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LA NOUVELLE-FRANCE

Prenez ce pain et multipliez-le.

Le Saint-Laurent

à la claire fontaine, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle que je
m’y suis baigné. Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne rougirai.

Ce soir, il y a une fête inachevée où l’on peut voir flamber la nuit des
Patriotes. J’entends Leclerc dans les eaux-vives qui caressent l’île d’Orléans.
Son langage est chaste comme les oiseaux qui picorent les herbes sur sa tombe.
J’ai dit « les herbes sur sa tombe », comme des cheveux, comme des ondes
filigranées qui vous racontent que rien ne meurt sous terre, que tout y est au
chaud, prêt à revenir, comme les volcans, comme le drapeau rouge, blanc et vert
!

Je connais mon arrière-grand-père pour être pareil à lui. J’ai les mêmes
souvenirs et les mêmes espoirs, les mêmes soupirs et le même regard. Je te le
jure, j’ai la raison de Champlain dans les jumelles! Et une belle Huronne m’a
quelques lunes porté. Le monde saura que la France a fait l’amour à l’Amérique
et qu’un enfant fort en est né.

Je sens une forte pression à l’abdomen. J’ai l’estomac ulcéré, la tête
tempestive, le regard perçant, les narines gonflées d’un souffle fort. J’ai la
barbe très longue, et ma patience est centenaire. J’ai la gorge serrée comme le
Fleuve à Québec. J’ai le mal du pays dans ma propre maison. Le cartilage de mes
os craque comme une coquille, ou comme la glace au printemps. J’ai les bras
grand ouverts, accueillant le Saint-Laurent. Les Laurentides ont le front
fiévreux. Je ne sais plus si je vis ou si je meurs.

Nous avons hypothéqué tant de force à éclairer la nuit nos églises
cruciformes. Nous avons tant travaillé à pelleter la neige, ces nuages tombés,
tant sué à défricher la terre, tant chanté à faire trembler le monde!

étant habitués à être partout sans pays, nous partons à l’horizon, d’autres
misères. Je sais au loin que coule la rivière Rouge du sang métissé. J’entends
d’ici le murmure manitobain, la corde qui se crispe au cou de Louis Riel.

Sur un radeau de bois pauvre se disperse l’Acadie. J’en ai connu qui avait du
coeur au ventre, les genoux au coeur, qui disait, les mains pleines de religion
« C’est y ‘où qu’y faut qu’on s’en va? ». S’en est allé le subjonctif, mais est
restée la principale : « Il faut partir mais c’est quoi qu’y faut qu’on fait? »
Je suis déserté de mille mémoires!

Je rêve encore, patient, au printemps des nations, au Brésil libéré de
l’Empire lusitanien, à la constellation de pays nés du royaume espagnol, à la
belle et riche Amérique que l’Angleterre ne taxe plus. Et à la Nouvelle-France,
qui encore liée à sa Métropole, se fit enchaîner par une autre! L’Empire des
Appalaches n’est plus qu’une colonie colonisée! Jusqu’à l’arbre et jusqu’aux
lèvres.

Le roseau, on le plie. Le conifère, on le prie. Dis-moi, je t’en prie, l’eau,
ce liquide massif, passe-t-il enfin en son fatal détroit? Peut-on voir le monde
maintenant depuis ton promontoire, en as-tu percé le Rocher? Ou bien, est-ce que
l’Outaouais, à son passage, salut Montréal comme un prince salue son vassal?
Comme le maître donne de l’eau à son chien, qui la boit, au prix d’avoir au cou
une marque?!

Qu’il est lourd le fardeau du rien que tu portes! Aurais-tu adopté une vision
anti-nietzschéenne de l’existence voulant que la vie soit, au mieux, une volonté
de faiblesse? Tu ne seras jamais un homme car tu as du gâteau plein la gueule.
Paresseux, tu protestes que c’est ton dû. Bouffi d’orgueil, tu n’honores même
plus ta vie, ni tes va-et-vient! Tu es une faillite totale. Et tu en es la
faute. Tu auras préféré mourir de rien. La honte soit sur toi! Nelligan s’est
noyé dans l’abîme du rêve du vieux Montréal. Et ce bâteau-île, cette
Grande-Hermine, en a bientôt fini, elle aussi. Un peu comme le crucifié tu auras
refusé de prendre couronne. Un adulte, ça verse le sang; un enfant, un peu
moins. Tu es si bleu! mais ta face est si blanche. Tu es malade. Tu as pris
froid. Secoue la neige de sur tes bottes. Tatoue-toi un David sur le bras, ou
même un hibou.

On a coupé nos os pour écrire dans les journaux qu’on les avait coupés… nos
arbres. Je suis la toundra de l’histoire.

C’est un pays sans couleur, sinon de blanc neige et de noir corbeau. C’est un
pays sans voix, sans raison reconnue, un pays nié qui ne fait que guetter ses
flancs et parler au futur, un pays disséqué, jugé, censuré, pourfendu. C’est un
port sans phare, une pluie sans ciel, un chien sans chienne, un cri sans coeur,
une mort sans vie! C’est l’hiver trop de fois par année! Regarde, épluche le
calendrier : Octobre, Octobre!… Octobre ! Je m’en souviens, c’est demain !

ô peuple conifère, tu es aussi puissant, majestueux et fatidique que le grand
saut de Montmorency. Le destin d’une chute c’est de tomber, mais c’est aussi de
déboucher sur la mer.

Boulange, butine, tricote, viens! au monde. Marche et mange au fond des
astres. Lève-toi avant le soleil. Fais la marche du sel! De la croix de Jacques
à Hochelaga ! Fais-toi castor, fou de Bassan, bernache, grand chêne!

J’entrevois un Cap-aux-Diamants faux pour l’Amérique britannique. Québec,
fais-toi belle, fais-toi libre ! Prends ton grabat, ta honte et ton courroux et
marche! Et cours aux monts Otish ! C’est un chemin qu’il te faut. Et je sais où
tu t’en vas car je sais d’où tu t’en viens !

De toutes façons, que peut-on attendre d’un capitaine qui hisse vers le sud
alors que les matelots fixent le nord? Que peut-on demander à un commandant qui
n’écoute ni le vent, ni le temps, ni les oiseaux de mer? Qui paye la main
docile, coupe la main fertile, rompt le tronc géant, vante les brins épars,
pille le nombre et part, ignore la langue des galériens, jure sur un roi qui
n’est pas le mien, qui paye le vent qui le paye encore pour qu’il souffle de
l’autre bord.

Les grands feuillus demanderont toujours aux conifères forts pourquoi de vert
ils s’habillent, pourquoi ils considèrent l’automne avec un soi-disant mépris.
C’est bien plus simple d’être tous les mêmes, se gaveront-ils.

Je ne suis pas contre eux, je suis pour nous.

Que fait d’autre la reine que de crever nos poches, de nourrir nos craintes
et de crier au traître? La question n’est pas « Pourquoi partir? ». La question
est : « à quelle heure le soleil se couche?! ». Levons l’ancre, les voiles, la
tête ! Si le Fleuve était les Lacs, les Lacs auraient quitté le Fleuve ! Laisse
aller le Saint-Laurent.

Le commandant d’un navire connaît la liberté quand il pose les mains sur son
devoir! ça fait plus de 101 fois que l’histoire égrène son chapelets. Laisse
aller le Saint-Laurent.

Signé,
Félix Le Gascon
le_gascon@hotmail.com

P.-S. – Prenez ce pain et multipliez-le !

(Le 29 août 2004)

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