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HISTOIRE D’UNE INTOLÉRANCE

HISTOIRE D’UNE INTOLéRANCE

LUC BEYER DE RYKE
LES LYS DE FLANDRE

Vie et mort des francophones de Flandre (1302-2002)
Combats pour la liberté de l’esprit
FRANCOIS-XAVIER DE GUIBERT

« La vie n’est qu’un étrange et douloureux divorce. Il n’y a pas d’amour
heureux. » Louis ARAGON

Disons-le d’emblée : l’histoire que conte ce livre est celle d’une belle
aventure, qui aurait pu, qui aurait dû, mieux tourner. Elle n’est peut-être,
d’ailleurs, pas entièrement terminée.

Il y eut la Gaule, les invasions germaniques, la cristallisation de ce qu’on
n’appelait pas encore une frontière linguistique. Et puis il y eut les partages,
les apanages, l’émergence du Royaume des Lys face à l’Empire. Cherchant à faire
leur « pré carré », les rois de France se virent longtemps interdire l’accès à
nombre de riches et belles provinces de langue française. Paradoxalement, la
Flandre, majoritairement de langue germanique, resta leur vassale jusqu’à la fin
du Moyen-Age.

Les classes dirigeantes, elles, avaient comme langue de culture le latin,
puis le français, comme dans une grande partie de l’Europe. Il serait erroné d’y
voir là une volonté consciente d’hégémonie : les « Pays-Bas espagnols », puis
autrichiens, furent gouvernés en français.

Le récit commence ici plus tard, avec le XIXème siècle. Après Waterloo,
lorsque l’Angleterre, au moment où elle offrait à la Prusse l’invraisemblable
cadeau que constituait la Rhénanie, voulut créer un Etat tampon, veillant à ce
que la France ne puisse disposer de frontières défendables (ce piège meurtrier
ayant, d’ailleurs, parfaitement fonctionné lors des deux Guerres mondiales), le
pays connut une brève période de néerlandisation forcée. Le domaine linguistique
flamand était alors divisé en dialectes, et la Flandre, piégée ensuite, à partir
de 1830, comme la Wallonie, dans l’Etat belge, connut une fracture autant
sociale que linguistique.

La réaction ne se fit pas attendre. Mais le mouvement flamand, issu du
romantisme germanique, en cultiva les plus douteux aspects, jusqu’à verser dans
une ethnolâtrie échevelée, façon « Blut und Boden ».

Dans cette conception, qui – ô ironie – cherche à imposer D’EN HAUT la
langue, comme autrefois la religion, on passe assez vite du «Cujus regio, ejus
religio » au moderne « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » : rappelons
qu’aujourd’hui, alors que les flamingants possèdent tous les leviers du pouvoir,
l’extrême-droite rassemble le tiers des voix à Anvers ! Il faut donc bien
constater que les francophones, dont les familles le sont parfois depuis des
siècles, ne jouissent pas chez eux des droits les plus élémentaires. Le Conseil
de l’Europe a d’ailleurs récemment pris acte de cette situation, et demandé à la
Belgique d’honorer sa propre signature en reconnaissant à ces « fransquillons »
le statut de minorité. Réponse du gouvernement : « Rien ne changera ! ».On sait
où mène cette conception du droit comme « chiffon de papier ».

Les étapes de cette dépossession, accompagnant inutilement et injustement la
montée du néerlandais comme langue nationale, apparaissent comme autant de
manifestations d’une hargne inquiétante et totalement déplacée.

Ainsi, en 1930, la flamandisation de l’université de Gand fut doublée de
l’interdiction faite à ses professeurs d’enseigner à l’Ecole des Hautes Etudes,
fondation francophone. De même, plus tard, la suppression de la section
française de l’université de Louvain s’accompagna d’une expulsion brutale, à
coups de pierres, aux cris de « Walen buiten ! » (Les Wallons, dehors !). Depuis
lors, bien entendu, « Louvain la Veuve » n’a plus aucun rayonnement
international.

Luc Beyer de Ryke reste d’ailleurs étrangement indulgent face à de tels
débordements, qui n’étaient pas isolés : des coups de règle dans les écoles aux
corps musclés d’inspecteurs linguistiques, le climat aura été jusqu’à nos jours
plutôt pesant.

C’est dans ce contexte que se pose le problème de la « collaboration », que
Jacques Brel résume de façon lapidaire : Nazis pendant les guerres, et
catholiques entre elles. » Le livre passe en effet en revue toute une série de
figures localement célèbres, et dont certaines finirent par rejoindre la Waffen
SS.Ainsi « l’idée bourguignonne » portait en elle-même un redoutable poison ;
nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.

Face à cela, c’est au contraire avec fierté que l’on peut se pencher sur
l’osmose qui se fit, à partir de la fin du XIXème siècle, entre la Flandre et la
culture française. En témoigne le nombre impressionnant d’écrivains qui
choisirent d’illustrer la langue française : de Charles de Coster à Georges
Rodenbach, de Maurice Maeterlinck à Marie Gevers, à Suzanne Lilar et Françoise
Mallet-Joris, la liste est longue, et la floraison n’est pas moindre dans les
autres arts.

Emile Verhaeren, lui, dont tous les petits Français savent quelques vers,
occupe une salle entière du musée Plantin-Moretus à Anvers, où ses ouvres sont
présentées uniquement en néerlandais.De la même façon, on a peine à croire, en
visitant l’hospice Saint-Jean à Bruges, que cette institution n’ait jamais
produit un seul document en français (!)

Tant de mesquinerie pourrait faire sourire, mais la vérité oblige à dire
qu’elle donne plutôt froid dans le dos, et qu’elle mérite une réponse politique.

En réalité, si le témoignage personnel de l’auteur est éloquent et émouvant,
sa lecture de l’Histoire est encore empreinte d’un « belgicanisme » dont l’échec
est cependant patent. La Belgique, petite prison des peuples, ne tient pas
seulement en otages les Flamands francophones, mais également un rameau du
peuple français : les Wallons. Construite sur un mensonge rarement dénoncé
(qu’on se souvienne cependant du mot de Jules Destrée : « Sire, il n’y a pas de
Belges. »), toujours gouvernée contre la France, quoique longtemps en français,
la Belgium d’aujourd’hui, dont la diplomatie s’exprime en anglais, aura
accumulé, jusqu’à la rupture, un impressionnant « déficit démocratique ».

Tiens, mais voilà qui nous rappelle quelque chose ! Au fond, l’ « Europe »
qu’on veut nous imposer est-elle autre chose qu’une grande Belgique au service
de la puissance dominante du moment ?

Il est donc essentiel, car le destin de la France et celui de l’Europe y sont
liés, de regarder de plus près ce que cache ce pays jovial (plutôt dans sa
partie sud), attachant (idem), que l’on ne voit généralement qu’à travers ses
moules-frites, ou des histoires « belges » plus ou moins mal venues. Derrière
l’invisible écriteau « Interdit de penser » se trouve peut-être la clé de tous
nos renoncements. Il nous faudra donc absolument y revenir.

Denis GRIESMAR.
denis.griesmar@wanadoo.fr

(Le texte suivant fut aussi publié dans la revue "Libres" n°1, Edition de
l’Age d’Homme)

(Le 20 avril 2003)


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