L’OS ET LA SOUPE
Réaction au Plan Dion sur les langues officielles
Stefan Psenak*
stefan@psenak.com
Le 12 mars, le ministre des Affaires intergouvernementales et président du
Conseil privé, Stéphane Dion, flanqué du Premier ministre Chrétien et de la
présidente du Conseil du Trésor, Lucienne Robillard, annonçait en grande
pompe son très attendu plan daction (quinquennal) pour les langues
officielles assorti dun montant de 751 millions de dollars, ce qui dépasse
largement les 650 millions escomptés par les communautés jusquà tout
récemment. Stratégiquement, donc, le gouvernement fédéral pourra se targuer
davoir investi plus de trois quarts de milliard pour la consolidation des
articles 41 et 42 de la Loi sur les langues officielles. Mais, derrière
lécran de fumée des chiffres, reste-t-il quelque substance ?
Promis depuis deux ans, ce plan revêt une importance de premier ordre pour
le legs politique de Jean Chrétien et lavenir de certains de ses plus
fidèles lieutenants québécois – au nombre desquels se retrouvent Stéphane
Dion et Lucienne Robillard -, mais aussi (et cest ce que les politiques et
les fonctionnaires ne devraient pas perdre de vue) pour les communautés
minoritaires francophones du pays, qui attendent depuis fort longtemps que
le gouvernement fédéral passe de la parole à laction. Neût été de la voix
discordante de la Fédération culturelle canadienne-française, le plan Dion
aurait été salué à lunanimité par lensemble des leaders de ces communautés
présents lors de son annonce. Même la Commissaire aux langues officielles,
Dyane Adam, na pu cacher son enthousiasme en y allant dune note provisoire
de 8-8,5 sur 10.
Tout ce préambule pour opposer ma voix à celle du consensus quasi général
qui se dégage suite à cette annonce, dune part en questionnant le
discernement et lesprit critique des leaders des communautés (qui semblent
se diluer proportionnellement à lampleur des montants annoncés) et, dautre
part, en déplorant le fait quaucune considération nait été accordée aux
arts et à la culture. à lévidence, le ministre Dion, qui a eu maintes
occasions dentendre les revendications de ce dynamique lobby, aura tout
simplement jugé la question secondaire, sans intérêt, bref, peu rentable sur
le plan politique. Mais en cette ère où lon gouverne par les sondages, où
chaque action doit pouvoir être convertie en capital de sympathie, cela
est-il vraiment surprenant ? Ramer dans le sens du courant est toujours
moins épuisant et ceux qui nous gouvernent le savent mieux que quiconque.
Les trois grands axes de ce plan vont donc dans le sens de léducation, du
développement des communautés et de la fonction publique fédérale. Un
programme vaste qui se propose même quelques ingérences dans des champs de
compétence constitutionnellement attribués aux provinces et dont certaines
mesures sont pour le moins questionnables. Ainsi, « au cours des cinq
prochaines années, le gouvernement investira 64,6 millions de dollars pour
rendre la fonction publique exemplaire en matière de langues officielles »,
peut-on lire dans le communiqué de presse émis au moment de lannonce. 64,6
millions de dollars qui serviront à colmater les brèches dun système qui
continuera de fuir. Les compétences linguistiques des fonctionnaires ne
devraient-elles pas être évaluées au même titre que les autres critères
dembauche ? Nulle part ailleurs on engagerait quelquun qui ne satisferait
pas aux exigences dun emploi en se disant qu’on le formerait bien par la
suite…
Des 269,3 millions dévolus au développement des communautés, rien pour les
arts et la culture. Rien pour ceux et celles qui contribuent à créer un sens
dappartenance à une collectivité, qui donnent corps à son identité et le
gratifient dun visage, dune voix, de couleurs, de nuances, dune petite et
dune grande histoire, dun héritage. Rien pour ceux qui permettent à nombre
de leurs concitoyens de ne pas franchir la ligne très mince qui les séparent
de lassimilation. On aura beau débloquer des fonds pour lenseignement de
la langue française en milieu minoritaire et lenseignement de la langue
seconde (346 millions de dollars au total) pour faire passer « la proportion
des étudiants admissibles inscrits dans les écoles francophones en dehors du
Québec de 68 % à 80% », ce sera peine perdue. Car une langue, sans la
culture qui laccompagne, qui la fait vivre et vibrer, est, pour reprendre
les mots de Jean-Claude Germain, « contre nature ». Autant adopter l
espéranto.
Trente ans plus tard, le grand rêve de Trudeau trouve écho chez Stéphane
Dion. Trente ans plus tard, le gouvernement continue de refuser dadmettre
que le bilinguisme nest pas une culture. Trente ans plus tard, serions-nous
revenus au point de départ, comme ceux qui se perdent en forêt finissent
toujours par tourner en rond?
5 ou 6 millions de dollars auraient certes fait le bonheur des artistes et
des regroupements artistiques, fort actifs dans toutes les communautés
francophones minoritaires du pays. Quand on sait ce quils peuvent faire
dune pièce dun dollar, il est permis de rêver. Mais il ne sagit pas que
dune question dargent. Le problème est beaucoup plus profond. Tellement, en
fait, quon la perdu de vue.
Le plan daction aura-t-il un impact réel dans les communautés quil doit
desservir ? Alourdi par la taille et la lenteur de la machine étatique, le
cadre dimputabilité et de coordination annoncé pourra-t-il être efficace ?
Il est permis den douter.
On maccusera sans doute de cracher dans la soupe. Je répondrai que
lorsquelle
est trop claire, lorsque los qui a servi à faire le bouillon était
gros, certes, mais trop décharné, je préfère mabstenir. Et attendre de voir
la suite du menu.
*Lauteur de ce texte est écrivain, éditeur et journaliste
culturel. Depuis
une dizaine dannées, il siège ou a siégé au conseil dadministration de
plusieurs organismes et regroupements artistiques. Mais cest en sa seule
qualité de citoyen quil prend aujourdhui la parole.
(Le 13 mars 2003)