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LA SOUVERAINETÉ

La question nationale au Québec ne cessera pas demain d’occuper le devant de la scène. L’agitation opportuniste des éditorialistes et des chroniqueurs de Gesca, qui brandissent des sondages comme toile de fond de l’arrivée de Pauline Marois à la tête du Parti québécois, est la preuve que l’indépendance du Québec demeure toujours un projet bien vivant, qui fatigue beaucoup les valets du fédéralisme et les autonomistes velléitaires.

Dans son éditorial du 30 juin, André Pratte cultive l’amnésie et prête aux jeunes Québécois une indifférence que révèleraient les sondages. Il écrit: «Pour les jeunes, le rapatriement unilatéral de la constitution, l’échec de Meech, c’est de l’histoire ancienne.» M. Pratte aime fait croire aux gens que la vérité est dans les sondages. C’est bien connu. Que les sondages puissent révéler plutôt l’ignorance ou la confusion lui importe peu. Si nous n’étions pas nés lorsque Gutenberg a inventé l’imprimerie, c’est qu’elle n’existe plus aujourd’hui! Si la majorité des gens pense que la terre est plate, c’est qu’elle doit être plate!

Donc, l’indépendance du Québec serait une idée dépassée, à laquelle plus grand monde ne croirait, puisque les raisons de réaliser l’indépendance du Québec n’existeraient plus, compte tenu des beaux gestes de M. Harper. Voyons donc ce qu’il en est dans les faits. La souveraineté est-elle encore nécessaire pour le Québec?

Première condition: l’identité de la nation

Une nation ne devient pas souveraine pour des raisons comptables. On peut faire des calculs pour montrer comment une nation est infantilisée ou asservie par une autre ou pour montrer comment l’argent d’une nation sert à dissoudre son identité dans une autre, mais en fin de compte, une nation cherche à devenir souveraine pour des raisons identitaires. Tant que l’identité d’une nation est bien vivante, elle nourrit le désir de souveraineté.

Or, grâce avant toute chose au mouvement indépendantiste, les Québécois ont certainement aujourd’hui beaucoup plus conscience de leur identité collective que ce n’était le cas au début de la Révolution tranquille. À l’époque, les Québécois se disaient surtout «canadiens-français». En 2007, les Québécois sont très conscients de leur identité québécoise et la placent même généralement avant leur identité canadienne. Ils sont attachés à leurs valeurs, à leur langue, à leur histoire et à leur culture. Ils se distinguent nettement des autres Canadiens, y compris des Canadiens français des autres provinces.

Première condition remplie.

Deuxième condition: la persistance du principe de la souveraineté dans le monde

Depuis la naissance du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), au début des années soixante, de nombreux États souverains ont vu le jour, et aucun État n’a accepté de renoncer à sa souveraineté. La vague de mondialisation n’y a rien fait: la souveraineté est un concept tenace auquel sont très attachées toutes les nations du monde, qui se reconnaissent bien davantage dans leur État que dans n’importe quelle institution internationale.

Allez donc demander aux fédéralistes centralisateurs d’Ottawa, qui qualifient parfois de «dépassé» le projet souverainiste québécois, pourquoi ils ne renoncent pas, eux, à la souveraineté du Canada. Les Canadiens sont fiers de leur identité et s’emploient constamment à se distinguer et à se démarquer des Américains. Même si on entend parfois des boutades annexionnistes en réaction au projet sécessionniste des Québécois, les Canadiens ne souhaitent aucunement se fusionner aux États-Unis. Alors, en toute logique, ils ne peuvent pas reprocher aux Québécois de vouloir être souverains eux aussi, à moins de nier l’existence de la nation québécoise, ce qui n’a aucun sens comme a bien dû l’admettre récemment Stephen Harper.

Les détracteurs de la souveraineté citent en exemple la Communauté européenne. Ils décrètent la mort de l’idée d’État-nation. Pourtant, force est de constater que le modèle d’intégration à l’européenne s’appuie sur des États souverains, constitués pour la plupart d’une seule nation, dont les populations consentent à déléguer une partie de leur souveraineté. Rien à voir avec la domination que subit le Québec au sein de la fédération canadienne. Les Québécois, faut-il le rappeler, n’ont jamais adhéré librement et démocratiquement à la fédération canadienne.

Donc, la souveraineté est toujours un concept déterminant pour l’humanité tout entière. Les relations entre les peuples de la terre reposent en grande partie sur le principe de la souveraineté, qui est en somme garant de la diversité et de la liberté des êtres humains.

Deuxième condition remplie.

Troisième condition: la domination subie par la nation québécoise

L’un des principaux arguments de ceux qui disent ne plus voir l’utilité du projet souverainiste est le sentiment qu’auraient selon eux les Québécois de ne plus être les colonisés d’autrefois. Le mouvement indépendantiste aurait eu comme effet d’aider le Québec à s’affranchir au sein de la fédération canadienne.

Pourtant, il est évident que, depuis 1867, la nature profonde du fédéralisme canadien n’a pas changé dans le sens des aspirations du Québec. Au contraire, bien que le Canada soit devenu un État souverain en 1931 et qu’il se soit affranchi du pouvoir britannique, Ottawa n’a fait que remplacer Londres dans la perspective du Québec. Le fédéralisme s’est même centralisé encore davantage. Le pouvoir d’Ottawa est devenu plus dominateur et plus répressif à l’égard de la nation québécoise que le pouvoir de Londres l’était entre 1867 et 1931.

Selon moi, les principaux instruments de domination collective du Québec par le Canada anglais, instruments qui n’existaient pas en 1867 ou qui n’étaient alors qu’embryonnaires, sont les suivants:

1) la Cour suprême du Canada, dont le pouvoir énorme échappe au contrôle des élus et de la population, et dont les juges sont nommés par l’omnipotent premier ministre du Canada selon leur adhésion inconditionnelle à une vision du fédéralisme canadien qui n’est pas celle du Québec;

2) la Charte canadienne des droits et libertés, notamment à cause de ses effets pervers sur les plans linguistique et culturel;

3) la Loi constitutionnelle de 1982 et sa formule d’amendement, qui bloque toute réforme constitutionnelle dans le sens des aspirations du Québec;

4) la Loi de clarification, qui précise qu’il revient exclusivement à la Chambre des communes d’Ottawa de décider si, dans le cadre d’un éventuel référendum sur la sécession du Québec, la question est claire et le résultat est clair;

5) le principe de l’égalité des provinces (et même des territoires, dans une certaine mesure);

6) la minorisation croissante du Québec au sein des institutions fédérales;

7) le pouvoir fédéral illimité de dépenser et sa capacité d’envahir ainsi les champs de compétences des provinces;

8) la politique du bilinguisme officiel, qui sert de prétexte à Ottawa pour appuyer financièrement et juridiquement la bilinguisation du Québec et pour y maintenir une puissante minorité issue de la majorité canadienne. Cette minorité a pour principales fonctions de diffuser la langue anglaise au Québec, en particulier au travail, dans les milieux universitaires et dans le commerce, ainsi que de contrer l’émancipation de la nation québécoise par un vote monolithique et inconditionnel pour le fédéralisme, en toutes circonstances. Le prétendu bilinguisme officiel agit aussi comme paravent pour dissimuler la disparition accélérée des minorités francophones du Canada. Ainsi, la désignation de postes bilingues dans la fonction publique fédérale sert à faire oublier le fait qu’elle fonctionne à 88 % en anglais, ce qui lui permet d’agir comme agent d’assimilation des francophones et des immigrés.

Au sujet de la domination de la nation québécoise, il y a lieu de lire La négation de la nation, un ouvrage d’Eugénie Brouillet (Sillery, éditions du Septentrion, 2005). Mme Brouillet a travaillé notamment avec Henri Brun et elle est professeure à l’Université Laval.

Il est normal qu’après avoir fait des progrès substantiels, qui sont du reste entièrement attribuables au mouvement nationaliste ou indépendantiste québécois et qui ont été réalisés en dépit de l’opposition du pouvoir fédéral, les Québécois s’interrogent. Où en sommes-nous? Sommes-nous suffisamment libres? Devons-nous nous affranchir encore davantage?

Mais, ces interrogations alimentées par certains propagandistes ne peuvent occulter les faits indiscutables: le Québec est toujours dominé et freiné dans son développement par un fédéralisme toujours plus centralisateur. Malgré certains progrès réalisés pour l’essentiel pendant les premiers mandats du Parti québécois, le Québec n’arrive même pas à imposer la langue française sur son territoire. Bien des Québécois ne parlent pas français, et la majorité des immigrés choisissent plutôt l’anglais.

Troisième condition remplie.

La réalité implacable

M. Pratte peut bien continuer de cultiver l’amnésie, mais la réalité implacable demeure. L’échec de l’accord du lac Meech et le rapatriement unilatéral de la Constitution ne sont pas de l’histoire ancienne, puisque les Québécois doivent vivre dans une société dont l’évolution est aujourd’hui même profondément déterminée entre autres par ces deux évènements. L’idée de l’indépendance du Québec est donc bien loin de n’être que l’idée d’une génération, et elle demeure, en toute objectivité, tout à fait pertinente, malgré les reculs électoraux du Parti québécois.

Bernard Desgagné
Gatineau, Québec
bernarddesgagne@mac.com

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