Saffranchir ou vénérer ses chaînes?
Nestor Turcotte
philosophe
aristote@ma.cogcable.ca
Voltaire disait un jour qu«il nest pas facile
daffranchir ceux qui vénèrent leurs chaînes». Lécrivain et philosophe
français, mort en 1778, ne pouvait mieux dire. Lhistoire humaine est remplie
dhommes et de femmes qui ont préféré vénérer leurs chaînes plutôt que de sen
affranchir. Lhistoire humaine rapporte aussi que certains peuples, au lieu de
saffranchir de leurs colonisateurs, ont préféré la tutelle permanente, la
soumission perpétuelle, la dépendance continuelle et totale. Les Québécois,
malheureusement pour eux, font partie de cette liste de la honte. Ils narrivent
pas à saffranchir une fois pour toutes des chaînes qui les empêchent de paître,
comme tous les peuples normaux, dans les verts pâturages de la liberté.
Le complexe du colonisateur les tenaille sans cesse, et, ce
qui est normal pour les autres peuples, la liberté conquise, leur semble comme
une inaccessible étoile. Pour les individus, comme pour les peuples, la liberté
est une difficile conquête. Celle-ci nest pas une réalité abstraite qui tombe
devant soi à une période fixée par le destin. Elle est une réalité concrète qui
saligne avec les durs combats de la vie personnelle et collective. Le combat
des Québécois pour la liberté néchappe pas à cette dynamique : les fondateurs
du mouvement indépendantiste y voyaient cinq aboutissements. Il est toujours
important de les rappeler.
Les chaînes de lassimilation
La propagande des médias invite régulièrement, sournoisement,
les Québécois à cesser leur combat nationaliste pour se fondre résolument dans
le grand ensemble anglophone américain. Selon eux, langlicisation des
francophones est inévitable. Ce nest quune question de temps. Langlicisation
est logique et simpose tout simplement pour des raisons pratiques. Le combat
darrière-garde que mène certains dinosaures de la cause nationaliste est déjà
perdu. Les courants didées, les modes, les climats psychologiques, la musique,
les moyens de communication ont envahi toute la culture québécoise. La façade
est québécoise : tout le reste est américain. Daucuns vont jusquà dire que
lassimilation pure et simple au continent serait la meilleure affaire. Cest la
solution des chaînes de lassimilation.
Les chaînes de lintégration lucide
Le rêve de Trudeau, à ses meilleures années, invitait les
Canadiens-français à sintégrer au grand ensemble canadien, en promulguant
légalité des deux langues, des deux cultures, des deux peuples fondateurs.
Indirectement, lancien premier ministre voulait que le Québec soit une province
comme les autres. Le rêve trudeauiste ne peut se concrétiser dans les faits,
puisque, justement, le Québec nest pas une province comme les autres. Le
Québec a pratiquement toujours été seul contre neuf provinces anglaises. Et la
tendance fait quil a de moins en moins de poids dans le grand ensemble
«canadian». La tendance fait que lensemble des provinces anglaises fait
toujours front commun contre le Québec dans presque tous les domaines : social,
éducatif, fiscal, etc. Le pays unitaire et centralisateur de Trudeau et de ses
successeurs équivaut à une menace de mort pour les Québécois. Une minorité
qui veut vivre ne peut pas abandonner la maîtrise de ses destinées à une
majorité culturelle étrangère. La centralisation, telle que vue dOttawa,
équivaut, pour la nation québécoise, à un acte de néantisation. Les chaînes de
lintégration lucide ne peuvent que conduire notre nation à sa disparition à
brève échéance.
Les chaînes de lautonomie provinciale
Périodiquement, les nationalistes, doù quils viennent, –
les Adéquistes en sont une preuve de plus – affirment que lesprit de la
Confédération de 1867 (qui soit dit en passant nen est pas une !) a été violé.
Il a même été détourné et a fait en sorte que les grands centralisateurs
linterprètent à leur façon au détriment des provinces qui réclament davantage
de pouvoirs. Lautonomie provinciale est un leurre de plus. Depuis des
décennies, le Québec na fait que perdre, bribe par bribe, son autonomie dans
une foule de domaines, au profit du gouvernement dOttawa : impôts sur le
revenu, allocations familiales, sécurité sociale, Radio-Canada, Banque du
Canada, assurance chômage, éducation, etc.
De plus, lautonomie provinciale nest plus défendable dans
le contexte nouveau de la mondialisation. Le déséquilibre saccentue constamment
entre le gouvernement central et le Québec. Lempiètement du fédéral dans le
domaine des juridictions strictement réservées au Québec ne se comptent plus. Le
Québec a beau réclamer son butin, Ottawa fait la sourde oreille et envahit
encore davantage les champs de juridictions purement provinciales. A
lexpérience, lesprit de la Confédération na pas été non seulement violé, mais
a engendré un déséquilibre qui conduit le Québec à un état de médiocrité
politique sans pareille. Le Canada confédératif nest pas fait dun Canada
français et dun Canada anglais comme bien des gens le pensent. Il est fait de
neuf gouvernements anglais majoritaires qui sopposent à une seule majorité
française habitant le Québec. Dégal à égal, demandait Daniel Johnson,
sinon, cest lindépendance! De moins en moins égal, comme cest le cas
maintenant, on fait quoi alors? Les chaînes de lautonomie provinciale nont
fait que multiplier les reculs politiques du peuple québécois. Les nouvelles
télévisées de chaque soir nous le confirment. Le bon peuple, que lon amuse à
coup de millions, est bien plus préoccupé par la prochaine défaite ou la
victoire surprise du Canadien de Montréal que par ces questions quil trouve
inutiles, éloignéesde la quotidienne réalité.
Les chaînes de la véritable confédération
Certains, encore aujourdhui, rêvent dune véritable
confédération, telle que définit par le dictionnaire Quillet : «Réunion de
plusieurs états souverains liés entre eux par un pacte commun pour toutes les
mesures dintérêt général. Ce pacte est conclu définitivement, non, comme
lalliance, pour se défendre au besoin contre dautres états, mais avec des
desseins plus étendus; elle est dirigée par des organes permanents. Chacun des
états conserve sa souveraineté intérieure et extérieure. Les affaires relatives
à la Confédération sont traitées par une réunion des représentants des états. Un
parlement confédéral. Toute confédération détats tend à se transformer en
état fédéral, qui en diffère par les points suivants : les membres de
létat fédéral perdent leur souveraineté au point de vue extérieur; elle est
amoindrie au point de vue intérieur.» Dans les faits, le Canada est
maintenant bien plus une «fédération» quune «véritable confédération».
La véritable confédération serait sans doute une amélioration
et les véritables autonomistes devraient, à tout le moins, réclamer pour le
Québec cette pleine autonomie dont il a droit. Lesprit de la Constitution
canadienne ne peut aller jusque-là, parce quil faudrait quil admette légalité
des deux peuples, français et anglais, – ce qui nest pas le cas – et quen le
faisant, il irait à lencontre de son propre esprit qui réduit le Québec à
nêtre quune province comme les autres.
Devant le problème québécois, il ny a plus que deux
solutions politiques possibles : la véritable confédération ou lindépendance du
Québec. Le Parti québécois, qui na jamais été résolument indépendantiste, sauf
sous la période Parizeau, est plus confédéraliste quindépendantiste. Les
référendums de 1980, et davantage celui de 1995, ne demandaient pas que le
Québec devienne un pays indépendant. Les deux consultations demandaient un
mandat de négociation pour faire du Canada et du Québec des états-associés
chapeautés par un organisme confédéral.
La question référendaire de 1980 disait ceci :
Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition
den arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le
principe de légalité des peuples; cette entente permettrait au Québec
dacquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et
détablir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté – et, en même
temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant
lutilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant
de ces négociations ne sera réalisé sans laccord de la population lors dun
autre référendum; en conséquence, accordez-vous au gouvernement du Québec le
mandat de négocier lentente proposée entre le Québec et le Canada?
La réponse fut NON. Si la même question «conféréraliste»
avait été posée au Canada anglais, la réponse aurait été la même, mais avec un
pourcentage frôlant les 100%.
La question référendaire de 1995 nétait guère plus claire et
tout aussi confédéraliste. Tout cela pour accommoder ladéquiste Mario
Dumont quon avait réussi à attirer dans le camp du OUI transformé en plébiscite
confédéraliste :
Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir
offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique,
dans le cadre du projet de loi sur lavenir du Québec et de lentente signée le
12 juin 1995?
Les Québécois ont failli dire OUI à ce nouvel arrangement
confédéraliste, mais le Canada anglais, si on le lui avait demandé, laurait
refusé avec un pourcentage tout aussi fort quen 1980.
Lastuce des dirigeants politiques péquistes de lépoque
néchappa pas à nimporte quel observateur attentif, à tout bon journaliste
chevronné. On espérait en arriver à faire dire aux Québécois quils voulaient
rester dans un système confédératif et que, si le Canada anglais refusaient ce
nouvel arrangement constitutionnel, le Québec proclamerait unilatéralement son
indépendance. En dautres mots, les politiciens péquistes de lépoque voulaient
que les Québécois fassent leur indépendance dans le brouillard, un peu par la
bande. La dénonciation dune telle astuce, à lépoque, mavait attiré les
foudres danciens compagnons darmes. Si un peuple doit accéder à sa dignité de
peuple libre, il doit le faire en toute lucidité. Et là-dessus je nai pas
changé didée!
En 1980 et en 1995, les indépendantistes ont donc voté pour
rester «dans le Canada» et cela, sans trop sen rendre compte. Ce sont les
fédéralistes qui ont parlé de «séparation». Dans le camp du «OUI» au Canada
renouvelé, on na jamais parlé de quitter le pays. La démarche proposée ne
visait quà le réaménager, à rester marié tout en ayant lair davoir divorcé!
Et cest la raison pour laquelle les Anglo-Canadiens ont
rejeté ce projet dune nouvelle confédération, tant en 1980 quen 1995.
Pourquoi? Pour deux raisons. Les Anglos-canadiens se sont vite aperçus quil y
perdraient trop dans un tel arrangement politique. Habitués à diriger et à
dominer, ils nauraient pas pu supporter dêtre soudainement réduits au statut
dégalité avec les Québécois. La réalisation dune nouvelle Confédération est
donc un leurre de plus. Pour la réaliser, il faudrait laccord de deux volontés,
lune dominante et lautre dominée. Ceux qui pensent que cela est possible
peuvent continuer à rêver! Les Anglos-canadiens ne seront jamais prêts à perdre
ce statut privilégié et traiter dégal à égal avec leurs voisins francophones.
De plus, la véritable Confédération, dans le cas des
Canadiens-français, (les Québécois) serait une véritable catastrophe
psychologique. Elle ne ferait que perpétuer, sous un angle différent, la
dépendance de notre peuple, sa domination par une nation étrangère. La preuve en
est que lorsquon parle de libération nationale, les Québécois sy montrent
plutôt favorables, à condition que lensemble soit assorti dune association
politico-économique avec nos voisins anglophones. Le peuple veut bien la
liberté, mais jusquà un certain point. Le complexe de colonisé sexprime
toujours à lintérieur de ce nouvel arrangement fictif qui fait faire du millage
aux politiciens mais qui perpétue létat de domination qui écrase toujours le
peuple québécois.
Les politiciens péquistes voudraient faire la souveraineté du
Québec et réaliser une union confédérale en même temps. Les fédéralistes ont
toujours refusé cette démarche, et avec raison. Le Canada anglais ne peut
vouloir une confédération détats associés sans savoir si les Québécois veulent
dabord leur propre souveraineté. Et plus encore, advenant que les Québécois
décident un jour leur souveraineté, le Canada anglais peut et doit se réserver
le droit de demander à ses citoyens sils veulent un tel type dassociation
politique. De côté-ci, on présume que le Canada anglais ne peut dire NON. De
leur côté, en tout respect pour lui, on doit attendre quil se soit prononcé.
Voilà la simple logique!
La création dune authentique confédération, si valable
soit-elle sur bien des plans, nest en réalité que lexpression camouflée de
notre complexe dinfériorité. Les Québécois ne peuvent se faire à lidée quils
est possible de mener leurs affaires seuls, sans sappuyer sur un associé
naturel ou fictif. Ils pensent quils ne peuvent arriver à mener leur vie
nationale comme le font la plupart des peuples normaux dans le monde.
La Confédération actuelle nous a été imposée et jamais les
Québécois ont eu à décider par voie référendaire si elle leur convenait ou pas.
La nouvelle Confédération proposée par le Parti québécois serait encore plus
néfaste que la première, parce que, si elle était votée, deviendrait «nôtre»….
parce que nous laurions choisie. Elle consacrerait, et pour longtemps, notre
statut dinfériorité et de minorité dans un ensemble politique qui nous
désavantagerait pour toujours.
Il faut de toute urgence que le peuple québécois se libère de
la domination politique, économique, culturelle et surtout de la psychose
dincapacité qui le ronge. La nouvelle Confédération péquiste ne fait que
prolonger notre dépendance dans un nouvel arrangement politique qui perpétue la
domination étrangère sur notre nation. Il faut se délivrer des chaînes de la
«confédération choisie» pour voter lindépendance dabord, lassociation
ensuite. Les mirages confédératifs de Landry et cie nous conduisent à un
cul-de-sac. ça fait deux fois quon demande au peuple québécois sil veulent de
ce nouvel ordre politico-économique. Ils ont dit NON par deux fois. Une
troisième fois serait de trop! Sil doit y avoir un autre référendum la question
doit être simple : Acceptez-vous que le Québec devienne un pays en date du 24
juin 2000 quelque chose? OUI? NON? Avec promesse de ne pas reposer la
question ! On ne demande pas deux fois à une personne ou à un peuple sil veut
choisir la liberté !
Lindépendance du Québec (laffranchissement des chaînes)
Les premiers indépendantistes québécois affirmaient quune
minorité qui veut vivre ne peut pas abandonner la maîtrise de ses affaires à une
majorité qui lui est étrangère. Ce constat est clair. Ce nest pas par hostilité
ou par vengeance contre les Anglais que ceux-ci en étaient arrivés à définir les
paramètres de leur lutte. Pour eux, cétait tout simplement une constatation
mathématique : la majorité lemporte toujours sur la minorité.
Ou bien, nous nous plions aux décisions de la majorité et nous cessons de
nous plaindre, ou bien nous nous retirons de la Confédération.
Un peuple qui veut vivre doit faire autre chose que ne pas
mourir. Que faut-il faire alors? Il faut sortir du carcan minoritaire qui nous
tue de jour en jour, et prendre notre place, en toute dignité, dans le concert
des peuples libres. Un peuple ne peut vivre éternellement de sempiternelles
revendications. Il doit vivre dans la Dignité. La Confédération actuelle nous
détruit, nous tue à petits feux, nous rapetisse de jours en jours. Elle nous a
ramenés au rang de province comme les autres. Les Québécois ne sont pas
satisfaits et ne seront jamais satisfaits de cette Confédération qui nen est
pas une. Il y a une solution : en sortir. Il y en a une autre : fermer sa gueule
et mourir.
Le peuple québécois obéira-t-il à la soif inextinguible qui a
caractérisé les peuples de toute lhistoire humaine? Il y a quune seule façon,
à ce stage-ci de notre histoire dêtre distinct : cest dobéir à cette loi
toute naturelle et cesser de se mettre pour toujours sous la tutelle de nos
conquérants. Pour cela, il faut que le peuple du Québec cesse de vénérer ses
chaînes et saffranchisse de ceux qui lont toujours dominé.
Voltaire disait qu«il nest pas facile daffranchir ceux
qui vénèrent leurs chaînes». Le philosophe Kant va encore plus loin :
«Celui qui se fait ver de terre, dit-il, peut-il se plaindre
dêtre écrasé?» Si la situation de notre peuple est si misérable, cest sans
doute à cause de nos leaders qui nont jamais eu le courage de nous inviter à
sortir de cette situation de ver de terre, pour nous relever devant le
Dominateur et le Conquérant qui nous a toujours écrasé. Tant et aussi longtemps
que nous dirigeants ne prendront pas la station verticale de lhomme debout et
libre, le peuple du Québec risque de rentrer dans son trou, pour y mourir un
jour, dans loubli total des nations dites civilisées et libérées.
Matane, 24 avril 2002