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Lettre ouverte au maire d’Ottawa, Jim Watson

Bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa
Jim Watson 2014Monsieur le Maire, vous étiez en faveur du bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa, maintenant vous êtes contre. Pourquoi?
Au tournant du siècle, au moment de la fusion municipale et de la création de la nouvelle ville d’Ottawa, vous vous étiez prononcé en faveur du bilinguisme officiel à Ottawa. Comme bien d’autres personnalités politiques, vous aviez approuvé la recommandation du conseiller spécial du gouvernement de l’Ontario, Glen Shortliffe, voulant que la province de l’Ontario déclare la ville d’Ottawa officiellement bilingue.
Conférencier devant le Regroupement des gens d’affaires de la capitale nationale, le 21 mars 2000, vous aviez souligné l’importance du fait français dans la nouvelle ville d’Ottawa. Profitant de cette tribune, vous aviez réitéré votre déception à l’égard du gouvernement Harris, qui laissait au premier conseil de la nouvelle ville d’Ottawa le soin de la déclarer bilingue s’il le jugeait opportun.
Pourquoi avez-vous changé d’idée? Plusieurs se le demandent et s’en désolent.
Votre élection, en 2003, dans Ottawa Ouest-Nepean ─ circonscription à forte concentration anglophone ─ et votre intervention du 22 février 2005, lors des débats entourant l’adoption du projet de loi 163, expliqueraient-elles votre volte-face?
Voici quelques extraits de votre intervention, en 2005, au sujet dudit projet.

« I want to let the people of my riding of Ottawa West-Nepean and the new city of Ottawa know what this bill does and what it doesn’t do.

« It does not make Ottawa bilingual or impose any type of bilingualism or official bilingualism on the city and people of Ottawa. In fact, Bill 63 does not refer to official bilingualism at all. What this bill does is simply amend the City of Ottawa Act and require that the city have a language policy. The actual language policy is the sole responsibility of the city of Ottawa and its elected council. In other words, a policy is required, but the extent and details of that policy are strictly left with city council.

[…]

« C’était une politique qui respectait un certain nombre de principes, y compris l’assurance que les francophones soient servis dans leur langue. Par exemple, dans les centres communautaires et autres installations municipales dans une région telle que la Côte-de-Sable où il y a une plus forte concentration de francophones, de nombreux membres du personnel étaient capables de communiquer dans les deux langues de notre pays.

« Conversely, in an area like Ottawa West, where there are fewer francophones, the need for fully bilingual staff is not required, but again this is up to city of Ottawa to decide.

[…]

« This bill does not force any kinds of restraints or conditions on the city, but it does respect the wishes of city council.

[…]

«…the specifics and degree of that policy are up to the city, where the responsibility rightfully rests. »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ladite politique ne garantit ni ne protège les services aux francophones. Aucune obligation légale ne s’y rattache. Les francophones demeurent donc à la merci de la (bonne?) volonté des membres du conseil municipal de la Ville. Le seul recours qui s’offre aux francophones est la sempiternelle formulation de plaintes aux résultats souvent mitigés.
Dans la présente campagne électorale, au moins un candidat s’est prononcé en faveur de l’abolition de la politique de bilinguisme et des services en français…pour économiser! D’autres s’opposent, comme vous, à l’adoption du bilinguisme officiel, tandis que quelques-uns se prononcent en faveur. Pour bien d’autres encore, la question les laisse indifférents, ceux-ci n’ayant pas pris la peine de se prononcer.
Cela indique qu’il y a tout lieu de désigner la ville d’Ottawa officiellement bilingue et d’inscrire, dans une loi provinciale, la politique de bilinguisme, y compris l’égalité du français et de l’anglais quant aux droits et privilèges. Cela obligerait la Ville à faire de meilleurs efforts pour garantir des services dans la langue du client-contribuable-et-visiteur. Cela permettrait aussi d’aller de l’avant et d’éviter que la question du bilinguisme officiel refasse surface à chaque élection.
États généraux
Le 18 novembre 2012, dans un discours que vous avez livré au Sommet des États généraux de la francophonie d’Ottawa, vous avez dressé un tableau très (trop?) reluisant de la situation du français à Ottawa. Vous aviez affirmé notamment ceci :

« Je crois que la politique de bilinguisme à la ville fonctionne bien et qu’elle a l’appui du Conseil municipal. De plus, l’obligation d’avoir une politique sur les services en français est enchâssée dans la loi de 1999 sur la Ville d’Ottawa. Donc, le Conseil municipal doit, en vertu de la loi, avoir une politique portant sur les services en français, et cette obligation assure la pérennité de la politique. [….] Le bilinguisme est une valeur ajoutée pour notre région.»

Coquille vide
Vous savez ou devez savoir que le projet de loi 163, Loi de 2005 modifiant la Loi sur la ville d’Ottawa a été, et l’est encore, très mal reçu par la collectivité francophone, celle-ci la considérant comme une coquille vide.
Dans les faits, et je me permets respectueusement de vous corriger, il s’agit de la « politique traitant de l’utilisation du français et de l’anglais » et non de la « politique sur les services en français ». Cette loi provinciale, adoptée à la hâte sans possibilité d’amendements, exige uniquement que la Ville doit avoir une politique sur l’utilisation du français et de l’anglais, sans en préciser la nature ni la portée.
Si, comme vous le dites, l’obligation d’avoir une politique sur les services en français assure la pérennité de la politique, elle n’assure en rien l’épanouissement et la pérennité du français!
Fier francophile
Pourtant, vous êtes très sensibilisé au fait français dans la capitale. Vous êtes de toutes les tribunes, serrant mains, coupant rubans et prononçant discours. « Fier francophile », comme vous vous décrivez, vous n’hésitez pas à participer aux rencontres se déroulant uniquement ou principalement en français. C’est tout à votre honneur et je vous en félicite.
Or, en tant que « fier francophile » ayant une bonne connaissance de la situation du français et de l’histoire des francophones au pays et dans la région de la capitale, comment pouvez-vous toujours vous opposer au bilinguisme officiel alors que vous étiez en faveur dans le passé? Dois-je vous rappeler que la principale revendication des États généraux est justement de faire d’Ottawa une ville officiellement bilingue!
Votre refus obstiné dépasse l’entendement et me désole profondément. Depuis la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, l’adoption de la Loi sur les langues officielles, la Charte canadienne des droits et libertés et le rapatriement de la Constitution, le pays a progressé sur le plan linguistique. Certes, l’assimilation à l’anglais fait toujours son œuvre, mais l’apprentissage du français a connu une augmentation appréciable. La population canadienne est favorable au bilinguisme dans une proportion de plus de 70 %. C’est tout de même révélateur!
Le préambule de plusieurs lois* fait l’éloge de la contribution des francophones à la société canadienne. Ces beaux textes vous disent-ils quelque chose sur la présence et l’apport des francophones à la ville, à la province et au pays?
* Loi de 2010 sur le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes; Loi sur les services en français; Loi de 2001 sur l’emblème franco-ontarien; Loi sur les langues officielles.
La négation du bilinguisme officiel et de la reconnaissance officielle de la dualité linguistique dans la capitale du Canada constitue une insulte à ceux et celles qui favorisent l’apprentissage des deux langues officielles du pays et le rapprochement des groupes linguistiques. Nier le bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa à la veille du 150e anniversaire de la Confédération, c’est faire preuve d’étroitesse d’esprit.
Du courage!
La capitale d’un pays doit être le reflet de celui-ci, une source d’inspiration pour toutes les autres villes et municipalités, bref, un exemple. Le fait d’être le maire de la capitale du Canada est un honneur et un très grand privilège. Le maire d’Ottawa doit agir en tant que rassembleur non seulement des résidents de la ville, mais aussi des citoyens de l’ensemble du pays. Le maire d’une grande capitale du monde doit inspirer la collectivité, doit avoir le courage de se lever au-dessus la mêlée, surtout lorsqu’il s’agit de questions sociales et linguistiques fondamentales.
Malheureusement, vous vous cantonnez jusqu’ici dans le déni, vous limitant à dire que la présente politique de bilinguisme de la Ville « marche ». Il serait plus juste de dire que la politique va clopin-clopant. Cette politique est peut-être belle sur papier, mais son application laisse à désirer. La politique actuelle n’est-elle pas celle que le conseil de l’ancienne ville d’Ottawa avait adoptée à l’unanimité, en 1994? De plus, elle n’a pas beaucoup changé depuis son adoption originale, le 6 octobre 1982. Aurait-elle besoin d’une bonne révision après 32 ans? Qu’en dites-vous?
Canada (dés)uni
Malgré deux référendums (1980 et 1995) à l’occasion desquels les Québécois ont réitéré leur attachement au reste du Canada; malgré la reconnaissance par le Parlement canadien que« les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni » (2006-11-27), ni le gouvernement fédéral, ni la Ville n’ont fait d’efforts pour accorder, à cette même nation, une capitale officiellement bilingue dans laquelle elle pourrait s’y sentir respectée et bien accueillie dans la langue de son choix. Ne trouvez-vous pas cela étrange, voire déplorable, Monsieur le Maire?
Les Québécois-dans-un-Canada-uni qui visitent leur capitale nationale, Ottawa, viennent dans une ville toujours officiellement unilingue anglaise. Et que dire des Franco-Ontariens qui y vivent. Beau respect! Belle conception d’un Canada uni!
Même les Néo-Brunswickois, dont la province est officiellement bilingue depuis belle lurette, n’ont pas droit à une capitale nationale officiellement bilingue. Une honte!
À la définition du pays, on reconnaît d’emblée la contribution historique de la nation québécoise, y compris son importance politique, économique, sociologique et linguistique. Toutefois, on ne doit pas oublier le fait que, depuis 400 ans, les francophones ont largement contribué à façonner le visage de la province et de la ville d’Ottawa, malgré les nombreux affronts et obstacles du passé. Quelque 615 000 francophones habitent l’Ontario et contribuent à son avenir. C’est tout de même une population qui compte, ne trouvez-vous pas? Ne mérite-t-elle pas une capitale officiellement bilingue, respectueuse de sa langue, partout et en tout temps?
Burlington
Je vous encourage à vous inspirer de la résolution 9.0, du 8 août 2011, de la ville de Burlington (Vermont, É.-U.) afin de promouvoir activement le bilinguisme à Ottawa, en particulier le français. J’en fais mention d’ailleurs dans la lettre que j’ai fait parvenir à tous les candidats, vous y compris, le 22 septembre dernier. Cette résolution est une source d’inspiration quant à la grande générosité qui s’y dégage et l’ouverture peu commune sur le monde. Qu’en pensez-vous, Monsieur le Maire?
En terminant, je vous invite à changer d’idée de nouveau et à vous prononcer, sans équivoque, en faveur du bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa.
À la suite de la présente lettre, vous trouverez des questions sur lesquelles je vous encourage à réfléchir. J’ose espérer que vous comprendrez mon message…
Monsieur le Maire, saisirez-vous l’occasion de voir grand et devenir le maire d’Ottawa, la capitale du Canada, ou vous contenterez-vous de voir petit et demeurer strictement le maire de la municipalité d’Ottawa? Quelle option choisissez-vous? J’aimerais bien le savoir avant de voter, le 27 octobre prochain…
Souhaitant que vous répondrez favorablement au vœu clairement exprimé par les francophones et francophiles de voir leur capitale Ottawa être désignée officiellement bilingue, je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, en tout respect, l’expression de mes meilleurs sentiments.
Michel Ouimet
Ottawa
Sources 

Ottawa, une capitale nationale bilingue? Les élus et la langue – Le Droit, 1999-12-11

Watson ne craint pas un ressac anglophone – Le Droit, 2000-03-22

Journal des débats, Assemblée législative de l’Ontario
http://www.ontla.on.ca/web/house-proceedings/house_detail.do?locale=fr&detailPage=/house-proceedings/transcripts/files_html/2005-02-22_L109B.htm&Sess=1&Parl=38&Date=2005-02-22

Discours de Jim Watson au Sommet des États généraux de la francophonie d’Ottawa
http://www.jimwatsonottawa.ca/fr/nouvelles/discours-sommet-des-%C3%A9tats-g%C3%A9n%C3%A9raux-de-la-francophonie-d%E2%80%99ottawa

Projet de loi 163, Loi de 2005 modifiant la Loi sur la ville d’Ottawa
http://www.ontla.on.ca/web/bills/bills_detail.do?locale=fr&BillID=70&isCurrent=false&detailPage=bills_detail_the_bill

Résolution de Burlington
http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-51102913&voir=centre_detail&Id=4606

Questions
Voici quelques questions que je vous propose afin de vous faire comprendre, d’une part, la grande inégalité qui existe toujours entre les deux langues dans la capitale et, d’autre part, l’importance de la désignation officielle, laquelle doit être accompagnée d’une augmentation significative de l’offre active de services en français.

  1. Avez-vous déjà été en faveur que la ville d’Ottawa soit désignée officiellement bilingue, et, si oui, pourquoi avez-vous changé d’idée?
  1. Combien de francophones unilingues travaillant à la Ville craignent de perdre leur poste ou de voir leur avancement compromis du fait qu’ils ne sont pas bilingues?
  1. Dans vos nombreux déplacements dans la ville et au pays, avez-vous déjà eu de la difficulté à vous faire servir en anglais?
  1. Au plus de 20 000 portes auxquelles vous dites avoir frappé durant la présente campagne, combien de fois avez-vous abordé, de votre propre chef, la question du bilinguisme officiel de la ville avec les électeurs?
  1. Combien de fois vous êtes-vous fait répondre dans la capitale du Canada  «J’parle pas anglais, parlez-vous français? » au moment de solliciter un service quelconque?
  1. Combien d’anglophones se font répondre  « J’parle pas anglais, parlez-vous français? », lorsqu’ils se présentent à un comptoir de la Ville, d’institutions ou dans les commerces de la capitale?
  1. Dans un restaurant du marché By ou d’ailleurs dans la capitale, vous a-t-on déjà remis un menu uniquement en français et servi seulement en français?
  1. Quels postes de radio entend-on habituellement dans les centres commerciaux et les centres récréatifs de la ville, et, la plupart du temps, dans quelle langue diffuse-t-on les chansons que l’on y entend?
  1. Combien de fois vous est-il arrivé de consulter une page Web anglaise de la Ville dans laquelle les hyperliens menaient à une page française?
  1. Au téléphone, combien de fois vous a-t-on répondu en français après avoir pressé la touche qui devait pourtant mener au service en anglais?
  1. Combien de fois un résident et contribuable anglophone a dû s’inscrire à une activité se donnant uniquement en français parce que l’activité ne s’offrait pas en anglais?
  1. Combien de parents anglophones ont dû inscrire leurs enfants à une activité se donnant uniquement en français parce que l’activité ne s’offrait pas en anglais?
  1. Combien d’anglophones s’adressant aux chauffeurs d’autobus ou de taxi se font répondre uniquement en français?
  1. Combien de personnes âgées anglophones se font accueillir et servir uniquement en français dans les hôpitaux et cliniques de la capitale?
  1. Combien de fois avez-vous reçu, chez vous, un appel importun d’une entreprise ou d’un organisme de la capitale dont la personne s’exprimait uniquement en français ou dont le message enregistré n’était qu’en français?
  1. La politique de bilinguisme en vigueur est essentiellement la même que celle adoptée par l’ancienne ville d’Ottawa, le 6 octobre 1982. Elle « marche », comme vous le dites, depuis ce temps. N’est-il pas temps de la réviser en vue de l’améliorer et, surtout, d’en resserrer l’application?
  1. Advenant votre élection, vous considérerez-vous comme maire de la ville d’Ottawa ou, à la fois, maire d’Ottawa et de la capitale du Canada?

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