis en français dans les commerces. Il arrive que l’on exige une autre langue que le français pour au moment de l’embauche ou pour obtenir une promotion au sein d’une entreprise alors même que cette dernière ne fait pas affaire avec l’étranger. Ce n’est pas normal. Les Québécois ont le droit, dès leur naissance et jusqu’à leur décès, de vivre en français au Québec, sans avoir à utiliser une autre langue. Le Québec est né français et il le demeurera. Je vais m’assurer que nous ne serons pas la première génération qui fera reculer la langue française au Québec. Il s’agit aussi d’intégrer en français les personnes migrantes, ce qui, hélas, n’est pas toujours le cas actuellement.

Le gouvernement actuel québécois est formé par un parti qui se présente comme une coalition (la Coalition Avenir Québec.) Le Premier ministre François Legault apparaît comme un homme du compromis. Dans quelle mesure les « mesures coercitives » que vous appelez de vos vœux pour protéger le français sont-elles partagées par le reste du gouvernement ?

Le gouvernement est tout à fait solidaire des mesures que nous allons mettre en place, il ne parle que d’une seule voix. Nous sommes une coalition, mais ce qui nous unit véritablement c’est l’amour de la langue française. Dans un gouvernement nationaliste comme le nôtre, il est important de s’assurer que les Québécois, qui sont titulaires de droits collectifs, puissent les faire respecter et que l’on puisse vivre en français au Québec. Le gouvernement fera bloc derrière le projet de loi pour garantir ces droits.

Justin Trudeau menace d’attaquer vos lois d’affirmation identitaire. Craignez-vous des contestations au niveau fédéral ?

Nous avons des valeurs culturelles distinctes de celles du Canada, et nous comptons nous assurer, à travers notre corpus législatif, que la façon dont on vit au Québec et l’identité québécoise soient respectées. Nous agissons à l’intérieur du champ de nos compétences, du droit et de la Constitution. Le gouvernement fédéral serait mal avisé de contester la loi sur la laïcité, ou une réforme de la loi 101.

À la suite de la décapitation de Samuel Paty et des publications des caricatures, Justin Trudeau a déclaré que la liberté d’expression devait être limitée. François Legault a exprimé son profond désaccord avec le Premier ministre canadien. Quel regard portez-vous sur ces réactions bien distinctes ?

Permettez-moi de rappeler que nous sommes de tout cœur avec le peuple français à la suite du terrible événement qui a touché Monsieur Samuel Paty. Ce qui s’est produit est totalement inacceptable et, pour nous, il ne fait aucun doute que la liberté d’expression doit toujours primer dans nos démocraties, sans compromis. Il est fondamental de protéger la liberté de parole et d’enseignement. Le Premier ministre du Québec a exprimé sa solidarité à l’égard du peuple français. Il est déplorable que le Premier ministre du Canada ne l’ait pas fait.

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P.-S. Cet article nous a été transmis par M. Paul Morissette, correspondant d’Impératif français

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