L’ANGLAIS à L’UQAM
La dérive clientéliste.
Robert LAPLANTE
Directeur de L’Action nationale
revue@action-nationale.qc.ca
Le monde est vaste et lhorizon de la croissance, illimité. Quand on est dans
la business de léducation la perspective de lintégration des marchés des
Amériques ne saurait nous laisser indifférent. LUQAM vient dannoncer quelle
entendait bien prendre les grands moyens pour aller chercher sa part de marché.
Bien entendu, luniversité ne négligera pas pour autant son marché local, elle
continuera dassumer son caractère francophone même si des accommodements
devront être faits pour composer avec les exigences de lélargissement de ses
créneaux auprès des segments anglophone et allophone. Lévolution des marchés de
la connaissance et de la formation crée des pressions importantes sur la langue
denseignement, sur les compétences linguistiques des diplômés et oblige les
institutions qui souhaitent accroître leur avantage concurrentiel à souvrir et
sadapter à ce fait brutal : le marché porteur parle surtout anglais et la
demande pour un produit adapté exige des modifications à ce que linstitution a
lhabitude de livrer. Il va donc falloir souvrir au monde. Et comme de raison,
cest un défi, un grand défi. La logique de la vertu ayant ses exigences
propres, il ne sera évidemment pas question de seulement souvrir à langlais
mais aux grandes langues internationales. Cest bien connu, le client a toujours
raison. Les pragmatiques sont nos meilleurs guides et ils savent que le
néo-libéralisme est un horizon indépassable. LUQAM aborde donc lavenir avec
confiance, le marché la guide et les lois de la concurrence linspirent.
Ceux qui sinquiètent des errements de lUniversité dans notre société ne
seront pas rassurés par la lecture du rapport du Groupe de travail sur
lintégration des étudiants non francophones à lUQAM et sur la langue
denseignement. Il sagit dune remarquable illustration des tiraillements et
contradictions dans lesquelles senferre la réflexion sur la gestion
universitaire. Les idéologies managériales et éducatives sy entremêlent pour
donner une étrange synthèse, une espèce de bouilli où chacun reconnaîtra bien ce
quil veut dans le plat quon lui sert. Lieux communs sur la mondialisation,
observations pertinentes sur lévolution de la production du savoir et sur les
conditions de sa diffusion, rhétorique de la rectitude sur louverture et
ladaptation au changement, diagnostic inquiet sur la qualité de la formation et
sur le niveau de maîtrise du français des étudiants universitaires, propos
éclairés sur les exigences de redéfinition du profil des compétences
linguistiques, naïveté inquiétante sur les réalités de la domination culturelle,
tout y est, la candeur et la bonne foi en prime. Qui trop embrasse mal étreint.
Ce rapport souffre dun vice de construction qui va nuire gravement à la qualité
du débat en plus de compromettre le sort de plusieurs de ses meilleures
recommandations. Tout ny est pas mauvais, en effet, mais tout y baigne dans la
lumière glauque dun économisme primaire qui déforme le questionnement et
corrompt lexpression des préoccupations légitimes qui lont inspiré. En
essayant de régler dans un cadre général des questions qui ne relèvent pas du
même ordre dexigences institutionnelles et qui obéissent à des logiques
différentes, le rapport entretient une confusion qui, à coup sûr, va faire des
dégâts. Cest la contamination marchande qui est responsable de la confusion.
Les considérations sur les nécessités de sadapter au marché et aux
caractéristiques de la clientèle empoisonnent le raisonnement sur la
responsabilité et la vocation dune institution publique jouant un rôle clé dans
la socialisation, lintégration socioculturelle et le développement économique.
Si elles avaient été traitées séparément et avec moins de prétentions
englobantes sacrifiant à lère du temps et à la rhétorique marchande, les
principales composantes du mandat de ce comité auraient été mieux traitées. Et
le sort du rapport promis à une plus grande fécondité. Lambition la emporté
sur la rigueur. Pour y voir clair, il vaut mieux aborder les parties une à une
et ne pas se laisser distraire et emporter par la rhétorique clientéliste qui
sert à gommer les failles du raisonnement.
Commençons donc par le commencement.
Il ny a rien de bien audacieux à poser comme non contradictoire le fait de
sassumer comme institution québécoise et celui de se tailler une place dans un
monde où langlais domine largement. Ce serait bien le comble de postuler que le
Québec est un obstacle pour lui-même, que son identité est une contrainte à son
développement. Si, dentrée de jeu, les rédacteurs mettent tant dinsistance à
établir la complémentarité des défis de linternationalisation et de la
consolidation du français dans lenseignement et la recherche, cest quils
cherchent à sen convaincre eux-mêmes pour tenter de réconcilier la réalité de
leur institution avec les perceptions que leur dictent une lecture du marché de
léducation et les lois de la concurrence dans léconomie du savoir. Lespace
quils se définissent pour y lire un défi, cest en réalité celui que leur
impose un fait qui nest pas réductible au marché : lUQAM participe de la
culture québécoise, sa langue denseignement et celle de ses étudiants est un
fait de société dabord, et non pas une caractéristique de clientèle. Le
français comme langue denseignement na pas quune valeur instrumentale, cest
un fait instituant. Une langue nest pas quun code, elle est à la fois valeur,
héritage et intention de culture.
On se réjouira donc de ce que les auteurs du rapport considèrent que la
maîtrise de la langue française constitue une compétence fondamentale
indispensable. On trouvera, du reste, des recommandations fort intéressantes sur
les dispositions à prendre pour combler les lacunes observées chez les
étudiants. On sétonnera cependant quils aient été les seuls à faire lobjet de
la préoccupation des rédacteurs les professeurs, les professionnels,
gestionnaires et toutes les catégories de personnel ont pourtant un rôle à jouer
et il serait bien étonnant que la perfection y soit observable. Sur la question
de la qualité du français et de sa place dans la formation, le rapport tient des
propos mobilisateurs. Il nest pas mauvais de rappeler les évidences, les
propositions énoncées ne font que ramener luniversité à sa mission
fondamentale.
Il ny a vraiment rien dinédit, par ailleurs, dans les considérations sur la
maîtrise des langues étrangères. On le sait, il faut dabord bien connaître sa
langue maternelle pour en maîtriser une autre ; on sait que la connaissance des
langues est un enrichissement qui peut toujours se traduire en avantage
professionnel. On sait aussi que langlais est à ce point dominant que pour un
grand nombre de gens dans notre société être bilingue signifie dabord parler
anglais ; on sait que dans lensemble de la communication scientifique langlais
domine outrageusement. Mais cest une chose que de souhaiter un meilleur niveau
de maîtrise dune ou deux langues étrangères et cen est une autre de conclure
que la meilleure façon dy parvenir est de changer le fonctionnement de
linstitution. Si la maîtrise de langues étrangères est importante, il y a deux
façons de traiter le problème : soit den faire exclusivement la responsabilité
de létudiant et cest alors à lui que revient la tâche dinscrire les cours de
langue dans son parcours scolaire en puisant à même ses possibilités de cours
optionnels ; soit den faire une composante du curriculum et alors il faut une
réforme des programmes au secondaire et au cégep pour que cet apprentissage soit
traité comme une exigence institutionnelle. Cest une décision qui touche
lensemble du système déducation et cest un débat de société. Létat
tranchera.
Tenter desquiver ce débat en proposant, comme le fait le rapport,
dautoriser les étudiants à poursuivre trois cours dans une autre langue que le
français, cest une bêtise. On apprend une langue en suivant des cours de
langue. Quand on la maîtrise, on peut aisément acquérir le vocabulaire
spécialisé de toute discipline selon diverses formules pédagogiques. Il y a dans
le rapport des pistes intéressantes qui méritent examen. Mais en aucune manière
il nest nécessaire ni souhaitable de changer la formation de base qui doit
viser à développer la compétence maximale, objectif qui passe obligatoirement
par la capacité de penser avec un arsenal conceptuel qui nest jamais aussi bien
développé que lorsquil est en prise sur une maîtrise pointue de sa langue
maternelle.
Le rapport sinquiète par ailleurs et lon comprend que cest là laxe
structurant du mandat de la faible présence détudiants non francophones dans
linstitution. Cest une préoccupation de recrutement légitime. Mais la façon
daborder la question de lélargissement de la clientèle confond des problèmes
et des logiques qui invalident la plupart des recommandations à ce chapitre.
Inquiets de ce que « Les deux universités francophones montréalaises ont un taux
de fréquentation universitaire de la part des allophones qui est, dans les deux
cas, près de trois fois inférieur à celui des universités anglophones » (p. 7)
et non satisfaits de ce que la majorité des étudiants étrangers quelles
accueillent proviennent des pays de la francophonie, les auteurs examinent de
moyens de diversifier les bassins de recrutement. Le traitement des deux
questions ne renvoie pas du tout au même ordre de questionnement et les efforts
des auteurs pour nous convaincre de les traiter selon une même perspective sont
agaçants.
LUQAM comme les autres institutions a une responsabilité à légard de
lintégration des immigrants. Le rapport apporte à cet égard des propositions
intéressantes pour améliorer laccueil et lencadrement des nouveaux arrivants.
Les ententes avec le ministère des Relations avec les citoyens ont permis de
créer des passerelles pour faciliter lintégration des nouveaux arrivants déjà
détenteurs de formation universitaire. LUQAM souhaite aller plus loin. On ne
peut que lencourager à le faire mais en lui rappelant que cest en français
quon accueille et que lon ne rend service à personne en abaissant les normes
de compétence. On peut comprendre aisément que les façons de faire puissent
exiger souplesse et adaptation aux besoins particuliers, mais cela ne requiert
pas la moindre concession à langlais. Il est évident que les immigrants
universitaires doivent faire face aux mêmes défis et exigences que les étudiants
de la société daccueil. Cest en fonction de la norme linguistique qui
sapplique à ceux-là quil faut réfléchir à la manière de mieux accueillir.
Intégrer suppose de donner un cadre, non pas de dissoudre celui qui existe.
La question du recrutement des étudiants étrangers en provenance dautres
bassins que ceux de la francophonie fait sourire. Dune part, il est loin dêtre
établi que lUQAM y a fait le plein. Dautre part, il est encore moins évident
que la priorité simpose de consacrer des ressources considérables pour tenter
de recruter des francophiles quon transformerait à grands frais en
francophones. Cest toujours faisable, mais étant donné lampleur des besoins à
combler pour rehausser le niveau de compétence en français des francophones déjà
recrutés ici et ailleurs, on ne peut être que sceptique sur le réalisme et la
pertinence de ces ambitions. Cest à se demander où se trouve le sens commun
quand on se fait asséner une aussi savante vérité : « La méconnaissance de la
langue française constitue un des problèmes cruciaux qui confrontent les
étudiants étrangers non-francophones intéressés à venir étudier dans une
université québécoise francophone » Et pourquoi diable cela devrait-il devenir
une préoccupation ? à moins que la tentation ne soit dabord de profiter du
marché anglophone en tentant de se convaincre quon finira par détourner les
vocations.
Dénaturer le produit pour recruter de nouveaux clients ? Y a-t-il des
professeurs de marketing à lUQAM ? On est bien près de souscrire à pareille
interprétation en lisant les recommandations sur la formation spécifique, tout
enrobées dune précaution qui cache mal lenvie de profiter des occasions
daffaires que peut ouvrir loffre de formations spécifiques et de programmes
ponctuels dispensés en anglais. Cest vrai que lUQAM pourrait alors aller
chercher sa part de la business et gruger les parts de marché de MCGill ou du
Nebraska State University. Lécole des HEC offre déjà un MBA anglais en essayant
de faire semblant que son produit se démarque de la multitude dautres dans la
mer anglophone. On le sait, largument de loriginalité est spécieux et, de
toute façon superflu, le MBA anglais permet simplement de gonfler le volume
daffaires. Il ny a pas de petits profits et si lon veut rester dans le
marché… Cest à la fois candide et désolant. On peut toujours se consoler en ne
voyant là que des réflexes daffamés que le sous-financement chronique condamne
à la recherche de toutes les sources de revenus possibles et à nimporte quelle
condition et lon sait quà ce jeu la valeur des âmes… Les plus critiques
nhésiteront pas à y voir les ravages des idéologies qui sacrifient au culte de
largent. Dans un cas comme dans lautre la chose donne une drôle dallure à la
recherche de lexcellence. Et au courage de sassumer.
Les présupposés et les contradictions se nouent de façon plus choquante
encore dans le traitement réservé à la question du recrutement des anglophones
et allophones du Québec. Le rapport ne voit dans la sous-représentation des
effectifs appartenant à ces deux segments de la population quun problème de «
communications publiques » qui impose une révision des efforts de mise en valeur
de lUQAM et des stratégies de recrutement. Le recteur a beau faire de grandes
réunions pour sensibiliser les notables des communautés culturelles, la
sous-fréquentation de son institution nest pas un problème de marketing, cest
lexpression dun déficit dintégration. Le document le constate lui-même : à
peine 10 % de cette population fréquente les universités françaises de la
métropole, rien de surprenant quand on reconnaît du même coup que « chez les
étudiants du collégial de langue maternelle « autre » inscrits en formation
préuniversitaire, la préférence pour lenseignement en anglais se maintient en
dépit dune baisse des effectifs : près des deux tiers étudient dans cette
langue » (p. 16). Les problèmes de lUQAM ne sont pas les siens seuls, ce sont
les problèmes du Québec.
Il est clair que le refus de rendre la fréquentation du réseau scolaire
français obligatoire jusquau cégep explique pour lessentiel le phénomène qui
désole lUQAM. Pour faire oeuvre utile, le débat devra porter sur ce déficit
plutôt que sur les manoeuvres pour tenter de séduire une clientèle qui, en
faisant le choix dune institution, fait plus que le choix dune maison
denseignement. On comprend que le recteur soit moins à laise de conduire ce
débat en présence de son vis-à-vis de Concordia qui vit pour lessentiel sur les
vicissitudes de notre modèle dintégration des immigrants. Il semble plutôt
choisir daller jouer dans ses plates-bandes, tenter de gruger son marché en
diluant son produit. Le rapport du comité erre complètement en recommandant
dautoriser « lutilisation de langlais pour les examens et les travaux dans
les programmes disciplinaires de premier cycle pour les étudiants dont la langue
maternelle nest pas le français ». Cest prôner là un régime daccommodement
qui vient saper le modèle dintégration et qui ouvre toutes grandes les portes à
la généralisation du problème dans les autres sphères de luniversité sans
parler de son exportation dans le milieu du travail où se retrouveront les
diplômés. La dérive clientéliste aura des répercussions bien au-delà de
linstitution.
Les étudiants étrangers, les immigrants qui débarquent et les allophones qui
choisissent la voie dintégration aux institutions anglophones ne peuvent être
traités de la même manière. Ils ont peut-être en commun de ne pas avoir le
français comme langue maternelle mais la position quils occupent par rapport à
la logique dintégration exige des réponses qui diffèrent radicalement. Le
rapport gomme ces différences et cela lentraîne à formuler des recommandations
eu égard à la langue denseignement qui conduisent à des culs-de-sac. Un débat
éclairé simpose sur ces questions. Il faut malheureusement craindre que
lattention se porte davantage sur les lacunes du rapport.
On veut bien que lUQAM poursuive sa « collaboration avec les travailleurs
intellectuels des autres régions du monde » mais il nest pas inutile de lui
rappeler que les citoyens qui la financent à même leurs impôts sont en droit
dexiger quelle se conduise comme une force créatrice et non pas comme un agent
de dissolution. Le marché ne la fait pas vivre. Mais il peut lui empoisonner la
vie. Un peu plus de rigueur et un meilleur esprit critique lui auraient évité
une grande part des désagréments que lui imposera ces prochains mois un débat
quelle aura elle-même contribué à laisser partir tout de travers.
(Le 19 février 2003)