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LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

LES
INSTITUTIONS EUROPéENNES

Avec
l’élargissement, l’usage du français recule dans les institutions européennes

Texte extrait du
journal
LE MONDE | 16.02.04
Une préférence pour l’anglais s’est progressivement imposée à Bruxelles depuis
1995.
Bruxelles de notre bureau européen

L’entretien entre le
président de la Commission européenne, Romano Prodi et le premier ministre
français, Jean-Pierre Raffarin, sur la violation du pacte de stabilité, s’est
bien tenu en français, en septembre 2003.

Mais le communiqué de la Commission
n’a été publié qu’en anglais. Ainsi va l’usage du français à Bruxelles. Le
basculement vers l’anglais ne date pas de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union
européenne en 1973. "A l’époque, il y a eu un accord entre Georges Pompidou
et Edward Heath pour que Londres envoie des fonctionnaires parlant français.
Cela a réussi à 100 %"
, commente un vétéran. Le virage a, en fait, eu lieu
en 1995, avec le départ de Jacques Delors de la Commission et l’élargissement
à la Suède, la Finlande et l’Autriche : les fonctionnaires de ces pays
n’avaient aucune envie d’apprendre le français.

En salle de presse, l’on est passé à un régime bilingue français-anglais,
avec interprétation. En 2002, à la Commission, 57 % des documents étaient
écrits originellement en anglais pour 29 % en français, soit un recul de 10
points en huit ans, l’allemand étant stable à 5 %. Les études économiques de
la Commission sont publiées uniquement en anglais, tant pis si Londres n’est
pas dans l’euro. In fine, M. Prodi a pu choisir deux porte-parole, le
Finlandais Reijo Kemppinen et l’Italien Marco Vignudelli, au français
exécrable, sans que personne s’en émeuve.

Le recul est pire au Conseil, où 18 % seulement des documents étaient
rédigés en français en 2002, pour 42 % en 1997 ! Même au Parlement européen,
lieu du multilinguisme, l’anglais devient lingua franca. Ainsi, la socialiste
française Pervenche Berès, fondatrice d’un groupe sur la gouvernance
économique de la zone euro, animait son groupe en français jusqu’à ce qu’elle
accueille des députés finlandais et irlandais.

La tendance va s’aggraver avec l’élargissement, les candidats aux concours
des nouveaux Etats membres ayant choisi l’anglais à 69 %, l’allemand à 18 % et
le français à 13 %. "Dans les réunions, dès qu’un Letton va dire qu’il ne
parle pas français, on va devoir tous passer à l’anglais"
, prédit un haut
fonctionnaire.

L’enjeu dépasse celui de la langue. "Celle-ci est constitutive de notre
identité et véhicule des modes de perception qui ont modelé le système
européen"
, explique l’ambassadeur de France à Bruxelles, Pierre Sellal,
qui déplore que "les concepts aujourd’hui, que ce soit ceux de
"développement durable", de "gouvernance économique" ou d’"agence" ne sont
plus français"
. Les Allemands sont encore plus mal lotis. Ainsi, pendant
la Convention, le parlementaire allemand Erwin Teufel s’est mis à parler d’"Ordnungspolitik",
symbole du miracle économique allemand soudain bien suranné et qui fut
improprement traduit en franglais par "gouvernance économique".

Le minimum serait de pouvoir s’exprimer dans les langues des trois cultures
européennes, latine, anglo-saxonne et germanique, à savoir le français,
l’anglais et l’allemand. "Si on pense néolibéral, autant le faire tout de
suite en anglais"
, explique un haut fonctionnaire belge. "Même les
Anglais commencent à se rendre compte que la loi selon laquelle "la mauvaise
monnaie chasse la bonne" va s’appliquer pour leur langue. Ils ont intérêt au
plurilinguisme, sinon c’est leur langue qui va se véroler"
, affirme le
commissaire français Pascal Lamy.

Il va néanmoins falloir faire des choix parmi les vingt langues de l’Union.
L’Allemand est difficile, son usage suscite la jalousie des Italiens et des
Espagnols. Les Français cherchent donc à préserver leur avantage, l’usage de
l’anglais et du français sans traduction dans les réunions techniques. "Le
français continuera d’être une langue de travail, tant que les gens
continueront d’avoir une connaissance passive du français"
, explique M.
Sellal. Paris a ainsi formé au français 3 200 fonctionnaires dans les pays de
l’élargissement en 2003 et organise des sessions spéciales à Avignon pour les
ambassadeurs, futurs commissaires et hauts fonctionnaires, dans une atmosphère
où l’on essaie de faire oublier les brouilles du passé : ainsi l’ambassadeur
de Pologne a été invité à commente, cet été, la vidéo au cours de laquelle
Jacques Chirac expliquait aux pays candidats qu’ils avaient "perdu une
bonne occasion de se taire"
en soutenant les Américains sur le dossier!
irakien.

L’enjeu est de persuader les nouveaux venus que l’usage du français est
indispensable. "Dans les déjeuners, j’interviens de manière à montrer que
ceux qui ne me comprennent pas manquent quelque chose d’important…"
,
explique M. Sellal. La France n’a pas cette position de force au Parlement
européen, où il faut choisir entre les principes et l’efficacité. Avec les
députés Jean-Louis Bourlanges (UDF-PPE) et Philippe Herzog (GUE, communiste),
Mme Berès a déposé début février des amendements en anglais,
préalablement rédigés par Bercy, sur une directive financière. "L’enjeu
était trop important. Il fallait passer par l’anglais pour être écoutés"
,
explique Mme Berès. "La bataille portait entre deux mots
anglais, "normal" et "standard". Le drame, c’est que "standard" se traduit en
français par "normal". On ne pouvait s’en sortir qu’en passant par l’anglais",
s’amuse
M. Bourlanges.

Pour M. Sellal, "la cause est essentielle, car la préservation du
français dans les institutions européennes est le seul moyen de sauver la
francophonie. La cause est loin d’être perdue"
. Les Français contrôlent
encore quelques verrous : le procès-verbal des réunions de la Commission ne se
fait qu’en français, tout comme le délibéré des juges à la Cour de justice
européenne. Le plurilinguisme ne pourra jamais être totalement abandonné, dans
la mesure où la machine européenne produit du droit primaire directement
applicable dans les Etats membres. Il va être renforcé par le nouveau statut
des fonctionnaires, qui impose, pour l’avenir, la maîtrise de trois langues
pour être promu. "Lorsqu’un Européen parle trois langues, il y a toutes les
chances que l’une soit le français"
, estime M. Sellal. L’environnement
francophone de Bruxelles constitue le principal atout pour la défense du
français.

Arnaud Leparmentier

. ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 17.02.04
(Ce texte nous a
été communiqué par notre correspondant européen M. Germain Pirlot [gepir.apro@pandora.be]


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