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LES FRANÇOIS DU CANADA

CHRISTIAN NÉRON
L.L., LL.B., D.E.S., M.A.

Membre du Barreau

Québec, le 16 juin 2008

Madame Marie Mance Vallée
3555, rue Berri, app. 1203
Montréal (Québec)
H2L 4G4

RE : AVIS JURIDIQUE
Votre demande d’émission d’un certificat de nationalité française

Chère madame,

La présente a pour objet de donner suite à votre demande de faire le point sur votre requête d’émission d’un certificat de nationalité française adressée au Service de la nationalité le 7 septembre 2007. Votre dossier incluait les pièces établissant votre identité, celle de vos ancêtres censés vous avoir transmis la nationalité française « de jure sanguinis », ainsi que l’argumentation visant à établir votre possession d’état de Français. Dans une décision du 12 mars dernier, madame Emmanuelle Cadier, Greffière en chef, a répondu à votre demande, statuant qu’un certificat ne peut vous être délivré, et ce, pour les raisons ci-dessous :

« En effet, à supposer votre qualité d’originaire de France établie, votre nationalité ne peut avoir sa source que dans la filiation.

Vous-même et celui de vos ascendants susceptible de vous avoir transmis la nationalité française, fixés à l’étranger depuis plus d’un demi-siècle, n’avez pas eu de possession d’état de Français. Vous êtes donc irrecevable à faire la preuve que vous avez par filiation la nationalité française (article 30-3 du Code civil). »

Une décision en ce sens était prévisible, puisque de nombreux Québécois se sont vus refuser pareil certificat en se faisant opposer une fin de non-recevoir, selon ce que prescrit le Code civil français à l’article 30-3 :

« Lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. »

(Notre souligné)

La question de la preuve de la possession d’état ne se posait pas, dans l’ancien droit, puisque la tradition légale ne fixait aucun terme à la transmission de la nationalité « de jure sanguinis ». Le législateur français en est venu à rejeter ce principe par l’adoption de l’article 144 (devenu 30-3), lequel requiert la preuve de la possession d’état pour les Français établis à l’étranger depuis plus d’un demi-siècle. Cet article ne vise aucunement à déterminer une cause quelconque à la perte de nationalité. Tout au plus établit-il une règle mettant un terme au principe de la transmission indéfinie de la nationalité française en lui opposant une fin de non-recevoir. Pour de plus amples informations sur la question de l’ancien droit constitutionnel à l’égard des « habitans françois du Canada », je vous invite à consulter le mémoire du 17 avril 2006 en vous référant au site de Voxlatina (www.voxlatina.com/vox_dsp2.php3?art=1974).

Le Dr François Lubrina, président du Rassemblement des Français canadiens, s’est appliqué, en 1987, à faire abroger la disposition portant sur la fin de non-recevoir. À l’occasion des auditions de la Commission des Sages sur la réforme du Code de la nationalité, il a présenté un mémoire et a comparu devant les commissaires pour réclamer un amendement à l’article 144 (devenu 30-3). Malencontreusement, la Commission a jugé qu’il n’était pas utile de rétablir le principe de la transmission indéfinie de la nationalité « de jure sanguinis ». Mais le législateur, soumis à une forte pression de sénateurs représentant les Français de l’étranger, a adopté une disposition de la dernière chance, l’article 21-14, afin de permettre à toute personne qui s’est fait opposer la fin de non-recevoir de l’article 30-3 de réclamer sa « réintégration » dans la nationalité française en souscrivant une déclaration devant un juge d’instance ou un consul en poste à l’étranger. Cet article 21-14 se lit comme suit :

Les personnes […] à qui a été opposée la fin de non-recevoir prévue par l’article 30-3 peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants.

Elles doivent avoir soit conservé ou acquis avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial, […] .

Les descendants des « habitans françois du Canada » ne pouvaient espérer du législateur une disposition plus réparatrice que celle-là. La fraternité française prenait une dimension légale, et la promesse du général de Gaulle enfin matérialisée :

« Il y a longtemps que (la France) vous doit quelque chose; eh bien! la France veut vous rendre ce qu’elle vous doit… »

(Le 24 juillet 1967, à Berthier, Québec)

Madame la greffière, dans sa décision du 12 mars dernier, n’a aucunement cherché à questionner l’authenticité de votre origine française « de jure sanguinis », telle que dûment établie. Elle s’est plutôt limitée, en conformité à la loi, à vous signifier la fin de non-recevoir établie à l’article 30-3.

Au deuxième alinéa de l’article 21-14, il est de plus exigé de la personne qui réclame sa réintégration dans la nationalité française de faire la preuve qu’elle a conservé avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial. Une circulaire portant le numéro 94-16, adoptée le 27 juin 1994, vient en faciliter l’interprétation légale. Le législateur invite les magistrats et consuls à faire montre d’une certaine ouverture d’esprit lorsqu’il s’agit d’évaluer la preuve du maintien des liens manifestes avec la France. Entre autres exemples, on y donne celui d’une personne qui ferait partie d’une association faisant la promotion de la langue française, ou celui d’une autre qui enverrait ses enfants étudier dans une école française. De telles preuves sont faciles à établir pour des personnes qui habitent un territoire où l’on fait la promotion et la défense de la langue française depuis quatre siècles. Est également exigée la production d’une copie intégrale de l’acte de naissance et les actes de l’état civil attestant de l’existence d’un ascendant susceptible d’avoir transmis au requérant la nationalité française « de jure sanguinis ». Toute cette preuve est déjà à votre dossier.

Ainsi, vous aurez réalisé que, à la lumière de la circulaire de 27 juin 1994, l’interprétation de l’article 21-14 du Code civil français ouvre résolument la porte à votre réintégration dans la nationalité française, ce qui est également le cas pour l’ensemble des descendants des « habitans françois du Canada ».

Ex evidentia patet.

Telle est, madame, ma lecture des différentes dispositions de la loi qui appuient votre démarche. Recevez, en même temps, l’expression de mes sentiments distingués.

Christian Néron

  Me Christian Néron
594, rue Saint-Patrick
Québec (Québec)
G1R 1Y8

 

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