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ANGLOMANIE

La 53éme édition du concours Eurovision de la chanson se déroulera le 24 mai à Belgrade, en Serbie. Pour représenter la France, le groupe France Télévisions, qui est un service public, a choisi, le 7 mars 2008, de faire appel à M. Sébastien Tellier qui chantera en … anglais (la chanson, intitulée "Divine", est extraite de son dernier album, "Sexuality"). La chaîne France 3 diffusera la finale du concours en direct depuis Belgrade. Encore une grande première dans la déferlante anglomaniaque qui a tout de même réussi, cette fois, à soulever quelqu’émoi en France ! Au moins peut-on espérer que de telles provocations aideront les Français à sortir enfin de leur torpeur et à prendre conscience des graves dangers qui menacent de plus en plus leur langue. Deux députés (de la majorité), MM. François-Michel Gonnot et Jacques Myard ont ouvert les hostilités contre ce choix scandaleux effectué par le service public. Pour le premier cité : "beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas que la France renonce ainsi à défendre sa langue devant des centaines de millions de téléspectateurs de par le monde". Le second parlementaire, que nous avons déjà cité à plusieurs reprises et qui est un défenseur résolu de la langue française, lui a emboîté le pas en demandant à M. Patrick de Carolis, président de France Télévisions, "dont le cahier des charges impose la défense de la langue française, de réviser son choix pour respecter ses obligations".

Le secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, M. Alain Joyandet s’est "ému", mercredi dernier, que la France soit représentée par un artiste qui va chanter en anglais et il lui a demandé "d’honorer" la langue française : "Lorsqu’on a l’honneur d’être sélectionné pour représenter la France, on chante en français". Le secrétaire d’Etat a fait cette déclaration depuis le Québec, où il se trouvait en déplacement. Peut-être cela est-il pour quelque chose dans cette judicieuse prise de position (encore que ce soit le service public de télévision qui soit à incriminer dans cette affaire plutôt que le chanteur) ? A l’inverse, interpellée par les deux parlementaires en question, la ministre de la Culture et de la Communication, Mme Christine Albanel, a jugé qu’il "fallait être complètement derrière" Sébastien Tellier, tout en jugeant "dommage que ce ne soit pas une chanson française" qui représente la France. Toute l’impuissance, la résignation, la soumission, la démission de certaines "élites dirigeantes" françaises, et notamment politiques, sont dans ce pitoyable "dommage" ! Une dérobade qui ne fait jamais que refléter, après bien d’autres, la préoccupante subordination croissante du pouvoir politique aux intérêts économiques et commerciaux, même lorsqu’ils sont exercés par un service public sur lequel la ministre n’a, semble-t-il, strictement aucune autorité.

Le chanteur en question (33 ans) doit être bien étonné par cette polémique qui, peut-être, lui fait brusquement prendre conscience de l’existence d’un autre monde que celui qui lui est familier et dans lequel il évolue, celui des "jeunes". Bon prince, il a du reste bien voulu faire savoir, tout récemment, qu’il allait "rajouter quelques lignes en français dans la chanson". N’appartient-il pas, en effet, à une culture musicale "moderne" qui a comme terreau la pop anglo-saxonne et non la (ringarde) chanson française d’autrefois, à textes ? Le rock n’est-il pas devenu le langage universel des jeunes et l’anglais n’est-il pas considéré par ces musiciens comme le seul vrai langage du rock et de la pop ? Ce chanteur n’est-il pas l’une des figures emblématiques de la "culture jeune", qui fut la matrice de la grande révolution culturelle du dernier tiers du XXème siècle, dont l’une des grandes particularités est son étonnant internationalisme et cosmopolitisme (c’est pourquoi l’attachement à la langue française est, cela saute aux yeux, on ne le souligne pas suffisamment, une fonction croissante de l’âge) ? Il y a bel et bien, désormais, une culture mondiale de la jeunesse et elle est sous hégémonie anglo-saxonne écrasante.

La musique est sans doute aujourd’hui l’une des plus grandes, sinon la plus grande passion des jeunes du monde entier. Et c’est la découverte de ce marché de la jeunesse, de la puissance de l’argent des jeunes, au milieu des années 1950, qui a révolutionné la musique pop. Pour satisfaire les diverses prédilections adolescentes dans tous les pays, une immense industrie et d’énormes marchés se sont développés. Il est bien évident que c’est pour tirer le maximum de profits d’une chanson quelconque, pour la vendre au mieux dans le monde entier, que l’anglais est préféré au français. On peut bien, si l’on veut, parler de "culture musicale" – et d’ailleurs qu’est-ce qui n’est pas "culture" par les temps qui courent ? – mais cette musique est d’abord un fructueux commerce, parmi d’autres, et c’est là, une fois encore, l’explication centrale de l’exclusion du français dont il est question ici.

Le 18 avril, le Pape Benoît XVI s’est exprimé devant les représentants des 192 Etats membres de l’Organisation des nations unies à New York. Il est le troisième pape à profiter de cette tribune, après Paul VI en 1965 et Jean Paul II en 1979 et en 1995. Bien que cela n’ait pas été suffisamment relevé par la presse, il l’a d’abord longuement fait en français, puis en anglais. Certains auront pu s’étonner de cette fidélité aux usages diplomatiques du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème (le tout début du déclin du français langue diplomatique date probablement du Traité de Versailles du 28 juin 1919, traité de paix entre l’ Allemagne et les Alliés de la Première Guerre mondiale). Mais ce serait oublier – le fait est certes peu banal désormais – que le Pape ne fait pas de commerce …

Jean-Pierre Busnel
jpabusnel@wanadoo.fr

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