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LA FRANCE

Texte en contrefortJAZZMUTH CRÉATIONS

En lisant ce commentaire qui invite à réfléchir au traitement que réserve la
France à la langue française, j’ai songé aux derniers films « français » que
j’ai visionnés sur support DVD.

Moi qui étais de longue date un admirateur de l’extraordinaire cinéma
français (tout n’y était pas fabuleux, ou tout le temps, bien sûr, mais la
qualité ne le désertait pas souvent, et jamais totalement), je suis devenu
complètement désabusé maintenant, hormis exceptions ponctuelles, par la
médiocrité (aux plans linguistique et proprement culturel) de la production
artistique française – le cinéma en particulier.

Alors que le cinéma étatsunien s’empare comme prédateur sauvage de l’espace
accessible un peu partout (pour ne s’en tenir ici qu’au cinéma, en effet) –
notamment en mettant la main sur les salles de cinéma de presque tous les pays
afin d’y présenter essentiellement sinon exclusivement (faute de scénarii
intelligents, d’une part, d’ouverture à des cultures différentes, d’autre part)
des productions de barils de sang, d’armes en tous genres et d’effets spécieux
-, voilà maintenant le cinéma français qui se présente plus américain
qu’américain…

Ainsi, sur la dizaine de DVD de films français récents visionnés, plus de la
moitié (certainement six, peut-être sept) étaient truffés (et parfois même
jusqu’à plus soif) de chansons anglo-américaines sans que l’on puisse un instant
saisir l’à propos ou la pertinence (esthétique ou autres angles…laids) de
telles insertions dans le récit. ça n’a aucune signification, c’est du pur
remplissage commercial qui n’a rien à voir avec la logique du film. Mais il
semblerait qu’«on» (??) doive faire ainsi.

Se disent-ils, visiblement…

Géniaux, imaginatifs et fort originaux, les cinéastes de notre temps ! à
croire que la Planète tout entière est constituée principalement à leurs yeux d’American
Teenagers…

Or qu’est-ce donc que ce type de comportement (se dénaturer pour séduire), si
on dit les choses franchement et sans fioritures, sinon de la prostitution dans
sa forme la plus primaire? C’est dans ce climat, par exemple, que l’on produit
là-bas des téléséries à la «Clara Sheller» (dont la trame musicale
principale, en effet, est anglaise). De l’American jusqu’au fond de la
vie d’un jeune couple… parisien. De l’American in French for Frenchies. So,
it’s just normal
. Et je ne parlons point ici des contenus, des procédés et
des thèmes qui envahissent de manière générale l’ensemble de la filmographie
française. Même dans les créations à la langue châtiée – ô douleur ! – on a
souvent l’impression de regarder un film «pensé» complètement à l’américaine…

Paris ne serait-il plus qu’un vague faubourg de New Orleans …?

En outre, à l’instar de « La Reine Margot » dont nous entretient
madame Jolière, je me suis retrouvé dans les dernières heures avec le DVD d’un
autre film de Patrice Chéreau (cinéaste que j’apprécie d’ailleurs beaucoup): «
Son frère ».

Eh bien… ce film dit français (manifestement ça devient la norme), non
seulement il s’adresse exclusivement en anglais au public québécois dans toutes
ses dimensions écrites (présentation sur le boîtier, présentation et choix de
visualisation sur le disque lui-même, etc.), mais de plus il est impossible de
savourer l’oeuvre dans sa forme proprement originale, c’est-à-dire libre des
sous-titres anglais. As we see: «In French with English Subtitles».

No Choice !

Il en fut de même avec « L’homme du train », film de Patrice Leconte
(autre réalisateur de talent) mettant en vedette l’inénarrable et formidable
Jean Rochefort. Qui incidemment sera présenté dans quelque 72 heures (

http://www.telequebec.com/cinema/index.aspx?p=9100&s=104&e=2016&ad=2005&md=11&jd=10

) sur les ondes de Télé-Québec.

Je comprends donc, pour le dire avec concision, qu’il est devenu
interdit
, ici en terre française d’Amérique, d’apprécier réellement en
français un film français.

Il faut se taper des sous-titres dans une autre langue, lesquels de surcroît
(d’où leur impopularité notoire auprès des cinéphiles) dénaturent aussi bien
l’image qu’ils ne brouillent par ailleurs la concentration de l’auditeur, alors
distrait par des «informations» parasitaires et inutiles.

En clair : la France pénètre le marché québécois – un marché pourtant
«investi» d’une ouverture et d’un préjugé éminemment favorable à l’égard de la
culture franco-française, sur ce point la preuve n’est plus à faire depuis des
lustres* – en offrant à celui-ci des «nourritures terrestres» qui se présentent
dans la langue ni du créateur/producteur/fournisseur, ni du client. Surréaliste.

Voilà donc la situation, désormais.
Et on cherche toujours l’erreur. Ou la lumière sous les projecteurs.

Or ce faisant – c’est-à-dire, considérer le Québec comme une excroissance
plus ou moins incongrue des United States of America – la France ne
semble pas comprendre qu’elle est en bonne voie de dégoûter – «retirer le goût
à» – un public qui jusque-là lui était pour ainsi dire acquis tout
naturellement.

C’est ainsi du reste – courroucé par tant d’aveuglement, de maladresse et
d’insensibilité – que je ne me suis pas résolu à regarder ce fameux film de
Chéreau (qui n’y est sans doute pour rien dans ces manières que je qualifierais
de serviles). Voilà pour ainsi dire la goutte qui fait déborder le vase. J’en ai
jusque-là! moi aussi de ces manières d’invertébrés. Le fait est que si la
filmographie française se veut américaine, elle ne parviendra en dernière
analyse qu’à rebuter son auditoire en le jetant – intégralement et
définitivement – dans les bras de la version… originale made in Hollywood.

Dieu sait pourtant que Brocéliande (ou Paimpont) ne manquait pas de
charme pour ce qui regarde l’idée jolie – tantôt merline, tantôt morganesque –
d’une forêt enchantée…

* * *

Il y a longtemps que je ne suis pour ainsi dire plus capable de composer avec
le cinéma étatsunien. Il y a des exceptions, certes; mais elles sont très rares.
C’est que d’abord je n’ai plus douze ans, et que d’autre part je ne suis pas
assoiffé de sang ni excité par la violence comme mode privilégié… d’accès au
réel. Je suis toutefois demeuré très attaché au cinéma québécois et européen
(français en particulier, l’Italie et l’Allemagne ayant hélas! de moins en moins
une production qui leur soit propre). Sauf que je constate aujourd’hui que je me
retrouve de plus en plus fréquemment sur la voie d’accotement quant au cinéma
français. Conséquence: je vais vers lui avec méfiance, circonspection, doute,
hésitation. Mon enthousiasme de toujours s’est peu à peu métamorphosé en
défiance de tous les instants. Pourquoi? Parce que je n’ai plus confiance dans
une culture qui se méprise elle-même. Qui se convainc qu’elle doit se souiller
pour s’estimer plus désirable.

Une culture qui renie de plus en plus nettement et sans détour sa propre
identité. Or du même élan c’est la mienne que l’on nie – cette identité
héritée, par-delà les Atlantique, de mes ancêtres de La Poitou-Charente du XVIIe
siècle…

Alors demain, je retournerai ce film de Patrice Chéreau au locateur sans
l’avoir visionné.

La dignité est une denrée hautement cultivable, certes.
Mais non point monnayable.

Et ne vous y trompez pas, ami/es français ! Il n’y a pas ici une once
d’arrogance.
Je vous parle d’amour. Et de rien d’autre.

Marcelin Gélinas
M.Gelinas@moncanoe.com
En pays québécois, ce 7 novembre 2005

* Croyons-le ou non, mais les chiffres révèlent, année après année, que le
Québec propose à ses citoyens plus de films français au petit écran que la
France elle-même.

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