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MANIFESTE « POUR UN QUÉBEC LUCIDE »

Alors que notre avenir est menacé par le déclin
démographique et la concurrence mondiale, le Québec ne peut se permettre d’être
la république du statu quo.

Nous sommes inquiets. Inquiets pour le Québec que nous aimons. Inquiets pour
notre peuple qui a survécu contre vents et marées, mais qui ne semble pas
conscient des écueils qui menacent aujourd’hui son avenir.

Depuis 50 ans, l’économie du Québec a connu un essor sans précédent :

  • en 1961, le revenu annuel moyen des Québécois francophones équivalait aux
    deux tiers seulement de celui des Québécois anglophones; aujourd’hui on est
    tout près de la parité de revenu entre les deux groupes linguistiques;
     
  • l’époque, un jeune Québécois de 25 ans avait fréquenté l’école pendant 9
    ans, contre 11 ans pour un jeune Ontarien; aujourd’hui, le jeune Québécois a
    fait 15 ans de scolarité, autant que l’Ontarien;
     
  • au chapitre du taux de chômage, à l’heure où nous écrivons, l’Ontario ne
    devance plus le Québec que par 1,4 point (6,8 % vs 8,2 %), alors que l’écart
    atteignait presque 5 points aussi récemment qu’en 1989.

Par rapport au reste du Canada, le Québec du dernier demi-siècle a donc
accompli un rattrapage spectaculaire. Nous avons raison d’être fiers de ce
progrès, réalisé grâce à un modèle de société qui, somme toute, a bien
fonctionné. Cependant, nous ferions une grave erreur en nous satisfaisant de
cette performance. D’abord parce qu’il reste du chemin à faire. Ensuite parce
que c’est à l’aune du continent et à celle du monde qu’il faut aujourd’hui se
mesurer. Or, dès que l’on adopte ce point de vue plus large, on constate que le
retard économique du Québec est loin d’avoir été comblé. Au plan du niveau de
vie, notamment, le Québec fait encore partie des 25 % les moins riches parmi les
provinces et états d’Amérique du Nord. Au plan financier, le gouvernement du
Québec fait figure d’un lourd albatros qui ne parvient pas à prendre son envol,
notre dette publique par habitant étant la plus élevée du continent.

à cette constatation que l’économie du Québec a encore bien des croûtes à
manger s’ajoutent deux menaces de première importance pour notre avenir. D’une
part, le Québec s’apprête à vivre le déclin démographique le plus rapide de tous
les pays industrialisés à l’exception du Japon. D’autre part, comme toutes les
autres régions de l’Occident, il subit déjà une concurrence féroce de la part
des pays asiatiques, au premier chef de la Chine et de l’Inde.

Rêver en couleurs

Nous ne doutons pas que le Québec ait les ressources pour combler son retard
économique sur le reste du continent, assainir ses finances publiques, gérer
convenablement son ralentissement démographique et affronter avec succès le défi
asiatique. Nous sommes également convaincus qu’il n’est pas du tout nécessaire
de jeter notre modèle de société à la poubelle pour faire face à ces défis.
Seulement, le monde a changé et il nous faut nous adapter aux nouvelles
réalités. Refuser de le faire, ce serait comme s’entêter à taper ses lettres à
la dactylo sous prétexte que c’est avec celle-ci qu’on a appris à écrire.

Encore faut-il que nous ayons, au préalable, la lucidité de
reconnaître l’envergure des obstacles à surmonter et des défis à relever. Que
nous évitions de blâmer les autres pour nos propres problèmes et prenions nos
responsabilités
en faisant, individuellement et collectivement, les choix
qui s’imposent. Et que nous ne ménagions aucun effort pour faire du Québec un
lieu inégalé de liberté intellectuelle et économique afin d’ouvrir les
vannes de l’énergie, de l’originalité et de la créativité.

Nous ne sommes pas les premiers à tenter d’alerter nos concitoyens.
Malheureusement, la plupart des Québécois continuent de nier ou d’ignorer le
danger. D’où notre profonde inquiétude.

Ceux qui nient le danger sont aveuglés par le vent de prospérité qui souffle
sur le Québec depuis quelques années. Il est vrai que nous ne sommes pas au
milieu d’une grave récession comme en 1982 ou en 1992. C’est la particularité de
la situation actuelle : le danger ne se présente pas sous forme de précipice,
mais de longue pente descendante. Au premier coup d’oeil, il ne semble pas y
avoir de risque. Mais une fois amorcée, la glissade sera inexorable.

D’autres sont prêts à reconnaître certains des problèmes que nous venons
d’identifier – notre relative faiblesse économique en Amérique du Nord, notre
endettement public, notre déclin démographique, le défi asiatique. Mais ils
croient et tentent de faire croire à la population qu’il existe des solutions
faciles à ces problèmes, par exemple "régler le déséquilibre fiscal". Nous
convenons que ce déséquilibre existe et qu’il faut rétablir la situation au plus
tôt. Mais cela n’aidera à résoudre partiellement qu’un seul des problèmes
mentionnés, celui des finances publiques du Québec. Penser autrement, c’est
rêver en couleurs ou ne pas savoir compter. Autre solution mise de l’avant : la
souveraineté du Québec. Certains membres de notre groupe sont favorables à la
souveraineté, d’autres pensent que l’avenir du Québec sera mieux assuré au sein
du Canada. Les uns estiment leur option préférable à celle des autres mais nous
avons tous la certitude que quel que soit le choix des Québécois, les défis qui
confrontent le Québec resteront entiers.

Un contexte nouveau

Quels devraient être les objectifs des Québécois pour les prochaines
décennies? Les mêmes que depuis toujours. Un : le Québec doit continuer à se
développer, économiquement et socialement, afin d’assurer le mieux-être de ses
citoyens. Deux : le Québec doit demeurer une société distincte, capable de faire
rayonner une langue et une culture françaises modernes en Amérique. En raison du
contexte nouveau auquel nous sommes confrontés, ces deux objectifs seront encore
plus difficiles à atteindre au cours des prochaines décennies que lors du
dernier siècle. Les recettes du passé n’y suffiront pas.

Selon les projections de l’Institut de la statistique du Québec, le Québec
comptera 7,8 millions en 2050, à peine 300 000 personnes de plus qu’aujourd’hui.
Aussi tôt qu’en 2012, il y a aura de moins en moins de gens en âge de
travailler, de moins en moins de jeunes et de plus en plus de personnes âgées.
Cela voudra dire un peuple moins dynamique, moins créatif, et moins productif.
Pendant que le Québec subira ce freinage démographique, la population du reste
de l’Amérique augmentera à un rythme rapide, de sorte que dans 40 ans, les 7,8
millions de Québécois seront entourés par près de 1,2 milliard de personnes,
parlant pour la plupart anglais et/ou espagnol. Ce ralentissement démographique
se produit au pire moment qui soit, à une époque où les pays occidentaux sont
appelés à faire face à une concurrence inédite venant des pays asiatiques, tout
particulièrement les géants chinois et indien. L’entrée de plus d’un milliard de
nouveaux travailleurs dans le circuit de l’économie mondiale a commencé il y a
15 ans avec l’essor économique de la Chine et des autres "tigres" asiatiques.
Elle va continuer à interpeller nos forces vives pendant plusieurs décennies à
venir.

Depuis 2000, la production manufacturière a augmenté de 50 % en Asie, tandis
qu’elle a stagné au Canada. Au cours des deux dernières années, le niveau
d’emploi dans l’industrie québécoise de fabrication de vêtement a baissé de 40
%. La concurrence asiatique ne se fait pas sentir seulement sur les emplois à
petit salaire; l’impartition en Inde fait la vie dure à nos emplois hautement
spécialisés dans des créneaux comme les services informatiques. Dans 10, 20 ans,
que fabriquerons-nous, nous, Québécois, mieux que les Chinois et les Indiens?
Quels seront nos avantages comparatifs? Nos niches d’excellence?

Un Québec en perte de vitesse

Loin d’être abstraites et lointaines, les conséquences du déclin
démographique commencent à se faire sentir; on n’a qu’à penser à l’augmentation
rapide des dépenses de santé, que nos gouvernements n’arrivent pas à juguler et
qui est en partie attribuable au vieillissement de la population. On sait aussi
que l’économie québécoise croît moins rapidement que celle des provinces et
états voisins; or, la faiblesse de notre démographie est l’une des causes de cet
essoufflement. Ce frein va peser de plus en plus au cours des prochaines années,
au point que la croissance réelle du PIB du Québec sera réduite de moitié dès la
prochaine décennie. L’impact sur la situation financière du gouvernement sera
évidemment dramatique : d’une part, la hausse des dépenses de santé va continuer
de s’accélérer parce que la population âgée sera de plus en plus nombreuse;
d’autre part, l’augmentation des revenus va s’affaiblir parce que le nombre de
travailleurs payant des impôts ira en diminuant.

Notre faiblesse démographique ne produira pas que des effets économiques. On
peut craindre en effet qu’elle nous entraîne dans un cercle vicieux qui aura des
impacts sociaux et culturels importants. Après être devenu, au cours des
dernières décennies, une exceptionnelle terre d’accueil, un Québec plus âgé et
moins dynamique aura de plus en plus de mal à attirer des immigrants. Le déclin
démographique s’en trouvera aggravé, accentuant d’autant la menace pesant sur la
vitalité de nos institutions culturelles. Le poids du français en Amérique, déjà
minuscule, diminuera encore.

Il n’y a pas de recettes simples et indolores à la décroissance
démographique, à la concurrence mondiale accrue, ni aux conséquences
économiques, sociales et culturelles de ces phénomènes. Mais une chose est sûre
: les solutions reposent sur la lucidité, la responsabilité et la liberté.
Si les Québécois veulent préserver leur niveau de vie, s’ils veulent continuer
de vivre dans une société francophone dynamique, s’ils veulent donner à leur
culture et à leur élan créateur les moyens de s’épanouir pleinement et de
rayonner le plus largement possible dans le monde, ils doivent contrer les
effets de cette décroissance démographique et affronter cette concurrence
mondiale. à moins d’un renversement aussi soudain qu’improbable de la natalité,
seul un dynamisme exceptionnel permettra au Québec de tenir sa place sur le
continent.

Le refus du changement

Malheureusement, au moment précis où nous devons opérer un changement radical
de notre façon de nous voir et de voir le monde qui nous entoure, la moindre
évolution dans le fonctionnement de l’état, le moindre projet audacieux, le
moindre appel à la responsabilité, la moindre modification dans nos confortables
habitudes de vie sont accueillis par une levée de boucliers, une fin de
non-recevoir, au mieux par l’indifférence. Cette espèce de refus global du
changement fait mal au Québec parce qu’il risque de le transformer en république
du statu quo, en fossile du 20e siècle.

à l’heure actuelle, le discours social québécois est dominé par des groupes
de pression de toutes sortes, dont les grands syndicats, qui ont monopolisé le
label "progressiste" pour mieux s’opposer aux changements qu’impose la nouvelle
donne. Le syndicalisme peut être une force positive et responsable; il l’a
maintes fois prouvé dans sa promotion des valeurs de partage, de justice sociale
et de démocratie. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par certains leaders
syndicaux, particulièrement dans le secteur public, l’action syndicale ne se
limite-t-elle pas trop souvent à une protection à courte vue des intérêts de ses
membres? Pour que la concertation que suppose notre modèle soit productive, il
faut qu’il y ait des constats communs, un dialogue véritable, une prise en
charge collective des responsabilités. Faut-il comprendre de la réaction des
représentants syndicaux au rapport du Comité Ménard sur la pérennité des
services de santé que cette concertation sera de plus en plus difficile? Nous
souhaitons que cette réaction soit conjoncturelle, liée aux négociations en
cours dans le secteur public, et n’exprime pas une culture plus profonde. En
effet, il ne faudrait pas que le syndicalisme québécois s’éloigne du modèle
responsable et coopératif qui l’a caractérisé au cours des deux dernières
décennies. Tous se souviennent de l’ouverture et du leadership manifestés par
les dirigeants syndicaux lorsque, d’un commun accord avec le monde des affaires
et l’ensemble de la classe politique, ils ont donné en 1996 un appui
indéfectible à l’atteinte du déficit zéro. Aujourd’hui comme à cette époque,
tous les Québécois sont interpellés par les mêmes défis. Nous ne parviendrons à
les relever que si nous y travaillons ensemble.

La population québécoise s’accommode de cette situation de blocage parce
qu’elle y trouve son aise. Les Québécois travaillent moins que les autres
Nord-Américains; ils prennent leur retraite plus tôt; ils se paient des
programmes sociaux plus généreux; dans leur vie privée comme collective, ils
s’endettent jusqu’à la limite de leur carte de crédit. Tout cela n’est
qu’humain; nous recherchons tous la vie la plus agréable possible. Mais il faut
aussi être réaliste. D’ici quelques années tout au plus, nos rêves – en fait,
pas les nôtres, mais ceux de nos enfants – seront brutalement interrompus par
des coups sur la porte : les huissiers!

Lucidité, responsabilité, liberté

Nous prenons la parole dans l’espoir de sortir de la torpeur actuelle avant
qu’il ne soit trop tard. Un gouvernement seul, de quelque parti que ce soit, ne
parviendra pas à vaincre la résistance et l’inertie. Les sonnettes d’alarme
doivent retentir dans tous les milieux : politiciens, intellectuels, leaders
syndicaux, artistes, gens d’affaires, tous ceux qui aiment le Québec et veulent
un avenir prospère pour cet îlot francophone en Amérique doivent prendre la
parole. à tous ceux-là, nous lançons un appel à la lucidité, à la
responsabilité, à la liberté.

La lucidité exige que nous arrêtions de nous bercer d’illusions. Le
Québec est une société privilégiée, mais notre prospérité est menacée. En
continuant d’écouter ceux qui nous disent que tout va bien, qui nous offrent des
solutions à courte portée, nous nous destinons à un recul que nous ne
parviendrons bientôt plus à freiner. Le temps viendra, beaucoup plus rapidement
qu’on le pense, où nous serons trop peu nombreux, pas assez riches et trop
engoncés dans nos vieilles façons de penser pour assumer la solidarité sociale
qui nous est si chère, et pour promouvoir la culture sans laquelle nous ne
sommes plus Québécois.

La responsabilité exige que nous mettions tous l’épaule à la roue.
Chaque individu, chaque groupe, chaque leader doit abandonner le premier réflexe
qui est celui de tous, en particulier dans le Québec d’aujourd’hui : protéger
ses intérêts et faire appel à l’intervention du gouvernement. Au contraire,
chacun doit se demander ce qu’il peut faire, dans son domaine et comme citoyen,
afin de donner au Québec le souffle dont il aura besoin pour surmonter les défis
de l’avenir.

La liberté suppose d’abord et avant tout qu’il soit possible de
remettre en cause le statu quo sans être immédiatement convoqué devant le
tribunal d’inquisition du consensus québécois. Autrement dit, la liberté
commence par celle de penser et de dire autre chose que ce qui se pense et se
dit depuis 40 ans. La liberté suppose le respect de ceux qui osent, qui sortent
des sentiers battus, qui risquent. Elle requiert aussi – c’est un corollaire
essentiel – le respect de ceux qui réussissent, plutôt que l’envie, les procès
d’intention et la suspicion.

Les Québécois ont mis des années à se sortir de la Grande Noirceur et à
rattraper le retard que leur avaient imposé le repli sur soi et un attachement
démesuré à la tradition. Voilà que les mêmes travers nous guettent. Ne laissons
pas glisser à nouveau sur le Québec l’ombre du passéisme.

Quelles solutions?

Notre objectif est avant tout de sensibiliser les Québécois aux défis qui se
présentent à eux. Nous n’avons pas de programme à vendre; nous importe davantage
le changement d’attitudes qu’exigent les problèmes auxquels nous sommes
confrontés.

Nos discussions ont tout de même fait ressortir quelques pistes qu’il
faudrait explorer d’urgence. La liste est évidemment loin d’être exhaustive. Le
problème démographique est d’une ampleur et d’une complexité si grandes qu’il ne
peut y avoir de solution miracle. Nous savons, toutefois, que ce problème
pourrait être fortement aggravé par une immigration en déclin et une émigration
en hausse. C’est ce qui pourrait arriver si le Québec ne connaît pas dans un
avenir rapproché un développement exceptionnel.

Les idées que nous mettons de l’avant ici visent précisément à accélérer le
rythme de développement du Québec. à cet égard, quelques priorités nous semblent
s’imposer d’elles-mêmes tellement la marge de manoeuvre du Québec est étroite.
C’est le cas de l’allégement du fardeau de la dette publique. à l’heure
actuelle, le gouvernement du Québec consacre 16 % de ses dépenses au service de
la dette, une part beaucoup plus importante que celle que supportent les autres
gouvernements provinciaux. Seize pour cent, c’est 7 milliards par année,
l’équivalent du budget de 12 des 21 ministères de l’état québécois. Si l’on ne
parvient pas à diminuer ce fardeau, la précarité financière du gouvernement
s’aggravera brusquement dès que les taux d’intérêt augmenteront. L’arithmétique
est incontournable : avec une dette de 120 milliards, chaque augmentation d’un
point des taux ajoutera, à terme, 1,2 milliard au service de la dette. Le
gouvernement se trouvera forcé à réduire d’autant ses dépenses, même dans les
domaines essentiels. Au contraire, si l’état parvient à diminuer sa dette, il
dégagera une marge de manoeuvre lui permettant de rencontrer les dépenses de
santé croissantes provoquées par le vieillissement de la population.

Libéré d’une partie du fardeau de la dette, le gouvernement du Québec
pourrait aussi contribuer à une corvée essentielle pour la prospérité future du
Québec, soit un investissement massif en éducation et en formation. Une
petite nation pourra seulement faire sa marque par la qualité de sa
main-d’oeuvre, par le haut niveau de son développement culturel et scientifique,
par sa créativité. Il est donc fondamental de valoriser ces domaines et d’y
investir la part la plus importante de nos ressources. Notamment, il faut faire
en sorte que le taux de décrochage diminue et que de plus en plus de jeunes
poursuivent leurs études au niveau post-secondaire dans des institutions de haut
calibre.

Le niveau d’investissement requis pour atteindre ces objectifs dépasse les
capacités financières de l’état québécois. C’est pourquoi un esprit de lucidité
et de responsabilité mènera à l’abandon du gel des droits de scolarité,
une politique qui va à l’encontre du bon sens et de toutes les études menées sur
la question. Au cours des dix dernières années, le gel a privé les universités
québécoises de plus de 3 milliards par rapport aux ressources financières dont
elles auraient disposé si les droits avaient augmenté au même rythme qu’ailleurs
au Canada. Conséquence : cette année, les universités du Québec souffrent,
lorsqu’on les compare à celles des autres provinces, d’un manque à gagner annuel
de 375 millions. Les premières victimes de cette situation sont les étudiants
eux-mêmes, menacés d’une détérioration de la qualité de l’enseignement et de la
recherche universitaires.

Le dégel des droits de scolarité devrait s’accompagner de la mise en place d’un
régime de remboursement des prêts étudiants proportionnel au revenu
. Une
fois sur le marché du travail, les jeunes ne seraient tenus de rembourser leurs
dettes d’études qu’en fonction de leurs ressources financières.

Par ailleurs, la mondialisation de l’économie rend essentielle la maîtrise
de plusieurs langues
. Le Québec doit évidemment s’assurer que ses citoyens
parlent et écrivent correctement le français, qui est non seulement notre
héritage et notre langue commune mais reste l’une des principales langues
internationales. L’état doit aussi déployer beaucoup plus d’efforts pour que les
Québécois parlent et écrivent l’anglais, puis une troisième langue. Dans le
monde d’aujourd’hui, on ne peut plus accepter que la majorité des jeunes
Québécois sortant de nos maisons d’enseignement soient incapables de parler et
d’écrire correctement l’anglais. Par sa culture et sa situation géographique, le
Québec jouit d’un environnement particulièrement favorable à l’apprentissage des
langues; il devrait profiter au maximum de cet atout.

Comme les Québécois seront moins nombreux, il leur faudra être plus
productifs. à une main-d’oeuvre de qualité devra donc s’ajouter un
environnement de travail favorisant la performance et l’innovation
. Le
Québec doit accroître ses investissements en recherche et développement dans les
créneaux où il est déjà un leader mondial. Il nous faut aussi être innovateur en
matière d’organisation de travail, même si cela exige la remise en question de
certains acquis. La concurrence mondiale étant ce qu’elle est, il serait
suicidaire de refuser de se défaire des rigidités qui minent notre
compétitivité.

La lucidité devrait aussi nous amener à revoir notre attitude collective en
ce qui a trait aux tarifs d’électricité. Le Québec a la chance de disposer d’une
ressource aussi précieuse que le pétrole. Si l’Alberta parvient à générer des
revenus considérables avec son or noir, pourquoi le Québec se prive-t-il d’une
partie du potentiel financier de son or bleu? La politique tarifaire actuelle
d’Hydro-Québec n’est qu’une des manières dont on peut faire profiter les
Québécois de cette ressource; ce n’est ni la plus productive ni la plus
efficace. Contrairement à une perception répandue, elle profite davantage aux
personnes à revenus élevés (qui auraient les moyens de payer plus) qu’aux
personnes moins aisées (qu’on peut protéger contre les augmentations de tarifs).
Le président du Mouvement Desjardins, M. Alban D’Amours, a déjà proposé que les
tarifs d’électricité soient augmentés et qu’une part déterminée des profits
d’Hydro-Québec soit consacrée au remboursement de la dette du gouvernement du
Québec. Nous endossons cette proposition, en précisant qu’à notre avis, la
hausse des tarifs d’électricité
devrait être à la fois substantielle et
progressive.

Dans le cadre du débat que nous souhaitons, d’autres avenues mériteraient
d’être explorées, par exemple, une réforme majeure de la taxation. Les
pays qui investissent beaucoup dans les programmes sociaux privilégient
généralement les taxes sur la consommation plutôt que celles sur le revenu. Le
Québec fait exactement l’inverse. Cela a pour effet de rendre le travail moins
attrayant et d’encourager plutôt les contribuables à privilégier leurs loisirs.
Modifier le dosage des taxes pourrait augmenter l’offre de travail et de
capital, deux éléments essentiels à la croissance. Contrairement à une idée
reçue, taxer la consommation ne signifie pas nécessairement se tourner vers un
régime fiscal moins progressif; il y a toutes sortes de manières de taxer la
consommation de façon progressive et ainsi d’encourager le travail et l’épargne.

Le Québec pourrait aussi envisager la création d’un régime de Revenu
minimum garanti
. Ce régime prendrait la forme d’un transfert direct à chaque
citoyen et se substituerait à plusieurs des programmes de redistribution
existants, notamment les faibles tarifs d’électricité et le gel des droits de
scolarité évoqués plus haut. Un tel système aurait l’avantage de réduire la
lourdeur bureaucratique qu’entraîne l’administration de programmes multiples et
complexes. Le modèle québécois est fondé sur un idéal de solidarité que nous
partageons avec conviction; nous sommes aussi convaincus que pour qu’elle se
réalise concrètement, cette solidarité doit être efficace.

La fin de l’intolérance et de la méfiance

D’autres que nous ont fait des propositions de ce genre dans les dernières
années. On s’est empressé de les clouer au pilori, de monter contre eux des
procès d’intention sans jamais prendre la peine d’étudier objectivement leurs
idées. Cette attitude d’intolérance doit être abandonnée si l’on veut que
le Québec soit en mesure de continuer à prospérer, tout en préservant, voire en
améliorant le filet de sécurité sociale qui est la marque d’une société
solidaire.

Il faudrait aussi se défaire de la méfiance malsaine qui s’est développée
dans certains milieux à l’égard du secteur privé. La naissance d’une telle
attitude est assez paradoxale. Pendant des années, on a déploré le fait que
l’économie du Québec soit contrôlée par des gens d’affaires de langue anglaise;
aujourd’hui que les francophones ont pris en main notre économie, on les dénonce
à qui mieux-mieux, jusqu’à soupçonner leurs motifs lorsqu’ils contribuent temps
et argent à la philanthropie. Ce faisant, on se prive encore de ressources
précieuses, en particulier pour le financement des infrastructures. Pourquoi
accuse-t-on les grandes firmes québécoises de tous les maux lorsqu’elles veulent
investir chez nous, par exemple dans un partenariat public-privé, alors qu’on
s’enorgueillit de leurs succès internationaux? Si un pays aussi social-démocrate
que la France a recours au privé pour financer la construction de ses
infrastructures, on voit mal selon quelle logique le Québec se priverait de
faire de même.

Ouvrir la porte au privé dans certains secteurs ne signifie pas
l’abandon du modèle québécois. L’état doit bien sûr conserver son pouvoir
régulateur, et dans certains cas le renforcer – on l’a vu récemment dans le
domaine financier avec l’éclatement de divers scandales. Il s’agit tout
simplement de rechercher un juste milieu afin d’être en mesure de canaliser
toutes nos énergies en faveur de la prospérité de tout le Québec.

Un esprit nouveau

Tous ne seront pas d’accord avec ces pistes de solution. Deux choses
devraient toutefois faire consensus : l’ampleur des défis auxquels notre société
fait face et la nécessité d’en débattre au fond, donc de les aborder avec un
esprit nouveau. Les défis des années 1960 exigeaient une révolution tranquille
non seulement de nos institutions, mais aussi de notre façon de voir les choses,
de notre culture; il en est de même aujourd’hui. Cet esprit nouveau sera
lucide
, responsable, et libre. Il accueillera avec ouverture
les idées originales, plutôt que d’excommunier sur le champ ceux qui les
proposent. Animés de cet esprit nouveau, les Québécois feront face à leurs
problèmes, plutôt que de s’en prendre aux autres et se contenter de
faux-fuyants.

Nous invitons à se manifester tous ceux qui, comme nous, ressentent l’urgence
d’un redressement. Notre démarche aura été inutile si elle ne trouve pas de
larges échos dans la société québécoise. Le silence est confortable, mais le
péril l’interdit. Plus nous serons nombreux à appeler au réveil de nos
concitoyens, plus il y a de chances qu’ils nous entendent. Alors, comme tant
d’autres fois depuis leur arrivée en Amérique, les Québécois prendront leur sort
en main. Et ils réussiront.


Note d’Impératif français :

Il nous fera plaisir de publier vos commentaires sur ce manifeste expédiés à

Imperatif@imperatif-francais.org

(Le 23 octobre 2005)

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