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LA BRETAGNE, « HAUT LIEU » DE L’IMPLANTATION BRITANNIQUE

J’écrivais récemment (mon courriel du 22 février) que la Bretagne était peut-être la région la plus anglicisée de France et que le "haut lieu" de l’implantation britannique y était, selon la presse, le pays de Ploërmel, dans le département du Morbihan. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple parmi une foule d’autres, que l’on voit fleurir partout, à Rennes comme dans la Bretagne profonde, des enseignes "show room", c’est-à-dire de salle d’exposition où l’on pourra voir, en ces temps de grave crise économique, de plus en plus de véhicules "low cost" (bas coût), alors que la très grande majorité des autochtones ne sait pas ce que ces expressions veulent dire (mais de cela les commerçants en question se moquent éperdument). Cela est si vrai qu’un récent article du quotidien régional Ouest-France (du 24/02/09) nous apprend qu’il a été possible à un jeune élève ingénieur de séjourner "chez une famille d’accueil britannique installée près de Ploërmel, en immersion totale, comme s’il avait traversé la Manche" (voir en pièce jointe). Voilà, en effet, qui est bien commode ! Que demander de mieux, en effet ?

Rémy, ce jeune élève ingénieur, avait besoin de perfectionner ses connaissances en anglais afin de réussir son test d’évaluation de langues. Ayant gardé un mauvais souvenir d’un précédent séjour Outre-Manche, il a passé une petite annonce dans Brit Mag, le magazine qui s’adresse aux Britanniques installés en Bretagne, mais aussi dans les Pays de la Loire et en Basse-Normandie. Un couple lui a répondu et a accepté de l’accueillir pour une semaine (moyennant 300 euros pour frais divers d’hébergement) : "il sera logé en France, mais nourri à la langue de Shakespeare" précise le quotidien régional, manifestement enthousiasmé par une telle aubaine. Ledit couple s’est installé en France, avec sa fille, il y a quatre ans, dans une petite commune à 11 kms de Ploërmel. "En Angleterre, on menait une vie stressante, et tout était bien plus cher qu’ici" explique Linda, l’épouse, qui ajoute : "ici, la vie est plus paisible" (on notera, à ce propos, que si bien des élites dirigeantes françaises se disaient fascinées par le modèle néolibéral anglais – depuis le déclenchement de la terrible crise financière qui a commencé à affecter le monde elles sont tout à coup devenues infiniment plus réservées – , les Anglais qui connaissent bien la France furent souvent les premiers à s’étonner de cet engouement). Pendant son séjour, dont il est ravi, Rémy va connaître "les repas au rythme anglais, les infos à la télé en anglais, la menuiserie avec l’époux, toujours en anglais". Tout en anglais, donc. Et pour cause : après quatre ans de séjour en France, Linda "comprend et parle un peu le français, son mari pas du tout". Le moins que l’on puisse dire est que ces sympathiques Anglais ne sont manifestement pas venus en France pour apprendre la langue de Molière ! Cela semble même être le cadet de leur souci (il est à remarquer que cette flagrante absence de réciprocité paraît parfaitement naturelle au rédacteur de l’article de presse en question auquel elle n’inspire pas le moindre commentaire).

Cette petite histoire touchante illustre le contraste saisissant existant entre les attitudes des Français et des Anglais en matière linguistique. Tandis que ces derniers, comme convaincus que leur langue est désormais celle du monde, ne font, sauf exception bien entendu, guère d’effort, voire pas du tout, pour apprendre le français, même lorsqu’ils vivent en France, les Français, eux, surtout bien entendu ceux des milieux commerciaux, non seulement ne ménagent pas leur peine pour essayer de "se mettre à l’anglais" tant bien que mal, mais font même tout ce qu’ils peuvent pour épargner aux anglophones d’avoir à apprendre le français. Car tel est bien l’un des buts de cette impressionnante prolifération de mots anglais qui, chaque jour plus nombreux, sont offerts à notre regard partout sur le sol de France, mêlés en vrac aux mots français dans une sorte d’ébauche de bilinguisme de bazar. Les "experts" de la publicité, de la communication et du marketing n’enseignent-ils pas, en outre, inlassablement, que cacher les mots français ne peut qu’aider à développer les chiffres d’affaires et à valoriser les images ? C’est bien ce que pense, par exemple, la société d’exploitation des Aéroports de Lyon qui vient de les débaptiser au profit de "Lyon Airports". Lesdits aéroports devant bénéficier ainsi d’une "nouvelle identité … plus forte, plus dynamique, plus internationale" ! Autrement dit, le mot aéroport, parce qu’il est français, aurait une connotation négative d’immobilisme, de petitesse, tandis que son remplacement par "airport" suffirait à tout changer. Quand elle s’essaie à se justifier, l’anglomanie atteint aisément des sommets dans le ridicule.

Inspiré par les dirigeants économiques et politiques, un double sentiment de détachement de la langue maternelle et de soumission linguistique à l’anglais se propage inexorablement dans la société française. Et c’est évidemment dans les jeunes générations qu’il prospère le plus aisément, le plus rapidement, l’attachement à la langue française étant évidemment une fonction croissante de l’âge des individus. Le terrain a été préparé – on ne le dit pas assez – par un événement de portée considérable, sans précédent historique, l’avènement, dans le troisième tiers du XXème siècle, d’une véritable culture mondiale de la jeunesse sous hégémonie anglo-saxonne écrasante. Très tôt, les adolescents – et même les enfants – de France et de Navarre sont familiarisés avec des mots anglais qu’utilisent en masse, presque exclusivement, les prospères industries qui, moyennant finance, s’emploient à satisfaire l’immense marché des jeunes et leurs multiples prédilections (habillement, jeux, sport, cinéma, télévision, alimentation, etc …), surtout par la musique (rock et dérivés) qui est leur grande et universelle passion. S’ajoute à cela l’attrait qui s’attache à un langage nouveau, importé, "neuf", qui incarne le mouvement, le changement, l’avenir, tandis que la langue française a contre elle d’être un héritage venu d’un lointain passé. Tel le téléspectateur armé de sa télécommande devant sa télévision, le sujet postmoderne jeune veut choisir son programme, c’est-à-dire son mode de vie. Il se réclame de l’innovation, voire de la rébellion, contre la tradition, de l’anticonformisme contre les usages et n’envisage nullement de mettre ses pas dans ceux de ses aînés.

Quant à l’attachement des plus âgés à la langue française, il ne se manifeste aujourd’hui, hormis quelques talentueuses exceptions, qu’avec la plus remarquable discrétion. Le reproche constant qui leur est fait de manifester une fidélité quelconque, même timide, aux valeurs désuètes d’autrefois s’est révélé une forme d’intimidation particulièrement efficace. On craint par dessus tout de paraître dépassé, de ne plus vivre avec son temps, d’être catalogué conservateur (un très gros mot par les temps qui courent), rétrograde ou attardé (y compris par des membres de sa propre génération). On espère échapper à la dévalorisation des fonctions de la maturité en essayant de montrer que l’on est au moins resté "jeune dans sa tête". La modernité a ainsi convaincu les "anciens", sans grand mal, que la génération précédente n’est pas là pour imposer ses normes, mais plutôt pour aider les jeunes à trouver les leurs. Pour être "moderne", pour être un bon sujet de la mondialisation marchande, il convient de démontrer que l’on est définitivement affranchi de cette "crispation identitaire et passéiste" que représenterait le seul fait de vouloir continuer à parler français en France.

Jean-Pierre Busnel
Président de l’IAB


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