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LUTTE CONTRE L’ANGLICISATION DE MONTRÉAL

La mobilisation s’impose
 

Conférence d’Yves Ménard, président du Cercle Raoul-Roy – Montréal, 1er juin 2013

Pourquoi la lutte contre l’anglicisation de Montréal plafonne

Les limites de la présente mobilisation pour la défense du français
Auparavant, à une époque où la loi 101 était davantage appliquée qu’aujourd’hui, certains anglophones commençaient à s’adresser en français aux Québécois dans les commerces et les services publics, du moins en dehors de leur ghetto de l’Ouest de l’île. Aujourd’hui, dans toute la région de Montréal et en bien d’autres régions du Québec, ce sont les Québécois qui se décarcassent pour les servir en anglais, le plus souvent par ordre du patron, et cela jusque dans les officines du gouvernement du Québec.
Auparavant, la moindre affichette en anglais sur une porte de toilette jurait dans un environnement autrement français et subissait rapidement un raturage en règle de la part d’un client québécois conscient de ce qu’il est. Aujourd’hui, non seulement de nombreux commerces affichent bilingue sans même qu’on le remarque, mais en outre certains d’entre eux affichent leurs raisons sociales en anglais avec des caractères d’un mètre de haut, si bien qu’à l’œil nos grandes artères commerciales et les allées de nos grands centres commerciaux ne diffèrent en rien de celles du reste du continent. Cela nous fait un grand centre commercial continental unifié. Beau pays et belle époque… (Suite après les photos)
EV ViewShop
Putting Edge Starbucks
Halloween Party Centre UPS Store  

Toutes les raisons sociales présentées ici sont unilingues anglaises. Aucune n’est assortie d’une version française. (Photos de l’auteur, Montréal 2013)

 (…suite de la conférence)
Ajoutons toutefois que, même au sommet de la vague de francisation, les anglophones n’ont jamais cessé de jouir d’un réseau d’institutions scolaires et hospitalières sur-subventionnées par l’État prétendument québécois, ainsi que d’un réseau médiatique hypertrophié. Si bien qu’il est nécessaire, qu’il a toujours été nécessaire aux Québécois de résister aux empiètements de cette colonie étrangère et d’opposer un mur sans failles à ses manœuvres colonialistes.
Ainsi, le Mouvement Impératif français, basé dans l’Outaouais, défend la cause du français depuis 1975. À Montréal, nous avons opposé une résistance sporadique, mais les lendemains référendaires, surtout ceux du dernier référendum et surtout depuis 2000, ont été anémiques sous ce rapport. Puis, à partir de 2007, il y a eu une certaine reprise de la résistance du côté de la Société Saint-Jean -Baptiste de Montréal et du Mouvement Montréal français, lequel a été ensuite étendu à tout le Québec dans un nouveau Mouvement Québec français.
Ces mouvements, notamment sous l’impulsion de M. Mario Beaulieu, ont levé l’étendard de la résistance à l’anglicisation de Montréal et ils se sont attachés à alerter l’opinion publique. Cependant, malgré ce travail soutenu et malgré une certaine couverture donnée à cette cause par le Journal de Montréal et par le Devoir, il faut bien convenir que les francophones de Montréal ne se sont pas précipités en masse pour défendre leur langue. La mobilisation autour de cette cause, cruciale pour notre avenir, n’atteint pas un niveau suffisant pour assurer la refrancisation de la métropole. En fait, elle n’arrive même pas à freiner le recul du français.
Un point de référence : la lutte pour le maintien de la loi 101 à la fin des années 1980
Le parallèle avec la lutte pour le maintien de la loi 101 à la fin des années quatre-vingt s’impose ici. À cette époque, comme aujourd’hui, la lutte pour le français émergeait après une période de démobilisation et de déprime post-référendaire. C’est bien la langue qui a tiré tout le mouvement nationaliste de sa torpeur. Le premier Parti indépendantiste, dirigé par Denis Monière puis par Gilles Rhéaume, a alors saisi l’occasion offerte par Robert Bourassa. Celui-ci, de retour au pouvoir, prétendait rétablir le bilinguisme. Le PI a alors organisé des petites manifestations de 30, 50, puis 80 personnes pour l’en empêcher.
Bien entendu, le PI ne s’est pas privé non plus d’intervenir dans la saga du Lac Meech, une cause purement indépendantiste. À cette époque encore, et depuis le début dans les années soixante, il était évident que ceux qui étaient indépendantistes étaient en faveur de l’unilinguisme français et inversement. Et c’est bien comme cela qu’il faut concevoir notre combat national, c’est-à-dire d’une manière intégrée où la force et la mobilisation générée par chaque combat rejaillit sur tous les autres. C’est ce qu’on pourrait appeler la synergie des luttes apparentées.
Puis la Société Saint-Jean -Baptiste et le Mouvement Québec français de l’époque, qui regroupait alors surtout des grands syndicats, ont pris les affaires en main et ils sont parvenus à faire passer le combat en vitesse supérieure avec des manifestations de 25 000 personnes en 1988 et de 60 000 personnes en 1989. Bourassa a préféré couper la poire en deux et il a passé une loi de compromis. Sur le terrain, le bilinguisme a pris un certain temps à revenir, les commerçants étant fort probablement désireux d’éviter de provoquer les militants de la langue, qu’ils voyaient de toutes façons plus ou moins comme des vandales potentiels. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose d’inspirer la crainte et il faut admettre qu’aujourd’hui, lorsque nous voyons les annonces anglaises proliférer et s’insinuer jusque dans le métro, il est malheureusement évident que plus personne ne nous craint.
Lutte pour le maintien de la loi 101
12 mars 1989 : 60 000 Québécois réclament le maintien de la loi 101

En fait, j’ai cru un moment que le nouveau Mouvement Québec français suivrait la même trajectoire que celui des années 1980, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Il n’a pas débouché, malgré des efforts peut-être plus soutenus qu’à l’époque. Il est resté à mi-chemin, il n’a pas embrayé en vitesse supérieure comme cela avait semblé si naturel et facile à la fin des années quatre-vingt. Et ma réflexion aujourd’hui découle de cette déception. Bien sûr, il faut continuer à mobiliser et à organiser la résistance à l’anglais, mais il serait également opportun de prendre du recul et d’identifier les entraves à la mobilisation, en amont de la lutte linguistique. Car, de toute évidence, quelque chose a réduit nos forces depuis vingt-cinq ans. De nouvelles forces antagonistes sous-jacentes, des changements de mentalité que nous allons maintenant examiner.
 
La première entrave : ceux qui veulent remettre la défense du français après l’indépendance
La première entrave est une contradiction qui a émergé depuis deux décennies. Elle se trouve à l’intérieur même du mouvement indépendantiste. Il s’agit d’une croyance erronée et désastreusement nocive qui se répand dans nos rangs à l’effet qu’il serait plus facile d’accéder à l’indépendance du Québec si on laissait tomber la défense du français ou si on la remettait après l’indépendance.
Moi, je réponds qu’il n’y aura plus aucune raison de faire l’indépendance alors – avec tout le trouble que cela suppose – si nous nous anglicisons, si nous ne demeurons pas une nation distincte de ses voisins. J’ai habité six mois à Belfast en Irlande du Nord. J’ai étudié sur place le conflit violent qui a fait 3700 victimes depuis 1969 et qui oppose les républicains, qui veulent la réunification de l’Irlande, et les unionistes pro-britanniques. J’ai aussi milité dans le parti des républicains irlandais, le Sinn Féin. J’étais admiratif de leur combativité, mais, après réflexion, je me suis dit que vraiment je ne les enviais pas tant que ça, parce qu’ils ont perdu leur langue. Bêtement, sans trop y porter attention. Au début du XIXème siècle, alors qu’une proportion substantielle d’Irlandais parlaient encore leur langue, un chef comme O’Connell s’adressait à ses partisans en anglais « pour que les Anglais comprennent ». La langue ne semblait plus importante, pourvu qu’ils obtiennent l’indépendance. Ils ont l’indépendance et ils pleurent des larmes de sang d’avoir laissé filer leur âme. Ils ont essayé de la rattraper. Les prisonniers de l’IRA se répétaient les conjugaisons de leur vieille langue dans leur cachot. Dans la république, les enfants étudient l’irlandais. Ils appellent leur Premier ministre Taoiseach, leur parlement Daìl, mais cela ne sert à rien, il est trop tard. Quand une langue ne sert plus à travailler ni à acheter son pain, elle est morte.
Le principal attribut d’une nation, c’est sa langue. Il y a autre chose en plus, comme la culture et l’histoire, mais il y a la langue, impérativement. Or, il y a un nombre croissant de jeunes Québécois qui portent le français comme une croix qu’ils ont hâte de déposer pour pouvoir évoluer librement dans l’univers criard de l’empire américain, tandis que l’indépendance, elle, n’arrive pas. Si nous attendons d’être indépendants avant de nous occuper du français, le patient va être mort avant l’arrivée de l’ambulance ! En fait, l’indépendance ne se ferait pas, précisément pour cette raison : on ne voit pas qui d’autre que des francophones pourraient la faire. S’il n’y a plus de francophones, adios l’indépendance.
Il est donc urgent de repousser hors de nos frontières – y compris des frontières de nos crânes –cette langue envahissante qu’est l’anglais. Un peuple n’est pas maître chez lui quand une autre langue que la sienne s’impose sur son territoire ou même quand elle impose une cohabitation avec la langue nationale. Il faut défendre le français en priorité et ne pas nous contenter de commémorer les Patriotes ou de nous opposer aux visites de la reine et de ses princes, même si ce genre d’action a son utilité. J’ai participé moi-même à un tas de commémorations patriotiques, ainsi qu’à la manifestation qui a été organisée pour accueillir le prince de la gale lors de sa visite à Montréal. (Une manifestation d’ailleurs très réussie et dont nous pourrions nous inspirer, mais cette fois pour défendre notre langue.) Mais je n’oublie pas que les Patriotes, eux, ne se sont pas contentés de commémorer leurs prédécesseurs – les Français, les Canadiens et les Acadiens morts pendant la Guerre de la Conquête. Ils ont combattu l’ennemi qu’ils avaient devant eux à leur époque.
Je ne voudrais pas être à la place de celui qui se ferait demander par son enfant ce qu’il faisait pendant que Montréal est passé à l’anglais, au début du XXIème siècle, et qui n’aurait rien de mieux à répondre que des platitudes comme « j’me promenais avec un carré rouge et je me battais pour la gratuité scolaire » ou comme « je militais dans une organisation écologiste qui luttait pour empêcher la disparition du hibou des marais »… Que ceux qui croient que j’exagère le danger aillent se promener dans le métro ou dans les rues de l’ancienne forteresse indépendantiste du Plateau Mont-Royal et qu’ils écoutent parler les jeunes.
Le pire est que les indépendantistes mal inspirés qui ne veulent pas perdre de temps avec la langue mènent notre mouvement à sa perte. Même d’un point de vue strictement indépendantiste, nous n’irons nulle part si nous n’utilisons pas le moteur de la langue et plus précisément d’une bonne crise linguistique, car nous ne convaincrons pas les Québécois de faire la souveraineté à froid, au moyen d’arguments constitutionnels abstraits. Il faut plutôt dire la vérité, sur la langue et aussi sur l’immigration, quitte à susciter des passions et quoiqu’en pensent la gauche et la droite dénationalisées. C’est ce qui est efficace, non pas pour rejoindre une petite poignée de bobos doctorants en sociologie, mais pour rejoindre le peuple, qui ne peut être arraché à son quotidien individualiste et pragmatique que par la nécessité impérieuse de défendre sa dignité et son identité. Et c’est bien parce qu’ils savent que seules les questions identitaires peuvent donner des troupes aux nationalistes que les ennemis de la nation tentent de jeter l’anathème contre la simple évocation des problèmes existants.
Les péquistes entre autres, ont graduellement oublié que le nationalisme était le principal moteur de l’indépendantisme. Ce qui n’empêche pas certains défenseurs du français de croire encore que notre langue est protégée par le Parti québécois lorsqu’il est au pouvoir, même si les faits démentent cruellement ce mythe et cela depuis des lustres. Le cas de l’actuelle campagne de la Gazette sur les autobus de la STM est particulièrement flagrant. (Voir photo à la page suivante.) En effet, la STM avait toujours tenu à présenter un visage français et les libéraux de Jean Charest ne lui avaient jamais permis de glisser vers le bilinguisme, encore moins vers l’unilinguisme anglais comme elle le fait maintenant. Cela, bien sûr, c’était avant l’élection du Parti québécois et l’entrevue donnée sur les ondes de CJAD par le nouveau Ministre de Montréal et des anglophones, M. Jean-François Lisée, au début de cette année. Dans cette entrevue, il a demandé à la STM de forcer ses employés à donner des services en anglais, contredisant de façon cynique et éhontée les promesses qu’il avait faites lors de sa campagne électorale quelques mois auparavant. Il escompte sans doute que les nationalistes les plus naïfs oublieront rapidement et qu’ils continueront à voter pour le Parti québécois, «pour ne pas diviser le vote»… Quant à la direction d’Option nationale, elle n’est pas plus nationaliste, au contraire. Il faut appuyer notre indépendantisme sur le nationalisme linguistique et culturel des Québécois. Nous savons que les tentatives, d’inspiration civique, de promouvoir un souverainisme détaché du nationalisme, reviennent à prétendre avancer plus vite en coupant les moteurs et qu’elles sont nécessairement vouées à l’échec.
The Gazette
Annonce unilingue anglaise de la Gazette sur un autobus de la STM. Une gracieuseté du Parti québécois, du Ministre de Montréal et des anglophones, Jean-François Lisée, et de leurs électeurs naïfs.
La deuxième entrave : un melting-pot ne vaut pas une nation homogène
La deuxième entrave à la mobilisation pour la défense du français est l’immigration massive qui est imposée aux Québécois et qui s’est accumulée depuis l’époque des grandes manifestations pour le français à la fin des années quatre-vingt. Elle a modifié la composition ethno-linguistique de Montréal, et cela n’est pas sans conséquences sur la capacité de mobilisation des Québécois. D’une part, cette immigration a réduit la proportion de francophones à Montréal et, d’autre part, elle a réduit leur cohésion. En effet, les francophones de Montréal, qui étaient essentiellement des Canadiens-Français pure laine il y a vingt-cinq ans, sont devenus en grande partie un mélange de Noirs, de musulmans et d’hybrides en tout genre, peu intéressés, sauf exception, à la défense du français.
Mais, du point de vue de nos super-élites souverainistes qui sont tellement efficaces pour libérer le Québec, un francophone c’est un francophone, point, et tous les francophones sont interchangeables. Pour ces imprégnés d’une certaine doxa gauchiste qui n’a jamais rien compris aux identités nationales, un Canadien-Français qui meurt et qui est remplacé par un Haïtien ou un musulman francophone qui débarque, ça fait moins un, plus un, égal zéro – c’est tout pareil.
Alors, naturellement, ils se demandent pourquoi le mouvement ne lève pas, pourquoi ni la défense du français, ni la lutte indépendantiste ne lèvent depuis le début du siècle. Ils ont oublié, ou pire, ils ont tout fait pour faire oublier la grande leçon du référendum de 1995 : les immigrés ne veulent rien savoir de l’indépendance du Québec. Et même ceux qui parlent français, sauf des exceptions numériquement dérisoires, ne sont pas intéressés à lutter pour le défendre. Ils ne sont pas venus ici pour ça.
Nos souverainistes en caoutchouc n’ont pas la colonne vertébrale qu’il faudrait pour s’opposer à l’immigration massive, même s’il est évident qu’il est nécessaire de réduire très sensiblement le nombre de nouveaux immigrés, ne serait-ce que pour se donner une chance d’intégrer et de franciser ceux qui viennent. Alors pour justifier leur lâcheté ils se jettent à genoux dès qu’ils entendent un immigrant parler français, ils tombent en pâmoison si en plus il arbore un drapeau du Québec ; et ils brandissent ces exceptions dans les médias pour laisser entendre aux Québécois, avec très peu de subtilité, que les immigrants sont de notre bord, qu’il s’agit là d’une règle et non pas d’exceptions choisies.
Qu’en est-il de la règle, de la masse ? On la retrouve dès qu’on essaie de faire du recrutement. Par exemple, demandez-vous où sont passés les manifestants de 1988. Bien sûr, il y en a qui sont morts ou très vieux, ça fait vingt-cinq ans. Mais selon nos savantissimes élites souverainistes, ce n’est pas un problème puisqu’ils ont été remplacés par de nouveaux francophones. Maintenant allez essayer de recruter tel ou tel Haïtien que vous avez croisé dans le métro ce matin et vous verrez ce que vous allez en tirer. Ou bien la musulmane voilée, aux moeurs et aux croyances d’un obscurantisme inimaginable en Occident et qui se fait battre comme un tapis par son mari. Bonne chance si vous avez l’intention de recruter la même proportion de militants du français ou de l’indépendance du Québec dans ces populations que parmi les Québécois pure laine. Parce qu’à Montréal nous n’avons plus affaire à un peuple français, mais plutôt à un substitut dégradé, une simple population vaguement francophone qui est mentalement sur le web ou aux États-Unis ou dans ses divers pays d’origine, mais pas du tout au Québec. Il nous en cuira d’avoir méprisé les réalités sociologiques et identitaires.
La troisième entrave : l’américanisation de la culture et l’oubli de la civilisation française
Maintenant, si vous me dites que la ferveur a baissé aussi du côté des Québécois, vous touchez à la troisième entrave à la mobilisation que nous examinerons ici : la dégradation de l’arrière plan culturel. L’américanisation des goûts culturels des Québécois ne date pas d’hier, mais elle s’est aggravée ces dernières années. Trop de Québécois sont fascinés par le clinquant de l’inculture américaine et ignorent les grandes œuvres de la civilisation française. Or le combat culturel à l’échelle du monde est un déterminant majeur du combat linguistique. Méconnaître cette réalité nous empêcherait de nous attaquer à la racine culturelle de notre problème linguistique. Il faut promouvoir la culture française pour promouvoir la langue française. Cela signifie promouvoir un Québec français – et non seulement francophone – et, entre autres, préférer la fréquentation des oeuvres québécoises et françaises originales aux traductions en français de productions anglo-américaines. Tant que les secrétaires québécoises croisées dans le métro liront surtout des romans américains traduits en français, le combat ne sera pas gagné. Savent-elles que la littérature écrite dans leur langue est la plus grande du monde et que les romans-savon américains couchés sur papier dont elles sont si friandes seront oubliés dans quelques années, après avoir été d’éphémères best sellers ? (Best sellers ou meilleurs vendeurs : les anglophones jugent une œuvre littéraire ou un film selon les mêmes critères que pour n’importe quel autre de leurs produits : d’après les ventes et les profits générés).
Malheureusement, bien des Québécois ne s’identifient plus directement à la France , un peu comme s’ils ne venaient de nulle part ou étaient le résultat d’une génération spontanée ou d’un obscur mélange. Il est vrai que la plupart des nations du Nouveau Monde sont issues d’un mélange d’immigrants européens, comme les Canadiens anglais, les Américains, les Australiens ou les Argentins ou bien d’un mélange d’Européens et d’autochtones ou d’esclaves noirs. Mais, ce n’est pas notre cas. À toutes fins utiles, et quel que soit le lavage de cerveau intensif auquel on nous soumet pour nous convaincre du contraire, nous sommes principalement originaires d’un pays, la France , et il n’y a rien au monde qui puisse nous empêcher de nous réclamer de sa filiation et de son extraordinaire héritage culturel. Les fabuleux châteaux de Chambord et de Chenonceaux, par exemple, ont été construits par nos ancêtres aussi bien que par les ancêtres des Français de France d’aujourd’hui, et il est facile de trouver des Français en France qui portent les mêmes noms de famille que nous.
Château Chambord
Le Château de Chambord, situé à proximité de la Loire et à 14 kilomètres de Blois, a été construit à partir de 1519 sous François 1er par vos arrière-arrière-grands-parents…
Ceux qui, comme nous, baignent dans un milieu culturel américanisé attrapent facilement, presque immanquablement, les préjugés culturels des Amerloques, lesquels souffrent d’une tendance généralisée à se croire les meilleurs du monde en tout et en toute humilité. D’autres peuples se croient aussi la crème de la crème, mais l’inculture américaine, de par sa masse, son financement et sa diffusion, finit par pénétrer toutes les cultures et les contester jusque chez elles. Les Anglo-Américains, par contraste, ne sont jamais remis en cause par une culture étrangère et ils ne se remettent eux-mêmes jamais en cause. Ainsi, certains peuples qui possèdent pourtant une très haute civilisation en finissent par perdre complètement de vue leur valeur devant cette contestation permanente. C’est le cas notamment des peuples de civilisation française et cela malgré la reconnaissance unanime des élites des autres nationalités. Je pense, par exemple, au philosophe allemand Friedrich Nietzsche. Il était lui-même imprégné de la culture philosophique occidentale et, par sa nationalité allemande, il était a priori dans une position de neutralité à l’égard des cultures anglaise et française. Or, pratiquement à chaque fois qu’il comparait les grandes cultures européennes, il en profitait pour enfoncer les Anglais – qu’il estimait être dénués de sens philosophique –, critiquer les Allemands et porter aux nues les Français. « Aujourd’hui encore, écrit-il, la France est le siège de la civilisation européenne la plus spirituelle et la plus raffinée, et la grande école du goût…» Il poursuit ainsi pendant des pages pour détailler les grands points forts des auteurs français, notamment la finesse de leur psychologie. C’est là notre héritage et nous devons l’enrichir, le protéger et surtout le faire connaître à ses héritiers en droit. D’ailleurs, les nécessités du combat culturel sous-jacent à la lutte linguistique exigent que, au-delà de la culture québécoise au sens strict, nous nous arc-boutions sur toute notre vieille civilisation française pour faire face à la déferlante américaine, tapageuse, vide, superficielle et singulièrement collante.
Pourtant, trop de Québécois se sentent un peu Américains et pas du tout Français. On les entend distinguer les voitures importées des voitures américaines, comme si les voitures américaines n’étaient pas importées. Certains libraires, qui baignent pourtant dans la culture à longueur de jour, rangent la littérature française au rayon de la littérature étrangère. L’identification aux Américains et le fait de considérer la civilisation française comme étrangère relèvent d’un comportement de colonisé tout aussi toxique que l’identification à la fédération canadienne. D’ailleurs, souvent, l’un entraîne l’autre. Et un Elvis Gratton qui aime bien les «Amaricains » parce qu’« eux autres ils l’ont l’affaire » a toutes les chances de devenir un bon soutien du régime fédéral au Québec, comme l’Elvis Gratton original.
Il y en a d’autres qui ont compris depuis longtemps. Je pense par exemple aux tensions entre la France et les États-Unis de George W. Bush à propos de la guerre en Irak en 2003. Elles ont eu des répercussions à Montréal sous la forme de manifestations géantes d’opposition à la guerre en Irak et de soutien à la France. La plupart des manifestants étaient des Québécois plutôt souverainistes. Je me souviens avoir lu une pancarte où il était écrit « George Bush, la Vieille France et la Nouvelle vous emmerdent ». En fait, les tensions entre francophones et anglophones au Canada s’inscrivent dans un conflit plus vaste entre la civilisation française et la mentalité américaine, entre la France et les États-Unis. Et ce qui se passe à un niveau de ce conflit a des répercussions sur l’autre.
Mais pourquoi des Québécois se laissent-ils glisser dans le gros Disneyland nord-américain ? Naturellement, s’ils n’ont jamais été initiés à la culture française et québécoise, ce ne sont certainement pas les anglophones qui vont leur donner l’idée de le faire et ils ne sauront jamais ce qu’ils perdent. Mais la raison majeure qui les pousse à l’américanisation culturelle et à une certaine identification aux États-Unis tient à la surestimation de la puissance des États-Unis qui se dégage notamment des films américains. La masse des gens a une psychologie de faibles et elle aime bien se coller sur les forts ou sur ceux qu’elle perçoit comme tels. Et elle est tout à fait impressionnée, pour ne pas dire obnubilée, par la soi-disant hyperpuissance des États-Unis.
The Last Stand Chainsaw
La culture américaine dans ses oeuvres : pas la peine de pousser trop loin l’analyse psychologique des personnages

D’ailleurs, parlons-en, des films américains. Hollywood refait le même film depuis quatre-vingts ans : un feu roulant de poursuites d’automobiles (ou de chevaux ou de vaisseaux spatiaux…), d’explosions, de fusillades, d’incendies, de gyrophares et, depuis une trentaine d’années, de l’inévitable afro-américain à qui l’on a donné un rôle sympathique, amical ou drôle, en tout cas jamais le rôle d’un «méchant», réservé aux hommes blancs. Tout cela repasse en boucle devant des téléspectateurs hypnotisés, l’électro-encéphalogramme à plat. Puis, lorsqu’ils changent de canal pendant les annonces, ils tombent sur une autre poursuite ou sur un autre monstre à abattre d’un autre film américain, parfois sans se rendre compte qu’ils ont changé de film, tant le rythme effréné et le style grand-n’importe-quoi-pour-déficients-mentaux de ces films se ressemblent…
S’il faut vraiment combler une partie de la grille horaire avec des traductions de productions étrangères, y aurait-il moyen de nous présenter, à la place, la meilleure série allemande, la meilleure italienne, la meilleure russe, la meilleure argentine ? Cela se fait un peu, mais trop peu, chaque peuple non anglophone étant principalement abreuvé, comme nous, d’un mélange de productions nationales et de productions américaines traduites dans sa langue, avec le même résultat partout. Les échanges culturels entre peuples non anglophones que je propose ici permettraient de désserrer l’emprise de la propagande américaine sur les cerveaux. Car il faut, chaque jour, mener le combat pour le coeur et l’esprit des Québécois, en incluant le combat culturel qui sous-tend les enjeux linguistiques et politiques.
En somme, après des décennies passées à ingurgiter la camelotte hollywoodienne – où les États-Unis et la langue anglaise sont assurés d’une domination éternelle et où la croissance économique et technologique ne connaît pas de limite – le téléphage type est à cent lieux de soupçonner ce qui se passe dans le monde réel. Dans le monde réel, les États-Unis sont en net déclin devant la Chine , ils flirtent avec la banqueroute, ils ont considérablement réduit leur fameux programme spatial, et, point crucial, ils perdent toutes leurs guerres. Cela, il faut l’expliquer en long et en large et le répéter, tant l’illusion de l’hyperpuissance américaine – qui a correspondu un moment à la réalité – reste ancrée profondément en raison justement de tous ces films et de toutes ces téléseries.
L’une des dernières forces des Américains réside justement dans leur capacité à projeter, dans l’esprit des gens, un monde virtuel où ils ont la part du lion. Il faut dessiller les yeux de nos compatriotes, car la prise de conscience du recul accéléré de l’Empire débloquerait tout, les cerveaux, les initiatives, puis l’histoire elle-même. Voilà le plus bel espoir et aussi le plus réaliste que l’on puisse offrir à tous les nationalistes qui veulent s’émanciper de la tutelle anglo-saxonne, car les peuples se sont libérés beaucoup plus souvent à l’occasion d’un effondrement de leurs dominateurs que par leurs seules forces. Et cet espoir d’un relâchement prochain de l’emprise culturelle et politique des États-Unis, les nationalistes québécois ont besoin de le connaître plus que quiconque, parce que, sans lui, la situation critique de notre peuple à Montréal risque d’en décourager plus d’un et d’inciter à la démission plutôt qu’à la lutte.
Une fois le terrain bien dégagé et l’américanisme bien dégonflé, le sujet est mûr pour se poser les questions que les Anglo-Américains ne voulaient pas qu’il se pose. Par exemple : « Se pourrait-il que l’anglais, l’immigration, le libre-échange et le recul des indépendances nationales, dont tout le monde a fini par croire qu’ils représentent un avenir incontournable, ne soient en fait que les obsessions constitutives d’un empire qui s’effondre ? » Ou bien : « Si l’anglais recule devant l’arabe, devant le chinois et – aux États-Unis mêmes – devant l’espagnol, le moment ne serait-il pas venu pour nous de le faire reculer aussi devant le français à Montréal ? » Ou encore : « Se pourrait-il que, de plus en plus, ceux qui ont parié sur le mauvais cheval, les ‘loosers’, soient les anglomanes qui traitent les nationalistes de ‘loosers’ depuis si longtemps ? L’anglais n’est pas la clé de la réussite, contrairement à ce qu’ils imaginent ou prétendent pour l’imposer davantage et il n’empêche certainement personne de se retrouver à l’Accueil Bonneau ! »
Quêteux
Quêteux anglophone à Montréal : l’anglais ne l’a pas sauvé !
Ce n’est donc pas la peine de faire suivre un cours d’anglais pré-natal à votre bébé pour qu’il réussisse dans la vie…
Certainement, les Québécois n’ont rien à voir avec le déclin de l’empire américain, sauf peut-être un film, et je ne préconise pas non plus de jouer un rôle quelconque dans leur prochaine déconfiture. Nous sommes trop proches d’eux géographiquement pour jouer aux Iraniens et nous avons des combats plus urgents à mener chez nous. Cependant, il faut commencer à penser aux perspectives favorables que nous offrira l’effondrement prochain de l’influence américaine dans le monde si nous sommes prêts à saisir l’occasion et déterminés à ne pas permettre à des rivaux idéologiques de le faire à notre place. Car le jour où cet effondrement deviendra évident même aux accros des films de Hollywood, il y a fort à parier que bien des Québécois auront envie de renouer avec leur vieille culture et leur vieux Québec. Espérons seulement que ceux-ci ne seront pas trop mal en point.
La solution : combattre les entraves à la mobilisation nationaliste
Que faire, en conclusion ? Il faut s’attaquer aux racines de notre démobilisation.
Des trois entraves examinées, la première, celle des indépendantistes mal inspirés qui ne veulent pas perdre de temps avec la langue, est certainement la moins difficile à corriger. Il s’agit de convaincre des gens proches de nous que nous n’embarquerons pas dans leur galère (leurs partis, leurs activités) si leur seul objectif est de nous donner un Québec reproduisant en plus petit le Canada actuel.
La deuxième entrave – l’immigration de masse qui réduit la proportion et la cohésion des francophones de Montréal – est la plus difficile à changer à court terme. Il faudrait d’abord réduire considérablement l’immigration pour éviter que la situation empire. Quant aux francophones originaires du tiers monde qui sont déjà installés chez nous, peut-être qu’un jour certains francophones utilitaires deviendront des francophones identitaires, mais honnêtement nous avons du souci à nous faire.
Enfin, nous pouvons entrevoir un relâchement de la troisième entrave – l’engouement américain des Québécois (à l’instar de beaucoup d’autres peuples). En effet, l’évolution de la politique et de l’économie mondiales laissent entrevoir que la fortune des Américains continuera à subir de sérieux contrecoups, ce qui devrait achever de les discréditer et de discréditer leur langue et leur culture aux yeux de leurs admirateurs. Pendant ce temps, au Québec, rien ne nous empêche de saper le prestige de leur culture tape-à-l’oeil – la moquerie est encore l’arme la plus efficace à cet effet – ni d’attirer aussi souvent que possible l’attention sur le dégonflement de leur «hyperpuissance». Il faut simultanément promouvoir notre civilisation française, d’abord pour sa valeur intrinsèque, mais aussi pour qu’elle remplace chez nous l’influence anglo-américaine.
Il y a donc un espoir : sur les trois entraves à la mobilisation examinées, il est possible de régler la première et de contenir la deuxième (avec beaucoup de travail, il est vrai), et la troisième devrait tomber graduellement – il ne restera qu’à en informer les Québécois.
Adressez vos commentaires à : yvesmenard1608@yahoo.fr
Vous vous retrouvez dans le texte de cette conférence ? Alors ne manquez pas de lire le numéro 3 de La Conscience nationale en version pdf à l’adresse suivante :  http://cercleraoulroy.canalblog.com/

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