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QUARANTE ET UN ANS APRÈS LE « BILL 63 »

QUARANTE ET UN ANS  APRÈS LE « BILL 63 »

par Yves Michaud

 À trois reprises (1996,2000, 2004), aux congrès d’un parti auquel  j’adhère encore -au nom d’une vieille espérance au bord de la lassitude – les dirigeants du Parti québécois écartaient la  proposition de militants  visant  à  faire du  français  la langue d’enseignement obligatoire jusqu’au cégep inclusivement. S’il faut en croire les augures, je  me réjouis que le prochain congrès du PQ adopte une résolution parrainée par Pierre Curzi, élargissant aux cégeps les dispositions de la loi 101.

J’ai  l’armure bosselée par des décennies de duels et de combats dans l’arène de la défense de la langue française. J’ai fait ce que dois, quitte à en payer le prix. « On ne paie jamais trop cher le privilège d’être son propre maître, écrivait Kipling.  Des forces irrésistibles venant du fond de notre histoire m’ont toujours porté à monter au créneau dès lors que je sentais la langue de mes pères et mères menacée, soit par les malfrats de l’assimilation, soit par des députés égarés et  pusillanimes, soit par des accommodements raisonnables d’un inter culturalisme corrosif et dissolvant de notre identité nationale. Depuis deux siècles et demi, notre peuple a préservé envers et contre tous l’essentiel de ses acquis culturels et linguistiques et la maîtrise au moins  partielle de son développement.

 Je ne suis pas de ceux qui tiennent notre culture pour passéiste. Nos pères et mères, nos enseignants, nos curés, nos paysans et travailleurs, ont fait ce que nous sommes. Ils sont la mémoire de notre histoire. Ils ont bien œuvré pour la suite du monde. Résistants, bien avant que le mot fasse fortune, ils ont permis malgré la soumission imposée à une couronne étrangère que le Québec conserve sa langue, sa  cohérence, sa dignité nationale et ses chances d’avenir.

Il y a quarante et un (41) ans, en novembre mil neuf cent soixante-neuf (1969) l’Assemblée nationale du Québec était saisie d’un projet de loi  visant à toutes fins utiles à bilinguiser le Québec. Je fus alors le premier député à démissionner  du parti sous lequel j’avais été élu,  afin de  mieux combattre cette proposition de loi suicidaire pour l’avenir du peuple québécois. Quelques jours après, René Lévesque venait m’épauler. Trois autres députés, deux du parti gouvernemental, l’Union nationale, et l’autre dont je ne sais plus quelle étiquette constituèrent ce que j’ai alors qualifié d’ «Opposition circonstancielle » pour faire échec à cet avatar maudit de législation linguistique.

Pendant que des dizaines de milliers de personnes manifestaient dans les rues de la Vieille Capitale, nous étions une poignée à nous opposer à une loi scélérate  contre un parlement benêt, insensible aux dangers du bilinguisme.  Le pire est que nos collègues étaient de bonne foi !   À cette époque, qu’est ce qu’on m’a m’a rebattu les oreilles, tant et plus sur les vertus de l’incitation, de l’attentisme, de la gentillesse, de l’apaisement, de la persuasion et toute autre procrastination de même farine.  La ritournelle n’a pas cessé.  C’est-à-dire, ce genre de discours inspiré de la vulgate coloniale, fédéraliste et assimilatrice qui nous reproche d’exister et nous culpabilise d’être ce que nous sommes.

Au crépuscule de ma vie, j’en ai toujours ras le bol d’un discours de soumis et de vaincus qui  nous invite infailliblement à remettre à des lendemains incertains et de plus en plus lointains des mesures d’urgence qui doivent être prises aujourd’hui.  Les assimilateurs se réjouissent de nous voir tomber dans le piège de la concession, de la mollesse et de l’indifférence. Ils sont d’une époque ou la prude Albion était maîtresse du monde. Ses enfants virent en Amérique , entrèrent en rébellion à propos d’une histoire de thé , et à partir d’une dizaine de colonies éparpillées, édifièrent la plus grande puissance économique du monde. Hors de la langue  anglaise,  point de salut. E pluribus unum.

Cinquante ans après le « Bill 63 » je ne suis pas moins inquiet, voire angoissé, devant l’avenir de notre langue, devant la laborieuse et difficile intégration de la majorité des immigrants au Québec.

Il faut renforcer la loi 101, dans les domaines de l’enseignement, de l’affichage, de l’ensemble de l’administration publique et para publique. Il faut assurer le plein rayonnement de notre langue nationale sans peur et indifférents aux calculs  de groupes, personnes, coteries, intellectuels prébendés, coalitions, financiers, lèches- partis centralisateurs, croque-mitaines du fédéralisme canadien assimilateurs et niveleurs de haut vol qui ne répugneront à aucune manœuvre pour nous maintenir en tutelle et  qui feront tout pour que nous ne soyons pas maîtres chez nous. Cette engeance exécrable nous a donné une jolie leçon de démocratie en volant le referendum de 1995. Pour avoir dit la vérité, un de nos hommes politiques les plus respectés et respectables, Jacques Parizeau, s’est vu honni par les chapelles soumises et bien-pensantes de la rectitude et de l’aplatissement.

Notre situation de minoritaires, voisins de la plus grande puissance assimilatrice économique et culturelle du monde, commande courage, volonté et fermeté. “Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, mais c’est la loi qui affranchit , disait Lacordaire.    Je ne suis pas peu fier, lorsqu’il s’agit de préserver l’essentiel de ce que nous sommes, c’est-à-dire le référent essentiel de notre nation, de me ranger dans ce que les chroniqueurs de la politique appellent les purs et durs, par opposition sans doute aux impurs et mous, velléitaires, frileux, pusillanimes, la plupart vivant en serre chaude dans des milieux relativement protégés contre l’envahissement de l’anglais et ne mesurant pas dans la vie concrète des Montréalais qui, eux, voient dans leur métropole, dans la deuxième ville de civilisation de langue française du monde, la déchéance de leur propre langue.

Churchill disait de Chamberlain et de Daladier, dirigeants de l’Angleterre et de la France en 1938, qu’ils avaient sacrifié leur honneur devant Hitler, pensant obtenir la paix en lui accordant concession sur concession. Résultat : ils n’obtinrent pas la paix, mais eurent à la fois et la guerre et le déshonneur. Les Québécois doivent éviter l’hara-kiri linguistique. L’action doit être prompte, ferme et vigilante. Pour jouir d’une tranquillité illusoire, pour ne pas ouvrir la « canette à vers » des débats sur la langue disent les apaisants, alors que les Montréalais constatent tous les jours l’érosion du français  et de son pouvoir d’attraction. 

D’autres solutions existent. Celle  du Conseil supérieur de la langue française, porte-parole du libre choix dont on nous rebat les oreilles depuis des lunes. Compte tenu de sa composition, il fallait s’attendre à des plats réchauffés.  La pire  d’entre elles est à faire dresser les cheveux sur la tête. Son propagandiste est  Gérard Bouchard, Co-président de la Commission de consultation du Québec sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2007-2008 :

« Notre proposition postule une reconnaissance du pluralisme. Mais elle suppose aussi une quête de solidarité, une volonté d’ouverture et d’engagement au-delà des frontières du groupe ou de la communauté, au-delà des protectionnismes culturels. En d’autres mots, elle reconnaît pleinement le principe de la diversité,*mais exige aussi de tous les partenaires qu’ils se départent de l’esprit de la souche. En l’occurrence: l’insécurité chronique et la méfiance qui poussent au repli et à la crainte de l’autre, qui entretiennent une mémoire exacerbée des vexations anciennes, qui durcissent les solitudes actuelles, compromettent les partenariats (sic), empêchent toute possibilité de greffe. En ce sens, tous ensemble, jeter les souches au prochain feu de la Saint-Jean? Pourquoi pas? Avec l’espoir raisonnable qu’à la longue, il pourrait naître de ces cendres (parmi quelques inévitables bleuets?) une espèce (sic) renouvelée, enrichie, comme il arrive parfois. »-  Le Devoir. 24 mars 1999

Ce texte me rappelle ma boutonneuse adolescence. J’ai déjà entendu ou lu quelque chose du genre : « Un homme nouveau, peut-être » ?

*.Les gras sont de l’auteur.

Yves Michaud

Ancien député à l’Assemblée nationale

Montréal, 6 avril 1011

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