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SOMMET DE LA FRANCOPHONIE DE BUCAREST

Le Sommet francophone de Bucarest

Que peuvent retenir les militants de la Francophonie du XIème Sommet
francophone, tenu à Bucarest les 28 et 29 septembre 2006?

Peu de choses, à vrai dire.

Du reste, les media n’auront guère aidé à la mémorisation, car ils n’ont
comme à l’ordinaire relevé de leur côté que l’anecdotique. C’est-à-dire d’abord
les agitations politiques sur le Liban d’une part, et la Côte d’Ivoire d’autre
part, avec un peu de Darfour pour faire bonne mesure. En évoquant les différends
récurrents entre la France et le Canada fédéral, Ottawa soutenant en
l’occurrence les Etats-Unis et Israël. Les media ont encore laissé transpirer çà
et là le regret de certains qu’Israël ne soit pas admis dans l’OIF (Organisation
internationale de la Francophonie). En omettant de rappeler que l’admission de
l’Etat hébreu – qui compte certes plus de francophones que les nouveaux admis à
Bucarest : Albanie, Macédoine, Grèce – entraînerait la sortie de l’OIF de pays
majoritairement arabes et musulmans aussi francophones et importants que le
Maroc, la Tunisie, le Liban, et empêcherait l’Algérie d’entrer, ce que ce pays
très francophone pourrait bien faire un jour…

La seule admission réellement justifiée à ce Sommet a été celle de l’Andorre.
Pour le reste, cet élargissement à tout va devient ridicule. Nous voici
maintenant à 67 Etats et gouvernements participants (membres de plein droit,
associés et observateurs). Nous avons parmi eux, outre les trois nouveaux
entrants, des pays qui sont fort peu francophones et auxquels on n’ose même pas
demander sérieusement de le devenir, par exemple en donnant au français la même
place qu’à l’anglais, ou même, pour certains, qu’à l’allemand, dans leur
enseignement, leurs media et leur action diplomatique : la Slovénie, la Pologne,
la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Lituanie, et quelques
autres. La Grande Bretagne aurait plus de titres à faire valoir pour y entrer
que n’importe lequel des pays cités. Nos amis britanniques cultivant volontiers
une forme d’humour qui leur est propre, aux bords du mépris, ils pourraient très
bien présenter la candidature du Royaume Uni de « Dieu et mon droit » et de «
Honni soit qui mal y pense ». Chiche ? Voyez d’ici l’embarras…

Elargir sans vraiment approfondir, sans ajouter – car tel est bien le cas –
de crédits supplémentaires à ceux, très insuffisants (moins de 300 millions
d’euros par an, TV5 incluse), de la coopération multilatérale francophone : cela
rappelle la grenouille et le boeuf de la fable.

C’est aussi prêter le flanc à la critique récurrente, reprise encore cette
fois dans divers journaux de pays francophones eux-mêmes, adressée d’abord à M.
Boutros Boutros-Ghali, puis au Président de la République française, de vouloir
faire de la Communauté francophone une sorte d’ONU-bis, voire une machine de
guerre anti-américaine autour des options politiques de la France et de
plusieurs de ses amis. Bref : une dilution nuisible à la cohésion, au sentiment
d’appartenance, à l’enthousiasme, et à l’efficacité dans la solidarité.

La réélection pour quatre ans de M. Abdou Diouf comme Secrétaire Général,
dorénavant seul aux commandes de l’OIF, n’a pas été une surprise.

Le thème principal du Sommet : les nouvelles technologies de l’information
dans l’éducation, surtout au service du développement des membres les plus
pauvres, ne manquait évidemment pas d’intérêt. Il a été assez bien traité. Il
reste à voir si les moyens vont suivre.

La déception de nos militants de la Francophonie sur les 5 continents ne
vient pas seulement de l’absence de moyens financiers supplémentaires.

Elle est causée par le sentiment que l’extraordinaire potentiel de la
Francophonie, chance pour l’Humanité, puissant cadre et laboratoire de dialogue
des cultures et de solidarité, n’est pas réellement pris au sérieux par les
gouvernements de la France, du Canada fédéral, du Royaume de Belgique, de la
Suisse…

Une preuve : 60 associations et 200 hautes personnalités de France, du
Québec, de Wallonie-Bruxelles, d’Afrique, de Maurice, d’Asie, y compris MM.
Boutros-Ghali, Maurice Allais, Claude Hagège, deux candidats à l’élection
présidentielle en France, huit anciens ministres français, cinq anciens
ministres étrangers, des parlementaires de divers bords, ont lancé aux
dirigeants de nos pays en 2006, décrétée « année Senghor et de la Francophonie »
un appel à des actions concrètes. A des actions hautement symboliques qui aux
contribuables ne coûteraient rien, et aux dirigeants et à l’OIF ne coûteraient
qu’un peu de volonté politique. Entre autres propositions : inscrire la
construction de la Francophonie dans leurs constitutions nationales ; montrer le
drapeau de la Francophonie, dans toutes les cérémonies officielles et
interventions télévisées des dirigeants, à côté du drapeau national lorsque
celui-ci est accompagné d’un autre drapeau : ainsi à côté du drapeau français
lorsqu’il est flanqué du drapeau européen, ou encore à côté du drapeau québécois
lorsqu’il est flanqué du drapeau d’Ottawa…Pour marquer que la politique
étrangère continue à marcher sur les deux jambes : la jambe continentale et
celle du « grand large ».

Le XIIème Sommet de la Francophonie se tiendra en 2008 à Québec. Cette
année-là, la capitale de la Nouvelle France fêtera le 4ème centenaire de sa
fondation en 1608, par Champlain, sous Henri IV. Le gouvernement français s’y
associe officiellement. M. J-P Raffarin, ancien Premier Ministre, a été chargé
de coordonner la participation de la France. Le gouvernement saura-t-il résister
aux pressions d’Ottawa qui insiste pour que cette célébration soit aussi
l’affaire d’Ottawa – qui ne veut pas faire sienne la théorie du peuple français
fondateur du Canada – et soit bilingue français-anglais !…

Et saura-t-il faire une place importante aux sociétés civiles, aux
associations qui militent, elles, avec foi et dévouement, pour l’idéal de la
Francophonie ?

Le Sommet, lui, ne sera certes pas encore bilingue, bien que M. Kouchner
intitule un chapitre du livre qu’il vient de publier : « l’anglais, avenir de la
Francophonie »…Mais cette nouvelle occasion forte de nouveau souffle – il ne
s’en présentera plus beaucoup ! – sera-t-elle saisie par nos dirigeants
fatigués, à moins qu’ils ne soient vraiment renouvelés… ?

Albert Salon, ancien Ambassadeur, Président du FFI- France (Forum francophone
international).

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(Le 4 décembre 2006)

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