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ON CONNAÎT LA CHANSON…?

ON CONNAÎT LA CHANSON…?

à mon ami d’outre-tombe, Claude Rifat

Objet : Ambiance musicale au pavillon Pollack / Desjardins
Lettre ouverte adressée à la direction de l’Université Laval, à Québec (
http://www.ulaval.ca / Rectorat : Rec@Rec.ULaval.ca)

Une version écourtée de ce texte aura été publiée sous le pseudonyme de Louis-émile Gélinas dans les journaux Au Fil des événements (http://www.ulaval.ca/scom/Au.fil.des.evenements/) et Impact Campus (http://www.ulaval.ca/impact/menu/menu.html), éditions de fin août et/ou début septembre 2002.

« N’être pas né, rien que d’y songer, quel bonheur, quelle liberté, quel espace ! »
Cioran, De l’Inconvénient d’être né

Le pavillon Pollack / Desjardins est en quelque sorte, compte tenu des aires de services qu’il offre, l’un des lieux les plus fréquentés de l’Université Laval. Or à chaque fois que j’y mets les pieds, très régulièrement, c’est toujours, sauf rares exceptions, un choix musical anglo-américain que l’on nous ‘injecte’ dans les oreilles. Il est très exceptionnel, en effet, d’y entendre ne fût-ce qu’une seule chanson française (entendez : d’expression française, du Québec ou d’ailleurs en francophonie). Et le cas échéant, comme par surcroît – l’insulte s’ajoutant à l’injure ? -, il s’agira quasi infailliblement d’une pièce de type commercial et, dès lors, sans grand intérêt.

L’Université Laval constitue pour ainsi dire le «sanctuaire du savoir d’expression française en Amérique». Et pourtant, notre propre culture musicale s’y voit balayée comme persona non grata : production irrecevable qui doit être bannie de notre espace public et de nos esprits. à chaque fois que l’on pénètre l’enceinte de ce pavillon central, on se croirait illico à Toronto, Chicago ou San Francisco (ou sinon dans n’importe lequel «Dunkin’ Donuts» ou «Provigo / Loblaws» – voire «Metro» [no accent on «e», please], incidemment la seule chaîne d’alimentation encore [supposément] québécoise… – où visiblement on estime que tous les descendants de Louis Hébert, de Jeanne Mance et de Mémère Bouchard sont des ‘American Teenagers‘…). Bref, nous sommes n’importe où (y compris Paris*) sauf dans la capitale du seul état français d’Amérique du Nord.

La chanson québécoise, et plus largement française, est pourtant en soi un trésor inépuisable au sein duquel ‘sommeillent’ (car à l’UL, c’est bien le cas) les plus beaux textes musicalisés de toute la création chansonnière mondiale. Et ce n’est certes pas ‘chauvinisme’ francien que d’avancer pareille proposition. Simple et banal constat, si je puis dire.

Aussi, en tant que membre de la communauté universitaire, mais également et plus fermement encore à titre de citoyen québécois, je dois ici dire avec vigueur que je me sens agressé jusque dans mon âme par la politique musicale aveugle, commerciale et ignare (n’«existerait» que ce qui est anglo-américain) qui prévaut dans ce bâtiment (et ailleurs sur le campus, dans une bonne mesure [sic], faut-il le rappeler). Et c’est ainsi depuis les tout débuts de l’ouverture de ce pavillon, il y a maintenant plusieurs années.

En outre, et à vol d’oiseau afin d’envisager la situation dans son ensemble (si bien sûr nous nous autorisons un certain recul à titre de citoyens, ou d’hommes simplement «civilisés»), il faut, je crois, s’interroger quant à savoir comment une communauté linguistique et culturelle – une nation tout entière – peut en arriver de la sorte à accepter passivement de s’ignorer, à se bouder littéralement, et à s’exclure par-là même du riche bassin de ses propres oeuvres. Car pareil comportement, il importe de nous l’avouer sans détour dans la glace, relève de la pathologie collective.

La première ‘toune’ anglo-américaine (et dieu sait qu’en la matière le pire avoisine amplement le véritable talent, bien que l’on convienne sans peine que l’anglosaxonnie ait su produire des chansons magnifiques) déloge d’office tous les Vigneault, Félix, Brel, Ferré, Brassens, Ferrat, Ferland, Jacques Michel, Gauthier, Raymond Lévesque, Dor, Léveillée et autres Lelièvre ou Piché réunis (pour ne nommer que quelques-uns des plus grands, en pensant toutefois à maintes quelques-«unes» : de Piaf à Pauline Julien, par Anne Sylvestre, Françoise Hardy, Diane Dufresne ou Juliette Gréco. Pour l’occasion, on me pardonnera certainement sans difficulté de laisser C"e"line aux étatsuniens).

Cela dit, il ne s’agit pas de retourner impérativement ou absolument au passé, mais plutôt de retrouver notre sensibilité face à la beauté et au talent. Or il s’avère, toutes langues confondues par ailleurs, qu’on n’a certes pas fait mieux depuis lesdits nommés à l’instant. C’est un jugement personnel, assurément – tout esthétique qu’il se prétende. Ce sera donc avec bienveillance que je recevrai tout argument capable de le nuancer, sinon de l’invalider. Entre-temps ? Eh bien, désolé ! Sylvain Cossette, éric Lapointe ou Dan(iel?) Bigras, je veux bien ; mais on s’entendra pour estimer que nous sommes alors dans une tout autre pointure. Du sirop de poteau d’Hydro, ce n’est pas du sirop d’érable…

Par ailleurs, argument ô non moins éculé que fallacieux, le temps n’a rien à voir avec la valeur des créations artistiques : on lira Platon et Aristote encore longtemps, on s’émerveillera sans doute de toute éternité devant certains Michel-Ange ou Renoir et on se gonflera d’émotions pour plusieurs siècles encore à l’écoute de Bach, Mozart ou Beethoven. Aussi n’est-ce pas autocolonialisme et assujettissement volontaire, je vous le demande, que d’accorder priorité absolue à tout ce qui a moins de 3, 4 ou 6 mois d’âge – depuis les antennes radio (y compris «Radio-Canada», maintenant devenue, sous la férule de Robert Bob Rabinovitch, «La radio de toutes les cultures» [autre manière très PLC de noyer le poisson minoritaire francophone dans le grand Tout canadian…])** jusqu’à toutes les places publiques possibles – par simple diktat de la Yiouu Esss mode du moment ?

Je le regrette. Mais il faut tout de même admettre qu’un jugement, ça se discute. Un diktat : pas du tout ! Et si – revenons à nos moutons (ah ! quel terme approprié en l’occasion) – on réintroduit le phénomène de l’évacuation massive des oeuvres conçues dans notre propre langue… eh bien, nous sombrons véritablement dans le n’importe quoi. C’est-à-dire Anything, but us – et nommément la chanson solide et de qualité dans la langue de Hugo, de Nelligan, de Yves Beauchemin et de Chateaubriand.

On renie et on rejette en quelque manière nos propres enfants. Et voilà que ‘notre’ Alma mater se fait complice d’un pareil gâchis… Mais qui donc à la fin «décide» en ‘haut lieu’ que l’ensemble des membres de la collectivité de l’Université Laval doive, tel un cheptel humain à la Orwell, subir et souffrir pareil lessivage de l’esprit le jour, la semaine et l’année durant dans le Lieu-Symbole de la connaissance philosophique, littéraire et scientifique française sur cet incontinent plus que massivement anglophone…? (Décidément, de pair avec le plus que douteux «Nabob»-Café de nos cafétérias [fort faible de surcroît], je vais finir par croire à un authentique complot du Federal State, Stéphane Dion en tête, contre l’existence même de l’Université Laval…)

De fait et en dernière analyse, sommes-nous – nous, membres de la communauté universitaire – véritablement des «universitaires» (tous postes et tous grades confondus), ou bien des zombies à qui on peut faire avaler n’importe quelle couleuvre ? Comme si nous avions perdu tout jugement, tout sens critique et peut-être, surtout, tout respect de nous-mêmes en tant que citoyens francophones (dits) cultivés.

Je suis consterné par une telle négation de soi – négation du Nous de ce Peuple français d’Amérique. Et ce, au sein même de cette Institution de haut savoir que tout dans l’Histoire, mais vraiment tout, destinait… à ne jamais voir le jour.

Aspirerions-nous à avaliser, jusqu’à ce qu’extinction s’ensuive, tout en un l’insignifiance, la médiocrité, la commercialité et le mépris de notre propre langue et de notre propre culture ? En clair, sommes-nous (encore) «Quelque chose comme un grand peuple» ou la somme des larves d’une fourmilière qui recherchent avec empressement le Big Foot qui les anéantira définitivement ?

Ah ! Le bonheur de la non-existence. Comme la vie serait plus facile.
ô que voilà un réflexe bien québécois.

Jean-Luc Gouin
Québec, ce 25 août 2002

* Hélas ! Mille fois hélas ! Voir par exemple « French Europa », publié dans la revue L’Action nationale de décembre dernier ( http://www.action-nationale.Qc.ca/ ), ainsi que sur le présent site cybernéen «Impératif français» : EUROPE FRANÇAISE OU DE L’ALIÉNATION COMME VERTU

** Entre autres, lire Jean Larose dans Le Devoir du 22 juin 2002 en : http://www.ledevoir.com/dossiers/265/4137.html . On a en effet, outre Larose, dégommé les Georges Leroux, Stéphane Lépine et autres Gilles Archambault. Tout est désormais en place de manière à procéder à la rockdétentisation du réseau. Insignifiance, inculture, défrancisation (conséquence inéluctable de la multiculturisation) et langue approximative n’avaient pas encore réussi totalement, à ce jour, à tout vampiriser. C’est maintenant chose faite. Radio-Canada a vécu. Et MM. Chrétien, Rabinovitch et Lafrance sont heureux.


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