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LE RECUL DU FRANÇAIS

Big deal!

Robert Laplante
Directeur, L’Action nationale


Tout un petit matin! La Presse, la grosse presse à Gesca qui vous
assomme avec un titre immense : il paraît que l’anglais gagne du terrain au
Québec! ça leur a fait toute une douche écossaise, ce rapport de l’Office de la
langue française, aux inconditionnels du Canada qui distillent la pensée
résignée. Traiter la chose avec autant d’alarmisme – un titre qui fait presque
trois pouces de hauteur – il n’y a pas de doute, c’est une affaire importante…

D’une importance traitée d’une manière trop inhabituelle pour ne pas être
suspecte. Il y a du marketing là-dessous. Gesca veut vraiment accroître sa part
de marché chez les francophones. Déjà que le grand patron Crevier nous a fait
savoir, il n’y a pas si longtemps, que La Presse voulait devenir le
quotidien de référence au Québec. Il faut entendre par là que la gazette de la
rue Saint-Jacques veut déloger Le Devoir. Il faut cependant y voir autre
chose que de la banale concurrence d’affaires. C’est vrai qu’il n’y a que de ce
côté que le canard de Paul Desmarais puisse espérer gagner des parts de marché,
mais il en va surtout du ratissage du côté des nationalistes.

Tout n’est pas qu’affaire de gros sous, en effet. La Presse, qui est
en lutte d’éradication des aspirations nationales, voudrait bien faire un gain
de propagande. Et pour le faire, son espace est tout tracé : il faut planter les
balises de la minorisation et tenter de faire tomber le seul journal où la chose
n’est pas encore explicitement acceptée. C’est inévitable, c’est une bataille
qui passe forcément par la manipulation du sentiment d’insécurité culturelle.
D’où le titre et la taille de la une en question. De là aussi les gros et
coûteux efforts pour mettre en scène les préoccupations de Gesca pour notre
avenir, pour organiser de grandes conférences, jouer des manoeuvres de la
convergence pour imposer un regard, un vocabulaire, pour tenter de faire
prévaloir les formulations de ce que devraient être les grands défis du Québec –
du Québec canadian, cela va de soi.

Le français recule? Big deal! La Presse n’en fait un plat que pour
mieux laisser le marché allophone lui échapper. La ligne éditoriale continuera
de lutter farouchement contre notre existence nationale, contre toute
formulation de nos intérêts nationaux. Le recul du français? La Presse
veut bien s’en inquiéter, mais pas au point de poser le problème correctement.

Le français est menacé parce que notre existence nationale est menacée. Si
les allophones ne se francisent pas comme cela devrait, cela ne tient qu’à une
chose : la concurrence des modèles d’intégration. Si un nombre de plus en plus
grand de personnes travaillent en anglais, cela ne tient qu’aux déficiences de
la législation sur la langue de travail, en clair, sur les insuffisances d’une
loi 101 émasculée, vidée de sa substance. La mondialisation, le manque de
ressources pour les programmes de francisation, ce ne sont là que des éléments
de contexte. Des éléments qui ne sont certes pas sans effets, mais qui ne sont
que des causes secondaires. Le Québec serait un pays indépendant, français
officiellement, sereinement, sans guerre idéologique canadian, que les choses
seraient tout autres. Claires pour les immigrants comme pour tout le monde.

Il n’y avait donc rien d’étonnant à entendre notre Premier sous-ministre
faire des phrases creuses sur la vigilance face à la mondialisation. C’était
tout aussi insignifiant que d’habitude que d’entendre notre souriante ministre
de la Culture nous parler de comité de francisation pour agir à côté des
problèmes, là où la loi ne les rend pas obligatoires. Il n’était pas question
d’aller au fond des choses mais seulement de répondre à une manchette en
accréditant les catégories sous-jacentes : nous sommes des minoritaires qui ont
bien raison de s’inquiéter.

Certains l’auront peut-être remarqué, les élus du Parti Québécois ne se sont
pas fendus en commentaires sur un sujet qu’on aurait pu croire de prédilection
pour lui. Ce silence en dit long sur l’héritage bouchardien dans lequel ce parti
reste honteusement empêtré. On voit mal ceux-là et celles qui n’ont pas aboli la
loi 186 comme ils s’étaient engagés à le faire se mettre à réclamer des actions
énergiques. On ne les voit pas non plus parler d’étendre au cegep l’obligation
de fréquentation du système français, réclamer l’abolition du financement
inéquitable des universités anglaises ou encore exiger qu’on étende aux PME les
obligations et mesures de francisation. Ils sont encore éblouis par les reflets
du congrès du miroir.

La situation linguistique est devenu leur tabou, le point aveugle d’un
discours mou, à des années-lumière de la confiance en soi et de la volonté de se
dépasser. C’est pourquoi on ne les a pas non plus entendu dire qu’il faudrait
restaurer la loi 101 dans toute sa force et ses intentions d’origine, ceux-là
qui se sont, à chaque fois qu’on l’a dépecée, inclinés devant l’autorité de la
Cour Suprême d’un pays dont ils prétendent vouloir s’affranchir. Il leur
faudrait du courage dont ils ne connaissent même plus le vocabulaire pour se
tenir depuis trop longtemps dans la rhétorique velléitaire. Triste à s’en mordre
la langue.

Et pourtant la manchette de La Presse portait en creux la seule
riposte qui compte. Sans l’indépendance, il n’y a pas de survie possible du
français dans un autre espace que celui que balisent le folklore et
l’inquiétude. Sans l’indépendance notre destin ne sera jamais que celui d’une
minorité inquiète. D’autant plus inquiète qu’elle n’aura pas le contrôle des
instruments qui lui permettraient d’agir sur les causes de son tourment. La
Presse
s’intéresse moins à l’avenir du français qu’au futur de
l’impuissance. Une impuissance stérile et inoffensive qui amène d’ores et déjà
les résignés à définir les contours d’une idéologie de la survivance, version
post-moderne et mondialisée.

(Le 29 novembre 2004)


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