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LE PONTIAC EST-IL AU QUÉBEC OU EN ONTARIO ?

Le Pontiac est-il au Québec ou en Ontario ?

Castonguay, Charles

En juillet 1955, Pierre Laporte écrivait dans Le Devoir que ce sont les
Québécois qui, «par ignorance, par manque de courage ou par inertie», ont
permis que la situation linguistique se dégrade dans le Pontiac

De la Gatineau jusqu’au Témiscamingue, la rive nord de l’Outaouais se trouve
bel et bien au Québec. Mais le Pontiac a été sous plusieurs aspects plus
ontarien que québécois. Il le reste encore aujourd’hui.

C’est ce que le Comité d’action francophone du Pontiac a soutenu devant la
commission Larose. Son porte-parole n’a pu s’empêcher de lancer: «J’espère
que cette fois sera la bonne!» Les faits réunis dans ce travail commandé à
Luc Bouvier, professeur de littérature au Collège de l’Outaouais, expliquent
ce cri du coeur.

Cette première histoire des francophones du Pontiac nous fait comprendre
pourquoi le comté, à majorité d’origine française dès 1961, demeure pourtant
à plus de 60 % de langue anglaise… Bouvier commence son livre avec la
colonisation, lorsque les francophones sont exclus des meilleures terres,
réservées aux orangistes, et le termine avec l’épisode de cette inspectrice
de la Commission de protection de la langue française, reconduite aux portes
de Shawville par le maire et nombre de citoyens pour avoir voulu vérifier
l’étendue de l’affichage unilingue anglais dans ce chef-lieu de l’ancienne
barrière ethnique.

La contribution majeure de ce livre concerne l’école et l’église comme
instruments d’anglicisation ainsi que l’inaction de Québec devant les
plaintes répétées des Pontissois, de 1890 jusqu’à la Révolution tranquille.
L’auteur puise à toutes les sources et archives, sans rien omettre. Il
relève l’absence de l’enseignement en français, voire du français, dans les
écoles catholiques sous la gouverne du clergé et des commissaires irlandais;
l’application du Règlement 17 ontarien dans le Pontiac; les rapports
d’inspecteurs qui déplorent la mauvaise volonté de certaines commissions
scolaires en même temps que la prétendue apathie des parents francophones;
le laisser-faire du Département de l’instruction publique, qui prêche la
bonne entente pour ne pas «brouiller inutilement les contribuables appelés à
vivre ensemble»; la francophobie agissante des évêques irlandais de
Pembroke, en Ontario, qui règnent sur le Pontiac depuis 1916 en nommant de
façon générale des curés et, jusqu’en 1964, des institutrices anglophones
unilingues; la charte fédérale du diocèse de Pembroke, qui confie la
propriété des biens paroissiaux non pas aux fidèles, comme ailleurs au
Québec, mais à l’évêque, ce qui accentue son pouvoir; les plaintes
successives adressées au délégué apostolique et au cardinal Léger en ce qui
concerne le plan d’anglicisation appliqué par les évêques de Pembroke,
restées sans réponse; les délations, réprimandes et représailles visant ceux
qui tentent d’élargir les possibilités d’étudier, de prier et de vivre en
français; la francophobie exacerbée des Sisters of Saint Joseph qui, dans
les années 40 et 50, dirigent l’école normale du comté en inspirant aux
futures institutrices le mépris de tout ce qui est français ou québécois;
et, pour comble, le refus opposé à l’auteur qui demandait accès aux archives
du diocèse de Pembroke.

Par-delà les émotions que cette histoire peut inspirer, l’auteur a accompli
un travail davantage d’historien que de militant en offrant un tableau
complet et saisissant des rapports entre francophones et anglophones
jusqu’au début des années 1960. Son dernier chapitre survole de façon plus
sommaire l’histoire récente. Selon Bouvier, le poids d’un siècle de menées
assimilatrices, jumelées à l’indifférence de Québec et de Rome, pèse trop
lourd pour que la Révolution tranquille et la loi 101 redressent la
tendance, ce qu’il démontre en traçant la progression graduelle de
l’anglicisation des francophones à chaque recensement de 1971 à 1996. Les
appels à des mesures de refrancisation de la population anglicisée – mince
réparation pour les torts historiques causés par l’incurie de Québec –
remontent en effet aux années 30.

La commission Larose a consacré une seule phrase au Pontiac, «dont le
portrait doit être établi et où des mesures doivent être prises pour mettre
fin à la perte d’influence et de prestige de la langue commune». Comme si le
portrait n’était pas archiconnu, et la langue commune, pas autre chose que
l’anglais. Les Pontissois réclamaient pourtant des changements concrets,
dont le rattachement du comté à un diocèse québécois et une aide
supplémentaire aux écoles françaises là où les francophones sont
minoritaires.

Cette fois, encore, n’aura pas été la bonne. L’histoire se répète. Bouvier
reprend en exergue le jugement formulé par Pierre Laporte, journaliste au
Devoir en 1955: «à ceux de la province de Québec qui seraient tentés de
jeter la pierre à nos compatriotes du Pontiac, rappelons que c’est notre
poitrine à nous qu’il faut frapper, et brutalement. Car c’est nous qui, par
ignorance, par manque de courage ou par inertie, avons permis que la
situation se détériore là-bas.»

Les sacrifiés de la bonne ententeLES
SACRIFIéS DE LA BONNE ENTENTE – HISTOIRE DES FRANCOPHONES DU PONTIAC
Luc Bouvier
éditions de L’Action nationale
Montréal, 2002, 240 pages
Commandes téléphoniques:
(514) 845-8533

(Le 30 août 2003)

(Ce texte a aussi été publié dans le journal Le Devoir du 29 août 2003)


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