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LA CHARTE DES DROITS ET LA LOI 101

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La Charte des droits et la loi 101

Par Pierre Dubuc

La loi 101, dans sa version originale, contenait une disposition – appelée clause Québec – qui permettait aux familles qui avaient fréquenté l’école anglaise de conserver ce privilège et le transmettre à leur descendance. Par contre, elle obligeait tous ceux qui choisiraient de venir s’installer au Québec, d’où qu’ils viennent, y compris du reste du Canada, à inscrire leurs enfants à l’école française.

Par l’obligation de fréquenter l’école française, la loi 101 visait à contrer le déclin de la population française du Québec par suite de la chute du taux de natalité et de la fréquentation massive de l’école anglaise par les immigrants. Rappelons que 90% des immigrants d’origine italienne recevaient en 1972 une éducation en anglais sur le territoire de la Commission scolaire de Montréal.

Si la loi 101 s’était appliquée dans son intégralité, la population scolaire anglaise aurait été en diminution constante. Mais c’était sans compter sur l’intervention du gouvernement fédéral.

Le coup de force de Trudeau

Dès son entrée en politique en 1967, Pierre E. Trudeau a voulu imposer le bilinguisme à la grandeur du pays. Mais il se butait à la répartition des pouvoirs au Canada qui fait de l’éducation une juridiction provinciale.

Dans son livre sur la judiciarisation du politique au Canada, le professeur de droit Michael Mandel démontre comment Trudeau a imaginé tirer parti de la popularité grandissante du projet de Charte des droits pour y camoufler son projet de consécration des droits linguistiques des minorités.

Trudeau a profité de la défaite des souverainistes au référendum de 1980 pour mettre en oeuvre son «engagement solennel de renouveler la Constitution». Il obtint de la Cour suprême une décision qui stipulait que le rapatriement au Canada de la Constitution n’exigeait en rien le consentement unanime des provinces. Ce qui rendit possible l’exclusion du Québec lors de la conférence des premiers ministres du 2 novembre 1981, mieux connue sous le nom de «la nuit des longs couteaux» et, en 1982, le rapatriement de la Constitution.

Trudeau avait pu compter sur une Cour suprême complaisante qu’il avait lui-même remodelée avec la nomination en mars 1970 de Bora Laskin, un partisan d’un rôle plus actif du pouvoir judiciaire comme c’était le cas aux États-Unis. Quatre mois plus tard, Trudeau nomma Laskin à la tête de la Cour suprême en passant par-dessus cinq juges plus anciens.

Alors que les chartes des droits énoncent habituellement de grands principes généraux touchant aux droits et libertés, l’article 23 de la Charte a la précision d’une loi fiscale. En vertu de cet article, le Québec est tenu de reconnaître l’admissibilité à l’enseignement public en anglais de tous les enfants dont le père, la mère, un frère ou une soeur ont eux-mêmes reçu ou reçoivent un tel enseignement, ou qui le reçoivent eux-mêmes, n’importe où au Canada. C’est ce qu’on appelle la «clause Canada».

La Charte a prévu que les gouvernements peuvent déroger aux grands principes de la liberté de «conscience», d’ «association», de «justice fondamentale» en invoquant l’article 33 – la «clause nonobstant» – mais pas aux droits linguistiques de l’article 23 !

Le démantèlement de la loi 101

Une fois la Charte promulguée, les commissions scolaires anglophones du Québec engagèrent immédiatement des poursuites pour faire annuler les dispositions de la loi 101. La cause fut entendue par le juge Deschênes de la Cour supérieure du Québec qui statua en faveur des plaignants.

Au cours du procès, lorsque le Québec invoqua le droit collectif des individus parlant une langue minoritaire, le juge Deschênes accusa le Québec de «faire état d’une conception totalitaire de la société». Il lui reprocha d’employer «le rouleau compresseur du kolkhoze» et de ne voir «de mérite que dans le résultat collectif». Il rappela que, pour la Charte, «la personne humaine est la plus grande valeur que nous connaissons et rien ne doit concourir à diminuer le respect qui lui est dû».

Soulignons que Pierre E. Trudeau avait, en 1972, fait passer directement Jules Deschênes d’un illustre bureau d’avocats à la Cour d’appel. Celui-ci fit rapidement ses preuves dans deux grandes affaires politiques. L’affaire Charbonneau, en 1973, où le tribunal confirma les lourdes peines de prison aux chefs syndicaux du Front commun et l’affaire Rose, sur la mort de Pierre Laporte, où le vote de Deschênes fit pencher la décision vers le maintien de la condamnation.

Pour ses précieux services, Trudeau installa Deschênes sur le fauteuil tout à fait stratégique de premier magistrat à la Cour supérieure du Québec où il allait s’attribuer toutes les clauses linguistiques d’importance.

La clause Canada a contré la francisation

Vingt-cinq ans plus tard, nous mesurons les conséquences du coup de force constitutionnel sur la situation du français au Québec. En 2001, selon Statistique-Canada, parmi tous les résidents du Québec de langue maternelle anglaise nés au Canada et âgés entre 25 et 40 ans, soit la catégorie d’âge le plus susceptible d’avoir des enfants d’âge scolaire, 22,6% venaient des autres provinces du Canada. La clause Canada leur octroie la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise.

De plus, la possibilité d’inscrire les enfants à l’école anglaise encourage les entreprises anglophones à faire appel à des résidents des autres provinces pour combler les postes offerts plutôt que de faire appel à des résidents francophones du Québec. Rappelons qu’en 2001, 17,5 % de la communauté anglophone du Québec est constituée de personnes nées dans les provinces anglaises du Canada et de leurs enfants nés au Québec. Cela a évidemment pour effet l’anglicisation du milieu du travail plutôt que sa francisation.

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