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SOUTIEN ET USAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE


SOUTIEN ET USAGE DE LA LANGUE FRANçAISE


D
es textes de l’ASULF portant sur des
sujets d’actualité de même que le résumé de certaines de ses interventions.

a)
La réingénierie! Qu’est-ce que ça mange en hiver?

Les services gouvernementaux du Québec,
des personnalités du monde politique et économique et les journalistes parlent
souvent de réingénierie ces derniers temps, sans trop préciser de quoi il
s’agit. La réingénierie suppose qu’il y a au départ de l’ingénierie,
c’est-à-dire la conception ou l’étude globale d’un projet industriel sous toutes
ses formes et, par analo­gie, le savoir-faire dans différents domaines. Y a-t-il
eu ingénierie au gouvernement du Québec? Il ne semble pas.

Peut-être a-t-on copié servilement le
vocabulaire de deux auteurs américains qui pro­posaient de mettre à profit la
potentialité des ordinateurs dans la gestion de l’entreprise en repensant
l’organisation du travail. Ce serait alors un terme du monde de l’informatique.
On est bien loin de ce qu’on semble vouloir annon­cer par le terme de
réingénierie.

Il est heureux de constater que le premier
ministre Charest, dans une lettre ouverte aux Québécois, n’utilise pas ce terme.
Il parle plutôt de révision, de modernisation, de rénovation, de
repositionnement ou de redéploiement, ce que tout le monde peut comprendre. Il
aurait pu aussi parler de reconfiguration. Celle-ci, d’après le Grand
dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française,
« s’appuie en effet sur les technologies de l’information et touche à tous les
aspects et à toutes les fonctions de l’organisation. Cette démarche lui permet
de reconsidérer ses choix afin de supprimer ce qui est superflu et inefficace,
tout en ayant le double souci de réduire les coûts et de renforcer ce qui est
générateur de valeur ajoutée dans l’organisation ». C’est, au surplus, le terme
qui a été publié au Journal officiel de la République française le 14 août 1998.

Il ne s’agit pas de copier les Français,
mais il peut être bon d’utiliser un terme qui dit bien ce qu’il veut dire, soit
de modifier, de refaire la configuration actuelle de l’état.

b)
Le régime du no fault. En français, s’il
vous plaît!

Pour décrire le régime d’assurance
automobile en vigueur au Québec, les personnes sou­cieuses de la justesse du
vocabulaire parlent d’indemnisation sans égard à la faute. Dans la vie courante,
par ailleurs, on lit et entend régime du no fault. L’expression anglaise
est commode. On n’hésite pas à s’en servir. Cette façon de s’exprimer indique
que le législateur ne lie plus la responsabilité à la faute pour l’application
de la loi. Elle ne dit pas toutefois par quelle autre notion il remplace la
faute. C’est donc une façon négative de s’exprimer, insatisfaisante et
surprenante.

Le législateur québécois a adopté en 1909
une loi qui a introduit juridiquement, pour la première fois en matière
d’accidents du travail, la notion de risque professionnel qu’il a substituée à
celle de faute civile. Cette orientation a été confirmée dans toutes les lois
subséquentes, en particulier celles de 1928. En somme, le législateur a posé le
principe de l’irresponsabilité du travailleur et celui de la responsabilité
générale de l’employeur.

Une entreprise engendre des risques
d’accidents du simple fait de son activité professionnelle. Les victimes
d’accidents doivent être indemnisées, quelle qu’en soit la cause. On n’a donc
plus à s’interroger sur la culpabilité de l’employeur, du salarié ou d’un tiers
pour indemniser une victime. à aucun moment depuis bientôt un siècle n’a-t-on
parlé d’un régime d’indemnisa­tion sans égard à la faute, et encore moins de
no fault,
pour caractériser le régime légal applicable aux accidents du
travail. On a toujours mentionné que la notion de risque remplaçait celle de
faute pour établir la responsabilité, ce risque étant appelé risque
professionnel.

Si l’on applique le même raisonnement en
matière d’accidents d’automobile, on est amené à parler du risque résultant de
la conduite automobile. En effet, le législateur part du fait que cette conduite
entraîne des risques d’accidents et il veut que l’accidenté soit indemnisé
directement par son propre assureur, sans qu’on ait à s’interroger sur son
comportement. L’indemnisation est automatique, selon l’expression du Bureau
d’assurance du Canada. La notion de responsabi­lité pour faute est écartée et
remplacée par la responsabilité pour risque. Curieusement, on s’exprime, en
matière d’accidents d’automobile, comme si on ne savait pas par quoi le
législateur a remplacé la notion de faute, alors qu’il est clair que c’est par
celle de risque.

Au moment où s’annonce un débat de fond en
matière d’assurance automobile, il est bon de se rappeler l’échange entre
Tzee-loo et Confucius. Le premier demande : « Pour administrer le gouvernement,
par quoi pensez-vous qu’il faille commencer? » Et Confucius de répondre : « Il
est nécessaire de rectifier les termes. »

En matière d’assurance automobile, nous
avons donc un régime d’assurance responsabilité pour risque, celui résultant de
la circulation en automobile, le risque routier. Alors, plus de régime du no
fault
, mais régime du risque routier.

c)
Les québécismes dans le « Petit Larousse »

La place faite aux québécismes dans Le
Petit Larousse illustré, édition 2004, a entraîné la parution de plusieurs
articles sur le sujet, dont l’un sur ses nouveautés, publié dans Le Soleil. On y
lit que Marie-éva de Villers critique cinq des québécismes retenus dans ce
dictionnaire. Les collaborateurs de Larousse pour les québécismes, MM. Poirier
et Canac-Marquis, dans un texte publié en septembre dernier dans le même
journal, écrivent que « Marie-éva de Villers s’est objectée (sic) au choix de
certains des québécismes » introduits dans ce dictionnaire. Ils ne font pas tant
une critique du point de vue de cette auteure qu’une descente en règle du
Multidictionnaire en lequel ils ne voient qu’un manuel de correction. à leurs
yeux, cet ouvrage est rempli de contradictions et il véhicule « une doctrine
confuse à propos de la norme du français au Québec ». Voilà une réaction
exagérée, c’est le moins qu’on puisse dire. Que Marie-éva de Villers ait raison
ou non de contester les mots « boyau », « cartable » ou « vidanges », son
opinion justifie-t-elle une condamnation de son dictionnaire? Cette attaque fait
penser à un règlement de compte. Cela étant dit, on peut juger discutable le
choix de ces termes.

Ces linguistes accusent Marie-éva de
Villers de mal distinguer « les vocations propres au dictionnaire de
terminologie et au dictionnaire de langue ». On ne peut nier le bien-fondé de
cette distinction, mais il demeure que l’inscription d’un mot au dictionnaire de
langue est vue par tout lecteur comme son acceptation pure et simple, surtout si
aucun commentaire ne l’accompagne. Ils rappellent que la ligne de conduite du
Petit Larousse depuis 1905 a toujours été de « n’omettre aucun mot consacré par
l’usage » et ils ajoutent : « Tous les québécismes retenus sont des mots usuels.
» Pour eux, la règle est claire : suivre l’usage. Ce point de vue peut se
défendre pour la France, non pour le Québec.

l’usage

Il va de soi que l’usage soit la règle
dans un pays normal au point de vue linguistique, c’est-à-dire dans lequel la
langue se développe naturellement, sans entraves. On pense alors au français en
France ou à l’anglais en Angleterre. Il saute aux yeux que le Québec n’est pas,
au point de vue linguistique, un pays normal. Notre peuple, décapité de son
élite en 1760, a été coupé du monde francophone pendant plus de 150 ans. Il a
survécu dans un milieu où la langue dominatrice, la seule utile, était
l’anglais, avec les conséquences évidentes que tout le monde connaît, pour la
qualité de la langue française. C’est ce qui a fait dire à Gilles Vigneault que
sa langue était du français puni.

L’état a adopté la Charte de la langue
française pour donner à cette langue un statut qui la valorise, mais il a voulu
également en améliorer la qualité en opérant un redressement à cet égard. Des
progrès ont été réalisés depuis trente ans en matière de vocabulaire, grâce au
travail de l’Office de la langue française et de personnes de toutes les couches
de la société. Il a fallu corriger des centaines d’usages erronés, même si
certains étaient séculaires, et faire face aux résistances de ceux qui
préféraient conserver leurs vieilles habitudes. Bref, il a fallu aller à
l’encontre de l’usage d’ici lorsqu’il était fautif. C’était une démarche
nécessaire entreprise en général avec l’accord de la population et la
coopération de brillants linguistes.

Il ne suffit pas qu’un terme soit usuel
au Québec pour lui reconnaître un titre de noblesse. Ainsi, certains parlent de
« vidanges » et d’autres écrivent « ordures » pour désigner la même réalité.
Dans quelle proportion? C’est difficile à dire. Il demeure que c’est un terme
utilisé surtout à l’oral et qu’il n’appartient plus au bon usage d’ici. Le
législateur, l’Administration et les auteurs ont opté pour le mot « ordures ».
Cet emploi a, à la longue, un effet d’entraînement qui favorise l’usage du mot «
ordures ». Au reste, quel intérêt y a-t-il à vouloir empêcher le mot « vidanges
» de dépérir au profit d’« ordures »? Le législateur et l’Administration
devraient-ils faire marche arrière, abandonner le mot « ordures » et adopter
celui de « vidanges »? Poser la question, c’est y répondre.

Il ne faut donc pas se surprendre de
divergences d’opinions pour l’acceptation de plusieurs québécismes. Certains
font l’unanimité ou presque, d’autres sont l’objet d’avis partagés et d’autres
enfin sont fortement critiqués dans tous les milieux. Les choix du Petit
Larousse ne font pas toujours consensus dans la communauté linguistique
québécoise, surtout ceux qui viennent du Trésor de la langue française et qui
sont censés « rendre compte de nos réalités culturelles ». Si les 475
québécismes et néologismes que MM. Poirier et Canac-Marquis espèrent voir dans
le Larousse 2005 sont de la même eau, on peut s’attendre à des surprises. Ces
choix ont parfois des conséquences inquiétantes, comme le fait voir l’exemple
suivant qui est renversant et troublant.

le mot « détour »

L’ASULF demande à l’Office en 1999 de
normaliser le mot « déviation » pour remplacer « détour », conformément à l’avis
de recommandation publié en 1980 à la Gazette officielle et incontesté pendant
vingt ans. Le ministère des Transports continue néanmoins d’utiliser le mot
« détour » dans la signalisation routière. Il écrit à l’ASULF qu’il craint que
l’emploi du mot « déviation » n’affecte la sécurité des usagers de la route
parce que les anglophones, des touristes en particulier, ne comprendraient pas
le sens de « déviation », même au-dessus d’un ictogramme. Voilà la raison
déclarée de l’opposition de ce Ministère.

Le Conseil de la langue française a
suggéré plusieurs fois l’emploi de « déviation ». La Commission de terminologie
de l’Office, composée de linguistes chevronnés, a recommandé la normalisation de
ce mot. Dans un geste imprévisible et exceptionnel, l’Office a rejeté cette
recommandation et accepté le mot « détour ». Ce faisant, il a cédé devant
l’opposition du ministère des Transports et a adopté un texte rédigé par un
tenant de l’école du Trésor de la langue française. Voilà où mène la norme de
l’usage au Québec. C’est vraiment avancer en arrière! Et pour comble, Le Petit
Larousse a accueilli le mot « détour »; il devrait le retirer à la prochaine
édition.


Conclusion

Le Petit Larousse ne doit pas adopter la
norme du Multi, mais il ne doit plus suivre aveuglément celle du Trésor de la
langue française ou celle de l’Office québécois de la langue française, qui
n’est parfois que l’écho du Trésor. Il doit puiser à d’autres sources. Nous
pensons à des auteurs bien connus comme Noëlle Guilloton, Robert Dubuc, Guy
Bertrand, Camil Chouinard, Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel, Constance
Forest et Denise Boudreau (Le Colpron), Jacques Laurin, Paul Roux, Jean-Claude
Corbeil, Gaston Dulong, Lionel Meney,

Jean Darbelet, sans oublier Marie-éva de
Villers.

Une consultation de cette envergure
permettra au Petit Larousse de retenir des québécismes largement acceptés au
Québec plutôt que des québécismes cultivés par une école en particulier et
parfois fortement contestés. La norme du Petit Larousse sera alors celle du
consensus québécois.

d)
Quelques interventions pour dénoncer les fautes
relevées fréquemment, en particulier dans les médias. En voici quelques-unes :

1-
travaux à être complétés : Le mot
« complétés » est un calque de « completed ». En français, on « achève » ou
« termine » des travaux;

2-
la tournure passive « à être complétés » est
calquée de l’anglais « to be completed ». En français, on utilise la forme
active, ce qui donne « à terminer » ou « à achever »;

3-
personne n’a retourné nos appels : Cette
locution est un calque de « to return a call ». En français, on « rappelle »
tout simplement.

4-
Virer sur le feu rouge : Cette formulation
est calquée de l’anglais « to turn on red light ». En français, on tourne au feu
rouge, c’est-à-dire, lorsque le feu est rouge. Au surplus, on ne peut virer
dessus parce qu’il est habituellement à 4 ou 5 mètres au dessus du sol.

5-
La municipalité a émis un permis : Le mot
« émis » est incorrect dans cette phrase. On délivre un permis. De même, on ne
parle pas de l’émission d’un permis, mais bien de sa délivrance.

Le comité du courriel

Ce
message est envoyé par l’Association pour le soutien et l’usage de la langue
française (ASULF).
Boîte postale 10450 Sainte-Foy
(Québec) G1V 4N1
Tél. (418) 654-1649 Téléc. (418)
654-0916
courriel :
association@asulf.org
site Internet
: www.asulf.org
(Le 21 octobre 2003)


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