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LE FRANÇAIS EN MILIEU MINORITAIRE

Le bilinguisme en contexte minoritaire

Sommaire : Cette présentation sera une revue de principes sociolinguistiques nécessaires à une pédagogie du français et en français en milieu minoritaire quelque peu réaliste.

La pédagogie ne peut pas remplacer à elle seule la société ni renverser des tendances lourdes. Des forces convergentes entre les lois, les institutions et les individus doivent s’unir pour qu’une société minoritaire se maintienne.

Notre propos s’oppose aux positions politiques courantes qui tiennent pour acquis que la dynamique actuelle est la meilleure.

Mots clé : bilinguisme, minorité linguistique, identité, appartenance, didactique du français

Introduction

Cette présentation sera une revue de principes sociolinguistiques qu’il faut respecter pour concevoir une pédagogie du français et en français en milieu minoritaire quelque peu réaliste.

La pédagogie ne peut pas remplacer à elle seule la société ni renverser des tendances lourdes du domaine politique et social. Des forces convergentes entre les lois, les institutions et les individus doivent s’unir pour qu’une société minoritaire se maintienne. Dans le contexte d’une table ronde, nous tentons de résumer l’essentiel pour que s’ouvre un débat constructif sur le bilinguisme.

Notre propos s’oppose aux positions politiques courantes qui tiennent pour acquis que la dynamique actuelle est la meilleure.

Au Canada, c’est dans la Charte canadienne des droits et libertés (article 16 pour l’usage du français et de l’anglais dans la fonction publique et article 23 pour le droit à l’instruction dans la langue de la minorité) que sont explicités les termes des droits linguistiques. Cette protection est traduite dans la loi sur les langues officielles modifiée en 2005 à l’article 77 pour rendre justiciable, c’est-à-dire pouvant faire l’objet de recours devant les tribunaux, l’obligation de prendre des mesures positives et de fixer en conseil les modalités d’exécution de ces mesures.

Le bilinguisme canadien en contexte de minorité jouit de lois qui assurent son fonctionnement. Cette autorisation se transforme en institutions autonomes en éducation, santé, services sociaux, justice et culture. Ainsi, les individus maintiennent l’usage de leur langue et participent à la vitalité du groupe linguistique. Ces trois niveaux d’organisation (lois, institutions, individus) s’inscrivent dans une dynamique soit valorisante, soit amenuisante.
Nous allons voir les conditions de réalisation particulières au contexte minoritaire français au Canada.

I – De quelques constats sociopolitiques entourant le faire vivre des identités francophones en contexte de minorité.

1- Il est difficile de cerner des lois universelles concernant les usages de deux langues ou plus.

« Parler dans sa seconde langue à ses enfants en fera des bilingues. » FAUX

CONSTAT :

La linguistique a fait ressortir au cours des ans des lois fortes concernant l’usage, l’apprentissage et le maintien d’une langue. La notion d’économie linguistique par exemple, une des premières dues à Saussure, ne se vérifie pas en situation bilingue. Une autre affirmation forte de la linguistique : la langue est avant tout sociale. En situation de bilinguisme, il y a souvent une division des attentes sociales, c’est-à-dire que les membres de langues différentes s’attendent que l’autre parlera dans leur langue.

En situation bilingue, la même pratique linguistique peut donner des résultats opposés selon les facteurs sociolinguistiques en place. Par exemple, une mère francophone rencontrée en Floride ne parle qu’en anglais à sa fille de 3 ans. La famille vit aux É.-U. et le père est américain. Les grands-parents québécois baragouinent un anglais approximatif. Pourquoi lui enseignerais-je ma langue maternelle me répond-elle? Son père est anglais et nous vivons aux États-Unis. Conséquence : l’unilinguisme de l’enfant. Cas typique d’une assimilation à l’autre langue dominante en trois générations. D’unilingues français à unilingues anglais. Aucune suite à attendre du point de vue de la linguistique à moins d’une attraction subconsciente, comme ils s’en présentent quelquefois, par un retour vers la langue maternelle perdue. Cet exemple est celui de 44 % des francophones de langue maternelle en Ontario. La petite Isabelle américaine est devenue unilingue par un choix conscient de sa mère. En Ontario, 44 % des enfants ne parlent pas français à leur arrivée à l’école. Ici, le choix est moins délibéré. Il est la conséquence d’une socialisation moins planifiée. Au Québec, il y a 14 % des anglophones qui maîtrisent le français (330 000 sont unilingues) contre 42 % des francophones qui maîtrisent l’anglais. Il y a presque autant de francophones du Québec qui maîtrisent l’anglais qu’il y a de Franco-Ontariens qui ne maîtrisent plus le français. Pourquoi ces variations? Des pratiques similaires donnent des résultats opposés. Et pourtant, la perception populaire ne correspond pas à ces faits. Beaucoup diront que les Québécois francophones sont unilingues, qu’il y a peut-être 10 % des Franco-Ontariens qui ne maîtrisent pas le français. ON ROULE SUR UNE CREVAISON!

Second exemple : une mère presque unilingue anglaise accepte de faire du français la langue unique de ses enfants à la maison. Cette famille vit à Orléans en Ontario. Les enfants sont inscrits en garderie française dès l’âge de 18 mois. Le plus âgé fréquente maintenant l’école française. Vers l’âge de quatre ans, l’aîné commence à parler en anglais avec des amis de son père, unilingues anglophones. Vers six ans, tous ses amis dans son quartier sont unilingues anglophones. Conséquence : deux enfants franco-dominants, mais maîtrisant l’anglais. Histoire à suivre : seront-ils franco-dominants dans leur adolescence et comme jeune adulte?

ÉVALUATION :

Le maintien de deux langues se vérifie dans un rapport de force contextuelle et politique. Le poids de la langue dominante doit être contrebalancé par des mesures.

Le maintien de la langue minoritaire n’est assuré que par des interventions sociales précises. Le laisser-faire revient à accepter l’assimilation.

2 – Le bilinguisme individuel peut être un avantage si le bilinguisme social et institutionnel lui offre des contextes favorables.

On vante souvent le bilinguisme comme un avantage individuel. « Au moins, moi, je suis bilingue. »

CONSTAT :

Si une personne perd l’usage de sa langue première selon une certaine pratique du bilinguisme, on ne peut plus parler d’avantage. On ne peut plus parler de bilinguisme non plus. On oublie trop souvent de qualifier ce qu’on entend par bilinguisme. Mal parler deux langues n’est pas un avantage non plus. S’imaginer utiliser autant une langue que l’autre alors que la réalité ou l’analyse des pratiques montre le contraire conduit à l’unilinguisme à plus ou moins brève échéance.

ÉVALUATION :

Les perceptions que l’on tient de sa propre langue en situation de bilinguisme sont souvent erronées.
Une expérience culturelle ne peut pas se satisfaire des lois de la nature. Le plus fort l’emporte.
Seul l’aménagement linguistique garantit le maintien d’une langue minoritaire : aménagement du territoire, des règles d’usage, de pratiques valorisantes. Ce faisant, il y aura des irritants parce qu’il y aura interventions. (Voir par exemple l’affichage bilingue des commerces dans l’Est ontarien dans le village de Russel)

3 – Tout transfert linguistique ne mène pas directement vers l’acculturation. Un souvenir symbolique de sa langue maternelle peut contribuer à la conservation de l’identité au groupe d’attache. (Edwards 1985)

« Of course I’m French. My grand-father on my mother’s side was French. »

CONSTAT :

Est-il nécessaire de vérifier tous les jours si le feu brûle?

On demande combien de non parlants français un milieu scolaire peut absorber avant qu’il ne s’anglicise lui-même. L’énoncé de départ suppose que l’on est attaché à une langue de façon inconsciente et que cela suffit à en assurer le maintien. On peut perdre sa langue et préserver sa culture. Pour toutes vraies qu’elles sont, ces affirmations ne constituent pas des preuves de vitalité du groupe.

ÉVALUATION :

Dire que la langue est une essence qui coule dans nos veines, qui s’imprègne dans la mémoire n’est pas faux, mais cela demeure sans conséquence pour les pratiques linguistiques elles-mêmes.

Une langue est avant tout un fait social, donc construite à partir d’interactions, d’échanges, de transactions, y compris celles du subconscient et des empreintes symboliques. On ne peut ni compter sur des interactions sociales seules pour maintenir une valeur symbolique comme le langage ni espérer que des forces symboliques aillent la faire revivre. SURVIVANCE et ANGÉLISME

Une pratique artificielle ne suffit pas à motiver l’usage normal d’une langue. Évoquer la valeur symbolique de l’appartenance non plus. La première donne accès au code; la seconde vise à faire d’une conséquence une cause. Une langue se vit pleinement dans des échanges authentiques. Ces affirmations seront à revoir au niveau pédagogique: tout le défi de la pédagogie en milieu minoritaire se trouve là (pratique authentique ou artificielle et valeur symbolique intériorisée ou imposée). L’appartenance est la conséquence de pratiques saines et de valeurs symboliques intégrées.

4 – Le minoritaire est souvent placé en situation de discordance et de forclusion. Ne pas parler français, c’est être coupable de négliger ses droits. Ne pas parler anglais, c’est être coupable de ne pas s’intégrer à la norme. Le modèle proposé de bilinguisme officiel tend à renforcer l’ambiguïté. Quelle est l’ambiguïté? Devoir jouer caméléon : se faire oublier comme francophone, parler plus souvent en L2. Ne pas se sentir citoyen de plein droit : parce que la vie institutionnelle est prévue en anglais (voir les exemples en formation dans la fonction publique, l’université bilingue, la vie associative, le bénévolat canadien, , etc.). La plupart des fonctionnaires francophones préparent des dossiers se rapportant à la francophonie canadienne en anglais parce qu’ils répondent à des supérieurs hiérarchiques unilingues anglophones.

Pris entre l’enclume et le marteau! Damned if you do, damned if you don’t !

CONSTAT :

« Si je parle plus en anglais, les anglophones vont comprendre que je fais des efforts et que je suis de bonne volonté et ils vont être inspirés à apprendre le français. »

« Parler français, c’est une question de volonté. Ceux qui ne le font pas ne sont pas fiers de leur langue. »
Au Congrès FIPF, à Lausanne en 1992, Janik, ma fille de 18 ans à l’époque et la fille d’une collègue mexicaine ont échangé toute la journée en français. Ma fille de me dire le soir : « Je n’aurais jamais pu faire cela avec mes amies anglophones au Canada. Pourquoi? » Que demande Janik? Quelle est la norme? Je viens de parler en français avec une personne dont c’est la langue seconde, je me sens bien. Je parle en anglais au Canada avec des anglophones, je me sens bien de pouvoir intégrer la norme anglaise, mais je suis coupable de négliger ma propre langue.

ÉVALUATION :

Le bilinguisme officiel canadien est hautement fondé sur une réciprocité qui n’existe pas.

Il y a une norme attendue non respectée qui voudrait que le bilinguisme soit un état de fait général. D’où les politiques universelles, de l’égalité pour tous et d’exceptions pour personne. Subventionner les universités anglophones du Québec au même titre et plus que les universités bilingues ou francophones hors Québec perpétue l’inégalité. Ne fonder le soutien aux écoles françaises que sur une base des nombres sans tenir compte d’autres conditions (éloignement, ruralité, distance, désavantage économique, supplément de travail, programmes pour ayants droit, francisation, soutien technique, infrastructures sportives ou culturelles, etc.) constitue une gestion de la décroissance sans plus.

Valoriser le bilinguisme sans tenir compte des différences contribue à minimiser la place du français. Par exemple, les anglophones de l’ouest de l’Outaouais au Québec appuient la politique de l’affichage bilingue dans l’est de l’Ontario. Pourquoi? Parce qu’ils veulent la même politique au Québec. Où est la différence? Une visite dans le Pontiac vous convaincra. Presque tous les Anglophones, même les adolescents, sont unilingues anglais. Donc, en Ontario, l’affichage bilingue stimule le maintien du français. Au Québec, il assure l’unilinguisme des Anglophones.

II – Des fondements didactique d’une langue maternelle ou première en milieu minoritaire.

2.1 Une bonne pratique didactique n’est réalisable que dans un contexte sociopolitique la soutenant.
Dans le milieu scolaire, le contexte sociopolitique a trait aux diverses pratiques d’aménagement linguistique à mettre en œuvre. Code d’échange entre parents unilingues ne parlant pas la langue de l’école, francisation, accompagnement dans les devoirs, activités culturelles, etc.

Des sommaires de ces réalisations sont disponibles dans plusieurs communications, mais la cueillette et l’analyse des bienfaits est toujours à reprendre selon l’évolution de la société.

2.2. La conscientisation aux facteurs déterminant les dynamiques des bilinguismes doit faire partie du curriculum.

Un vade-mecum des facteurs les plus déterminants devrait faire partie des connaissances et même des compétences professionnelles du futur enseignant en milieu minoritaire. Sinon, il ne saura pas intervenir en positivant la base linguistique de ses élèves et aussi, il se découragera devant autant d’obstacles. Bilinguisme additif, soustractif, appartenance, survivance, vitalité, équivalence, discordance, forclusion, assimilation, maintien, épanouissement culturel, etc. sont à apprendre.

2.3 « Il n’y a de véritable apprentissage que celui qui est pleinement vécu. » Vigotsky

Le plus possible, l’enseignement du français et en français en situation de minorité doit se donner des pratiques réelles de communication visant à faire en sorte que les apprenants soient en contact avec une variété de rôles, de discours, de situations culturelles. L’enseignement par projet, le projet d’école, la relation école/foyer/communauté, toutes formes qui rendent le français présent, actif, attrayant, utile seront les bienvenues.

2.4 Cultiver une attitude de sérénité et la partager.

La vie minoritaire n’est pas celle de victimes. Elle n’est pas vouée à une disparition ni totale ni immédiate. Comment instruire le pédagogue de l’énergie à insuffler en salle de classe et à l’école? Comment ne pas subir soi-même le poids de la minoritude pour ne pas le transmettre?

  1. Un programme de francisation culturelle : se donner des repères et des points d’ancrage à la vie culturelle de langue française.
  2. Acquisition des connaissances psychologiques et spirituelles concernant la dynamique comme être minoritaire.
  3. Vision de la complétude institutionnelle et de la solidarité des points d’appui. La tendance à l’isolement conduit à l’esprit de survivance : spirale vers l’assimilation.
  4. Voir de haut et de loin. Le bilinguisme est un promontoire : hume l’air, savoure les différences, affirme ta particularité (elles se valent toutes).

Conclusion

Il faut prendre conscience des facteurs assurant la vitalité linguistique et culturelle d’un groupe minoritaire dans ses dimensions les plus larges avant de concevoir une intervention pédagogique précise. Sinon deux obstacles vont s’annoncer : l’activisme pédagogique et le travail à rebours contre des forces assimilationistes.

Ces connaissances sur la dynamique des langues en présence doivent être partagées par tous les décideurs, peu importe leur niveau d’intervention. Elles doivent être partagées aussi avec les membres de l’autre communauté. C’est pourquoi il faut des ponts entre les cultures. Le Commissaire aux langues officielles, la Fédération des communautés canadienne-française et acadienne, la Canadian Parent for French, entre autres, ont pour mission de propager des valeurs qui rehaussent le maintien du français langue maternelle minoritaire.

Il faut se départir à la fois des professeurs du désespoir et des vendeurs d’illusion conceptuelle. Un démographe qui démontre qu’il y a érosion progressive n’est pas un professeur du désespoir. Il fait son travail et il travaille consciencieusement avec des données vérifiables. Dire que tout transfert linguistique ne mène pas à l’acculturation n’est pas faux, mais l’affirmation est trop naïve pour produire une véritable prise sur le réel. La survie ne suffit pas. L’autarcie et l’autonomie ne sont indispensables que parce qu’elles ouvrent la voie au « devenir-sujet ». On ne peut pas faire semblant d’être francophone. C’est une question d’amour, de générosité, de volonté.

Comme il y a quelque 6500 langues différentes dans le monde, quelqu’un est toujours le minoritaire de quelqu’un d’autre. Le minoritaire réhabilite le citoyen. Pourquoi? Il nous rappelle chaque jour la valeur des acquis de respect, de dignité et d’égalité entre les humains. On ne peut pas laisser se colporter l’idée qu’une minorité est un repli communautaire, une excroissance de la société progressiste en marche vers l’universalisme. La minorité rappelle le civisme et les principes de démocratie aux démocraties elles-mêmes.

Sources :

Cazabon, Benoît, 2007, Langue et culture. Unité et discordance, Sudbury, Prise de parole, coll. Agora, 294p.
Cazabon, Benoît, 2005a, Pour un enseignement réussi du français langue maternelle: fondements et pratiques en didactique du français, Sudbury, Prise de parole, coll. Agora, 204p.

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