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À QUAND 8 MILLIONS DE FRANCOPHONES AU CANADA?

À quand 8 millions de francophones au Canada?

Michel Paillé, démographe

En 2006, on a recensé dans tout le Canada un peu moins de 6,7 millions de francophones (d’après la «langue parlée le plus souvent à la maison», premier lieu de transmission aux enfants). En comparaison aux 6,5 millions de francophones recensés cinq ans plus tôt, il s’agissait alors d’une croissance démographique de 2,4%1.

Est-ce suffisant pour assurer «la permanence du fait français au Canada», pour reprendre les mots de la gouverneure générale du Canada prononcés à Larochelle au début de mai 2008, mots que nous tournons vers l’avenir?

Constatons d’abord que la population du Canada a augmenté de 5,4% durant la même période. Important pays d’immigration, le Canada doit l’essentiel de sa dynamique démographique récente aux «allophones» (personnes dont la langue n’est ni le français ni l’anglais) dont les effectifs ont grossi de près de 20% entre 2001 et 2006. Quant à la majorité anglophone du Canada, sa croissance a été de 4,1% en cinq ans, ce qui est beaucoup mieux que celle de la minorité d’expression française.

De ces constats, il s’ensuit que le poids relatif des francophones dans l’ensemble de la population du pays a continué à régresser, glissant de 22,0% à 21,4% en cinq ans. De plus, les francophones se sont davantage concentrés au Québec, passant de 90,4% en 2001 à 91,0% en 2006.

Puissance des tendances lourdes

Mais que réservent les prochaines décennies? Pourrait-on espérer dénombrer, dans un avenir plus ou moins rapproché, 7 millions de francophones, voire 8 millions?

Publiées en mars 2008 par l’Office québécois de la langue française, les dernières projections de Marc Termote basées sur les langues parlées à la maison en 2001, éclairent l’avenir de la francophonie canadienne2. Nous retiendrons l’essentiel de cet exercice prospectif qui, curieusement, a beaucoup fait parler de lui avant sa publication!

Comme il est coutume de procéder dans le domaine des projections démographiques, Termote a d’abord élaboré un «scénario de référence» basé sur des hypothèses relativement stables sur la croissance naturelle (mortalité, fécondité) ainsi que sur des tendances touchant les migrations, incluant celles entre le Québec et le reste du Canada.

Ce premier scénario conduit à 7,01 millions de francophones en 2016, et à 7,16 millions en 2026. Bien que l’on pourrait apprécier dépasser bientôt 7 millions de personnes parlant le français, il faut cependant noter que le rythme ralentira. Par exemple, entre 2021 et 2026, la croissance des francophones ne serait plus que de 1%, contre 4,4% pour l’ensemble du Canada. Tant et si bien que durant les 25 années qui suivront (2026-2051), le mouvement à la hausse s’inversera, ramenant ainsi le population francophone à un peu moins de 7 millions en 2051.

En conséquence, on ne s’étonnera pas que 20% seulement de la population canadienne parlera le français au foyer en 2016, pas plus que des 18,7% en 2026. Quant au prolongement des projections jusqu’en 2051, il conduit à un maigre 15,9%.

Et pourtant, tous les francophones du Québec sont pris en compte. Hélas, ce ne sera pas suffisant pour empêcher le recul démographique du Canada d’expression française, même si l’importance du Québec en son sein devait atteindre 93% en 2051.

Ne pourrait-on pas rêver un peu?

Par-delà ce scénario de référence, Marc Termote en a élaboré quelques autres, l’un d’eux étant qualifié «d’un remarquable optimisme» (scénario D1). Optimiste en effet, car il suppose notamment une immigration internationale de 55 mille personnes par année à partir de 2006-2011, et un indice de fécondité en hausse atteignant d’abord 1,65 enfant, et s’y maintenant après 2011.

Dans l’ensemble du Canada, on atteindrait presque 7,5 millions de francophones en 2026 en vertu du scénario le plus optimiste relativement aux francophones. Mieux encore, la hausse des effectifs se poursuivrait au cours des lustres suivants, soit jusqu’à 7,9 millions en 2051. Malgré cela, ce serait insuffisant pour maintenir la part des francophones au-dessus de 20% de la population canadienne. Au contraire, ils compteraient pour moins de 17% de la population du pays en 2051, dont 94,5% résideraient au Québec (proportion attribuable, en partie, à l’hypothèse d’un solde migratoire positif du Québec avec le reste du Canada).

À la lumière des tendances récemment observées au Québec, d’aucuns pourraient estimer qu’un tel scénario est déjà en voie de réalisation. N’a-t-on pas fait état d’une hausse de la fécondité qui a porté l’indice à 1,62 enfant en 2006? Le gouvernement du Québec n’a-t-il pas déjà haussé nos objectifs d’immigration internationale jusqu’à 55 mille nouveaux venus en 2010?

Le fait que ces observations récentes collent assez bien aux hypothèses du scénario le plus optimiste de Termote ne lui donne pas pour autant une forte probabilité de réalisation. Car le plus difficile à soutenir se trouve dans le maintien de toutes les hypothèses sur une période de 40 ans.

Dans le cas particulier de l’immigration, accueillir 55 mille immigrants en 2010, comme ce fut le cas en 1957, relève encore du possible même si l’objectif minimal pour 2007 n’a pas été atteint3. Mais espérer autant jusqu’en 2051 – tout en sachant que les cycles économiques devraient obliger à des périodes de recul qu’il faudrait ensuite rattraper –, représente un défi de taille, dans un contexte où le Québec fera face à une dure concurrence venant de sociétés en manque de main-d’œuvre tout autant que lui.

Viser 55 mille immigrants par année pour les 4 prochaines décennies signifie une augmentation de 85% en comparaison à la moyenne des 40 dernières années, soit 30 mille (avec des creux de 15 ou 20 mille et des sommets de 45 à 50 mille immigrants). Quant à la fécondité, un indice égal à 1,65 enfant demeure chétif, car il resterait tout de même à 20% en dessous du seuil de remplacement des générations pendant 40 années additionnelles.

Nous pouvons donc conclure que le Canada devrait recenser, dans un avenir rapproché, un peu plus de 7 millions de francophones, plateau qu’il pourrait avoir de la difficulté à maintenir. Quant à un objectif de 8 millions, les conditions pour l’atteindre dans plus de 40 ans ne pourraient être remplies que très difficilement. Parmi ces conditions, l’adoption du français par les immigrants non-francophones à destination du Québec fait problème. En effet, Marc Termote a volontairement pipé les dés «en faveur du français» dans ses scénarios.

En somme, à moins d’un changement profond et soutenu des tendances lourdes qui caractérisent notre démographie depuis longtemps, nous pensons que le Canada ne dénombrera pas 8 millions de francophones d’ici la fin du présent siècle. Il pourrait même ne jamais compter autant de personnes d’expression française dans toute son histoire.


  1. Statistique Canada, recensements de 2001 et 2006.
  2. Marc Termote, Nouvelles perspectives démolinguistiques du Québec et de la région de Montréal, 2001-2051, Québec, OQLF, collection : « Suivi de la situation linguistique » (étude 8), 6 mars 2008, 146 p.
  3. On visait entre 45 500 et 48 000 immigrants. Nous avons accueilli 45 221 immigrants, soit 3,3% en deçà de l’objectif médian visé.

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