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LA FRANCE UN PAYS CONQUIS?

En juin 2007, on pouvait voir dans les rue de la Baule (station balnéaire et ville de congrès réputée des Pays-de-la-Loire) un affichage publique qui avait ceci d’original qu’il était entièrement rédigé en … anglais. Il annonçait la tenue, sous l’égide d’une fondation européenne dont il sera question plus loin, d’une cinquième Conférence sur l’investissement dans le monde (WIC, World Investment Conference). Comme si les anglophones étaient en pays conquis ! Comme si les Baulois étaient tous nés dans le Bronx !

J’avais évoqué cet événement peu banal dans un courriel du 29 juin 2007. On pouvait, en effet, faire observer que les milieux d’affaires organisateurs de cette conférence semblaient ne pas bien savoir que la première des corrections (usage diplomatique) est de s’adresser dans leur langue nationale aux résidents du pays hôte d’une manifestation internationale. Ne pas bien savoir, non plus, que le français est langue officielle de l’Union européenne depuis l’origine, c’est-à-dire depuis 50 ans maintenant, très exactement à parité avec l’anglais, car il n’existe strictement aucun texte privilégiant celui-ci (mais peut-être serait-ce trop leur demander que de se souvenir également qu’aucun des pays fondateurs de la Communauté européenne n’était anglophone, la Grande-Bretagne ayant, alors, en 1957, refusé de se joindre aux Six).

Une septième conférence est prévue du 3 au 5 juin prochain, toujours à la Baule. On y débattra, notamment, de la question, exprimée en anglais bien entendu : “Sommes-nous nous sortis de la crise ?” (remarquons, à ce propos, que les experts et autres économistes n’ayant pas venu venir la redoutable crise financière qui s’est abattue sur la planète, on ne voit pas bien pourquoi ils sauraient maintenant en prévoir la fin). Des invitations on été lancées urbi et orbi, notamment par courriel, toujours en anglais bien entendu, sans un mot de français. Le député (de la 5ème circonscription des Yvelines) Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte, ardent défenseur de la langue française, en a reçu une. Il n’a pas apprécié du tout qu’on l’invite, en anglais, à participer à une conférence en France et il l’a vertement fait savoir. Un site est d’ailleurs dédié à cette manifestation bauloise : http://www.labaulewic.org/ Il s’est approprié le nom de la Baule, mais on n’y trouvera pas un mot de français, aucune traduction n’étant effectuée dans la langue de François René de Chateaubriand !

Cette conférence dite “La Baule-WIC” est organisée par la Fondation Europe Plus, créée par Ernst & Young (l’un des plus grands cabinets d’audit dans le monde, avec – avant la crise – 135 000 collaborateurs en tout, dont 5 000 en France) et par le groupe PGA (le premier réseau dans la distribution automobile en France, Hollande et Pologne, également présent dans la distribution de matériels de travaux publics, dans le capital risque et le développement, avec quelque 10 000 collaborateurs, toujours avant la crise actuelle bien entendu). Soutenue par la Commission européenne, elle s’est donnée pour mission d’oeuvrer en faveur d’une Europe “plus attractive et plus compétitive“. Il s’agit donc de ce que les anglo-saxons appellent un think tank (ou “laboratoire d’idées“, selon la terminologie officielle dans les pays francophones), l’un de ces groupes privés de réflexion et d’influence de l’action publique, qui auront tant fait pour imposer, avec le succès que l’on sait, l’ordre néolibéral dans le monde. Ces institutions de droit privé ont en général le même objectif : mettre la société au service de l’économie (par exemple en faisant pression sur les gouvernants pour que, petit à petit, soit abrogée la législation sur le repos dominical, qui date, en France, de la loi du 13 juillet 1906, et dont l’Assemblée nationale doit débattre prochainement, de nouveau, puisque le Premier ministre vient de déclarer vouloir une loi “avant l’été“). A noter, cela mérite d’être relevé ici, que les deux coprésidents et nombre de collaborateurs de la fondation sont français. On trouve donc avec cette conférence annuelle, qui se déroule à la Baule mais se veut en somme “hors sol“, une nouvelle manifestation, parmi une foule d’autres, de cette volonté délibérée des milieux d’affaires, commerciaux et patronaux d’évincer les langues nationales européennes au profit du seul anglais. Ils plaident, aujourd’hui, pour une langue unique (tout en faisant régulièrement l’éloge du “multiculturalisme“), comme ils ont plaidé, hier, pour une monnaie unique.

Cette manifestation de 2009 aura notamment pour “partenairesNantes Métropole et la Région des Pays-de-la-Loire. Peut-on attendre de ces deux administrations publiques territoriales qu’elles interviennent au profit de “la langue de la République” ? (selon l’article 2 de la Constitution). C’est fort peu probable, car cela semble bien être, trop souvent, très généralement, le cadet de leurs soucis. Elles sont, par contre, bien mieux disposées à l’égard de l’anglais, avec lequel, comme les entreprises commerciales auxquelles elles ont à coeur de ressembler, elles témoignent ostensiblement de leur volonté d'”ouverture au monde“, dans lequel elles voient un moyen “moderne” de promotion et de développement économique. “Envisagée sérieusement, la distinction convenue entre les secteurs public et privé n’a aucun sens” a écrit le grand économiste américain John Kenneth Galbraith (Les mensonges de l’économie, Grasset, 2004). A l’heure de la globalisation, cela est également de plus en plus vrai en France. Collectivités publiques locales (qui aspirent elles aussi, désormais, à une sorte de “multinationalité“) et entreprises commerciales s’emploient toutes à séduire le monde entier. Les premières pour attirer investissements et touristes sur leur sol, les secondes pour lui vendre leurs produits et services. On annonce, par ailleurs, la participation à cette conférence d’un membre du gouvernement français, Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Mais là encore, cette présence a peu de chances de profiter véritablement à la langue française. Mme Lagarde, qui a fait une brillante carrière au sein d’un des plus grands cabinets d’avocats américains (de 1995 à 2002, elle fut ainsi membre du Center for Strategic and International Studies, prestigieux think tank fondé en 1964 et basé à Washington), classée en 2002 cinquième femme d’affaires européenne par le Wall Street Journal Europe, ne fut-elle pas lauréate, en 2007, du Prix de l’Académie de la Carpette anglaise, au motif qu’elle communique couramment avec les services de son ministère en langue anglaise ?

Jean-Pierre Busnel
jpabusnel@wanadoo.fr

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