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Notre cause incarne celle de la diversité du monde

Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté

C’est un grand bonheur, et surtout un grand honneur, que vous me faites en me remettant le prix Prestige Impératif français. Car la cause que vous défendez n’en est pas une parmi d’autres. C’est celle de notre existence nationale. C’est la cause qui traverse notre histoire depuis deux siècles et demi. Elle se résume d’une question simple: y aura-t-il encore demain un peuple de langue et de culture françaises en Amérique? Notre grande aventure, qui a plus de quatre siècles, se poursuivra-t-elle, ou finira-t-elle par se dissoudre, comme si la formidable exception que nous incarnons en Amérique arrivait malheureusement à son terme?

Nous le savons, à chaque génération, on trouve dans la vie publique des démissionnaires pour nous faire croire que la bataille est vaine. Lorsqu’ils sont rusés, ils cherchent à nous convaincre qu’elle est gagnée, et pour de bon, en plus de cela. Dans tous les cas, ils nous invitent à passer à autre chose, à ne plus nous battre pour le français, puisque la bataille ne serait plus nécessaire. Chaque fois que j’entends cela, je bondis de colère. Il faut un mélange d’illusions idéologiques et de paresse intellectuelle pour croire que la bataille pour le français est gagnée. On se sent peut-être moderne en l’affirmant. Mais dans ce cas, il s’agit d’une modernité trompeuse.

Le combat pour le français prend plusieurs visages aujourd’hui. Il faut lutter pour une métropole francophone. Il faut lutter pour la francisation des immigrants, ce qui n’est évidemment possible que si nous en recevons selon nos capacités d’intégration, ce qui n’est pas le cas en ce moment. Il faut aussi lutter plus largement pour une revitalisation de notre identité culturelle, par exemple en redonnant vie à notre conscience historique, car la bataille pour le français s’inscrit dans une quête plus profonde, à travers laquelle nous investissons tout notre être, car c’est lui qui est en jeu. Contrairement à ce que disent les égarés, rien n’est plus essentiel que l’affirmation identitaire d’un peuple.

Qu’on me permette d’ajouter une chose, qui n’est plus très à la mode, mais qui me semble essentielle : le combat pour une nation de langue et de culture françaises ne sera véritablement remporté que le jour où nous parviendrons, après bien des efforts, à faire du Québec ce qu’il doit être, c’est-à-dire un pays indépendant, assumant pleinement son identité, assumant pleinement son enracinement, aussi, et parvenant pour cela à se projeter dans le monde à ses propres conditions, sans se renier. On peut bien militer pour le français sans militer pour l’indépendance, mais au fond de moi-même, je suis convaincu que les deux combats sont absolument liés. Je ne veux pas me prendre pour un autre, mais qu’on me permette néanmoins de dire aujourd’hui comme on a déjà dit il y a quelques décennies: notre État français, nous l’aurons.

Je vous remercie encore une fois, chers amis, pour la remise de ce prix, et vous assure d’une chose: c’est que ce combat pour le français, je ne cesserai jamais de le mener, et je sais que vous non plus, vous ne cesserez pas. André Belleau aimait dire que nous n’avons pas besoin de parler français mais que nous avons besoin du français pour parler. À travers lui, c’est notre génie propre qui s’exprime alors que sans lui, nous sommes condamnés à une forme de mutilation culturelle et spirituelle, où nous deviendrons une pâle copie sans intérêt de ce qui se fait ailleurs sur ce continent.

Sans la langue française, sans la civilisation à laquelle elle nous rattache, sans la littérature à laquelle elle nous donne accès, nous serons condamnés à une forme de médiocrité existentielle. Mais si nous assumons qui nous sommes, délivrés enfin de la tentation de la mort qui nous hante depuis trop longtemps, et qui nous pousse à voir notre culture non pas comme un trésor, mais comme un fardeau, et pire, comme un ghetto dont il faudrait sortir, nous serons en position de poursuivre notre histoire, et d’enfin remporter la plus grande des batailles. Je crois en notre vocation spéciale en Amérique, et je me plais à croire que dans la grande quête de notre époque, qui est celle de la préservation de la diversité mondiale, notre cause est exemplaire, et même inspirante pour ceux qui la suivent. Et nous l’emporterons!

Mathieu Bock-Côté
Prix Prestige Impératif français 2018-2019

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