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ANGLAIS, LANGUE VÉHICULAIRE MONDIALE

ANGLAIS, LANGUE VéHICULAIRE MONDIALE
Rien ne domine s’il n’existe pas avant tout des dominés !!

Dans un discours prononcé à l’occasion d’une rencontre du Club Richelieu
d’Ottawa le 29 novembre 2000, la Commissaire aux langues officielles du
Canada, madame Dyane Adam, déclarait : « Un constat s’impose : du point de
vue linguistique, le Canada est doublement privilégié. L’anglais devient
la langue véhiculaire mondiale, pour reprendre l’expression du président
de la République française, Jacques Chirac, lors d’un colloque qui s’est
tenu récemment à Paris sur le thème de la nouvelle Europe. Mais cette
langue, qui est également la langue plate-forme de l’Internet, est une des
langues officielles du Canada et notre pays est ainsi privilégié à cet
égard.»

Pour faire suite à cette déclaration de Mme Adam dans laquelle elle
choisit de faire siens les propos de M. Chirac à l’effet que l’anglais
devient «la langue véhiculaire mondiale», Impératif français a demandé à
à deux de ses collaborateurs de commenter cette déclaration.

Quelle rhétorique la Francophonie doit-elle utiliser pour contrer ce
courant d’anglicisation universelle que semble accepter de plus en plus
l’humanité, pour ne pas dire auquel elle participe naïvement, le préambule
de la causerie de madame Adam se situant en plein dans cette trajectoire?
Quels arguments pourrions-nous opposer à ce genre d’affirmation à savoir
que l’anglais constitue la langue de communication universelle? La langue
véhiculaire mondiale?

Nous publions ci-après les commentaires que nous avons obtenus de nos deux
correspondants :

Rien ne domine s’il n’existe pas avant tout des dominés !!

Il s’agit d’un argument néocolonial typique. Autrefois, le colonisateur
amenait automatiquement le "progrès". Le néocolonisateur aujourd’hui
nous
amène une langue prétendument universelle, c’est-à-dire l’anglais.
L’Anglo-saxon vient d’inventer la communication internationale ! Ouf !
Nous étions jusqu’alors démunis ! Nous voilà rassurés !

Malheureusement, je n’ironise pas. C’est ainsi que la langue anglaise est
souvent perçue, à la fois par les Anglo-Saxons et par ceux qui veulent
l’apprendre. C’est à partir de cette base de "croyants" que le mythe
se
répand. Ce mythe doit absolument être démonté. Ce n’est rien moins que de
la propagande qui est perçue comme une vérité première.

Beaucoup de francophones pensent que l’usage de l’anglais s’est répandu un
peu par le hasard des circonstances simplement "parce qu’il convient".
Même le sociolinguiste Louis-Jean Calvet affirmait que la diffusion de
l’anglais n’est plus le fait des anglophones. Or, rien n’est plus faux. Il
suffit de se rendre à Expolangues à Paris pour y constater la
surreprésentation de la langue anglaise et de se renseigner sur les
objectifs poursuivis par le "British council" pour se rendre compte
que
les Anglo-Saxons ont, au contraire, une politique linguistique extrêmement
active.

Par définition, l’hégémonie établit que les injustices sont
intériorisées
et donc considérées comme naturelles et légitimes, aussi bien par les
membres du groupe dominant que par ceux du groupe dominé. L’hégémonie
linguistique est de même nature. Elle ne peut exister qu’avec le
consentement mental des dominés. Toute forme d’impérialisme suppose un
type de relation dans lequel un groupe en domine un autre en mettant en
place des mécanismes d’exploitation, de pénétration, de fragmentation et
de marginalisation. Sur le plan linguistique, l’impérialisme introduit des
idéologies, des structures et des pratiques qui sont utilisées pour
légitimer, mettre en oeuvre et reproduire une division inégale du pouvoir
et des ressources. C’est une telle structure hégémonique qui a permis
l’assimilation des habitants de la Nouvelle-France aux Etats-Unis. Je ne
pense pas que le but actuellement recherché à l’extérieur des pays
anglophones soit l’assimilation. Par contre, il s’agit d’une gigantesque
tentative de la part des pays anglo-saxons de se hisser au sommet de la
hiérarchie perçue des nations et de s’y maintenir tant que cette place ne
sera pas contestée et avec tous les avantages que cela représente. Les
abus de la position linguistique des pays anglo-saxons sont évidents:
pillage de la recherche scientifique internationale, désinformation
généralisée dans les domaines scientifiques et techniques, stérilisation
de la créativité chez les "convertis" à l’anglais, main-mise sur
les
brevets ou tentatives très prononcées, détournement des flux financiers
vers les pays anglo-saxons, diffusion du caractère manichéen et souvent
simpliste des idées anglo-saxonnes, ignorance généralisé des connaissances
développées dans d’autres langues, etc…

Il ne peut exister de langue "supérieure" sans que les autres
deviennent
automatiquement inférieures. Le locuteur d’une langue considérée comme
"inférieure" est un infériorisé, dans tout le sens du terme. On le
voit
tous les jours chez les scientifiques qui font des génuflexions devant
leurs homologues anglo-saxons, chez les singes qui nous servent de
dirigeants et qui, naturellement, entérinent presque systématiquement les
desiderata anglo-américains dans les conférences internationales et les
rencontres "au sommet", chez de trop nombreux étudiants en
sciences qui caressent souvent le rêve de faire leur pélerinage en pays
anglophone sous la forme d’un stage ou d’un séjour d’étude. Le groupe
dominé, une fois convaincu, collaborera avec le groupe dominant pour
donner forme à sa vision du monde au détriment des autres. Tous les
accords obtenus par la suite paraitront ainsi comme étant dans l’intérêt
de tous alors qu’ils ne représentent que les intérêts d’une toute petite
partie de la population mondiale.

A l’heure actuelle, les médias forment le "champs de bataille" le
plus
important de l’ère moderne dans l’exercice de toute hégémonie. Ils sont
l’instrument par excellence qui permet d’exercer une influence sur la
société et de créer le consentement. Les couches "culturellement
hégémoniques" qui se développent sont essentiellement celles dont
l’accès
aux médias est assuré. C’est en se donnant les moyens de diffuser notre
pensée que nous arriverons à les contrer. L’ironie est également une arme
redoutable. Il faut l’utiliser. De plus, il ne faut pas hésiter à utiliser
des mots forts, tels que "néocolonialisme". Le choc des mots
surprend,
oblige ainsi à réfléchir.

Il est impératif de se rendre compte que nous ne pouvons rien concéder à
l’anglais sans entamer et affaiblir nos propres positions vis-à-vis du
français ou
de toute autre langue d’ailleurs. Ni le statut de langue scientifique, ni encore
moins le
statut de langue internationale ou universelle, ni le statut de langue
étrangère favorisée.
Au contraire, nous devons sans arrêt souligner les innombrables abus
entraînés par les actions anglo-saxonnes qui veulent conférer à leur
langue le statut de langue dominante.

Rien ne domine s’il n’existe pas avant tout des dominés !!

Charles Durand
Charles.Durand@utbm.fr

Hégémonie culturelle

Officiellement, il n’y a bien entendu aucune langue de communication
"universelle". C’est pourquoi je suis très choqué par cette
affirmation de
la part d’une personnalité politique canadienne. De même, il faudrait
savoir ce qu’on entend par "langue de communication universelle". Cela
signifie-t-il qu’on peut se faire comprendre partout avec cette langue?
Mais qu’en est-il alors si on s’adresse aux centaines de millions de
personnes dans le monde qui n’ont aucune connaissance de la langue de
Shakespeare?

Ce mythe de l’anglais langue "universelle" est bien évidemment
propagé par
les Anglo-Saxons, états-uniens en tête, afin de pouvoir asseoir leur
hégémonie culturelle. Ce n’est certainement pas à des Québécois qu’on va
apprendre cela, eux qui sont en première ligne face au monde anglo-saxon.

L’anglais ne bénéficie en théorie d’aucune supériorité dans les
organisations
internationales. Six langues officielles sont reconnues à l’O.N.U. ainsi
que deux langues de travail officielles : l’anglais et le français. De même,
ces deux langues sont aussi les deux langues de travail privilégiées dans les
institutions européennes.

De plus, rien n’empêche de s’exprimer en espagnol en Argentine ou en
allemand en Allemagne. L’anglais n’est donc en aucun cas langue de
communication "universelle". L’on serait d’ailleurs bien en peine de
démontrer cette affirmation. Où sont les arguments qui étayent cette
dernière?

Grégoire Rostropovitch
Rostropovitch.Gregoire@volila.fr

(Le 5 décembre 2000)


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