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LE CANADA REFUSE OBSTINÉMENT QUE LE QUÉBEC SOIT FRANÇAIS

LE CANADA REFUSE OBSTINéMENT QUE LE
QUéBEC SOIT FRANçAIS
LES STATISTIQUES VONT NOURRIR LES DISCOURS CONCURRENTS
ET SURTOUT PROVOQUER LA CONFUSION IDéOLOGIQUE

Robert LAPLANTE
Directeur de L’Action nationale
revue@action-nationale.qc.ca

Statistiques Canada ne produit pas que des statistiques officielles. L’agence
participe aussi à la construction du discours canadian officiel. On l’a vu
sombrer béatement dans le nation building en inventant la catégorie
canadian / canadienne en ce qui a trait à l’origine ethnique. Les multiples
reformulations des questions sur la langue d’usage et la langue maternelle
servent depuis un bon moment déjà à brouiller les pistes, à rendre plus
difficiles l’analyse et la compréhension de la dynamique d’assimilation.

Les glissements catégoriels sont fort utiles au brouillage idéologique. Le
Canada ne tolère pas que les Québécois pensent leur condition dans les
catégories et concepts qui trouvent leur pertinence et leur ancrage dans leur
expérience historique et sociologique. Aussi le débat linguistique vient-il de
s’obscurcir encore un peu plus avec la publication la semaine dernière des
données concernant la langue de travail. C’est la première fois que Stat Can
s’aventure sur ce terrain. C’est une préoccupation qui n’a d’intérêt
sociologique réel qu’au Québec puisque c’est le seul endroit où se déploie une
véritable concurrence des langues. Mais la perspective canadian va néanmoins
s’appliquer à la construction des données. Il faut désormais essayer de
comprendre quelque chose avec le flou des questions concernant le fait d’
«utiliser» une langue plutôt que de la «parler» ; il faudra le faire, de
surcroît, en se dépatouillant avec des raisonnements tordus présentés comme des
explications par les savants de l’agence canadian.

Un exemple parmi d’autres, tiré du Devoir (12 février). Commentant le recul
de l’utilisation du français au travail par les immigrants récents, Stat Can
répond par l’origine de ces derniers : en effet, la part d’immigrants ayant pour
langue d’origine le russe, le persan, l’ourdou, le tamoul, le chinois, etc., est
passée de 14% dans les années 80 à 33% depuis 1996. Et ces groupes «ont une
propension plus élevée à ne connaître que l’anglais», précise le rapport (A16)
». Le problème pourtant n’est pas tant la connaissance de l’anglais à l’arrivée
que le fait qu’ils puissent travailler au Québec sans avoir à apprendre le
français ou du moins sans avoir à l’utiliser de façon courante pour travailler.
Répondre par les origines, c’est masquer le déficit d’intégration dont la
statistique témoigne.

Quant à elles, les données relatives à l’usage du français au travail par les
francophones hors-Québec laissent perplexes, c’est le moins qu’on puisse dire.
Que l’on prétende que sept travailleurs sur dix utilisent le français au
travail, c’est un résultat qui en dit plus long sur le biais idéologique de la
question que sur les faits qu’elle est censée révéler. Pour en saisir la portée,
il faut surtout comprendre que 27% d’entre eux déclarant l’utiliser
régulièrement, la réalité est donc que l’immense majorité d’entre eux ne
l’utilisent que de façon anecdotique. La présentation du résultat ne sert ici
qu’à continuer de faire semblant qu’il y a une quelconque symétrie dans la
situation des locuteurs des deux langues officielles du Canada. Les résultats
quant à l’utilisation du français au Québec par les anglophones en disent long
sur l’argument : 35% d’entre eux affirment ne jamais l’utiliser! Au Canada il
est impossible d’éviter l’anglais au travail ; au Québec on peut ignorer sans
vergogne la langue de la majorité!

DES MESSAGES CONTRADICTOIRES

Même avec présentation tarabiscotée, la publication de ces résultats a
contribué à soulever un peu plus d’inquiétude chez ceux et celles qui se
préoccupent du sort du français au Québec. Mais c’est une inquiétude qui n’en
sera que plus diffuse parce que les résultats ne contribuent guère à la
clarification de la situation. Et cette confusion rendra plus laborieux le
combat, plus compliqué le débat public. La ministre Lemieux s’est engagée à
consacrer plus de sous aux efforts de francisation en milieu de travail. C’est
louable, mais c’est une réponse partielle. La réalité, c’est que les efforts de
francisation des milieux de travail sont en partie neutralisés par la
concurrence permanente de deux modèles d’intégration des immigrants et par deux
politiques linguistiques envoyant aux entreprises comme aux citoyens des
messages contradictoires. C’est là que se trouve le sens des distinctions à
faire entre les données statistiques et les faits politiques.

Les statistiques vont nourrir les discours concurrents et surtout provoquer
la confusion idéologique. L’analyse politique ne doit pas se laisser obscurcir
par les données fabriquées sur des catégories conceptuelles bancales. On peut
toujours discuter de l’étendue des dégâts et du rythme de l’érosion de la place
du français, mais le fait politique demeure plus brutal que jamais : le Canada
refuse obstinément que le Québec soit français. Il n’a jamais cessé d’attaquer
ses politiques linguistiques. Il continue ouvertement et avec arrogance à
refuser de s’y soumettre sur le territoire québécois. Il persiste, malgré les
quelques concessions faites quant à la sélection des immigrants, à placer tout
le processus administratif de traitement de l’immigration sous le signe de
l’équivalence des langues au Québec. Et surtout, il peut continuer de compter
sur les inconditionnels du fédéralisme qui sont prêts à l’aider à liquider le
statut du français.

Les partis fédéralistes du Québec sont devenus des adversaires du français
comme langue officielle et langue commune. Les déclarations de Pierre Bourque,
sa profession de foi canadian et son éloge de l’anglais et du bilinguisme
démontrent bien toute l’hypocrisie de l’ADQ qui, sans avoir de position
officielle, non seulement accueille les visions folklorisantes de Bourque mais
encore donne toutes les indications qu’en ces matières comme dans les autres,
les idéologues de Mario Dumont sont des adeptes du laisser-faire. L’insistance
du PLQ pour enseigner l’anglais dès la première année contribue, pour sa part, à
renforcer l’argument que le français est une limitation, un boulet qu’il faut
traîner. Pis encore, c’est une proposition qui fait fi d’un fait pourtant majeur
: les Québécois forment déjà un peuple où le taux de bilinguisme est un des plus
élevés du monde – la question de l’apprentissage de l’anglais n’y est donc pas
un enjeu mais, bien plutôt, tout au plus, une contrainte avec laquelle nous
devons composer. Mais pour le PLQ, ce qui importe, c’est moins l’apprentissage
de la langue anglaise que l’écrabouillement du statut du français, la
minimisation de sa place et de son importance fondamentale. Le véritable enjeu,
pour notre peuple, c’est celui de l’élargissement de la place et du rayonnement
du français. Quant à la nécessité d’inciter à apprendre d’autres langues, elle
est d’autant plus fondamentale qu’elle nous permettra d’échapper un tant soit
peu à l’hégémonie uniformisante.

Le Canada est un pays anglais et le fait de chercher à y vivre normalement en
français nous condamne aux éternels quémandages tout en subissant le lent mais
inexorable enfermement dans une bourgade folklorique. Les Canadians se
considèrent déjà magnanimes d’avoir répondu à leur minorité française geignarde
par la Loi sur les langues officielles. Ils n’en feront jamais plus. Le
français sera toujours précaire en Amérique, mais dans le Canada, son statut et
son rayonnement seront toujours combattus et contenus. La souveraineté nous
permettra de mener le perpétuel combat contre la précarité sans avoir à subir en
plus l’hostilité ouverte d’un état utilisant nos impôts pour mieux nous nier.

(Le 19 février 2003)


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