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L’ESPERANTO DES TEMPS MODERNES

L’ESPERANTO DES TEMPS MODERNES
Le français et ses alliés québécois !

Propos de deux collaborateurs : MM Patrick Andries et Charles Durand.

(Patrick Andries) Si le français est la langue commune au Québec, l’anglais
représente son pont vers le monde parce qu’il est «l’espéranto contemporain»,
a déclaré lundi le premier ministre Bernard Landry, devant une assemblée
d’organismes communautaires anglophones.

(Charles Durand) Cette illusion est assez fréquente et de conséquence néfaste
au plurilinguisme.

(Patrick Andries) Après Claude Allègre, Jean-Marc Messier (et combien
d’autres ?),
voici que le Premier ministre du Québec ajoute sa pierre à la construction de
l’anglais "espéranto contemporain". Il semble de plus en plus clair que
les personnalités du monde non-anglophone sont celles qui auront le plus
d’influence pour transformer cette fausse fatalité en vérité inculquée.

(Charles Durand) L’anglais n’est absolument pas le latin des temps modernes
et ne présente
aucune des caractéristiques de l’espéranto.

(Patrick Andries) Bernard Landry semble ne reconnaître au français que le
statut de langue
de communication québécoise, une langue à usage interne.

(Charles Durand) Cette erreur est colossale. Monsieur Landry voit le monde à
travers les
lunettes d’un anglophone, c’est-à-dire d’un colonisé.

Pour bien s’en convaincre, je propose aux participants du forum
France-Langue de découvrir mon dernier bouquin:

La mise en place des monopoles du savoir par Charles Durand
(Editions l’Harmattan, 120 pages, ISBN: 2747517713)

Il y a presque 35 ans, la plupart des facultés de sciences aux Etats-Unis
supprimaient leur «Ph.D. foreign language requirement». Jusque là, tout
futur doctorant américain dans une discipline scientifique devait
obligatoirement prouver qu’il maîtrisait au moins UNE des grandes langues
scientifiques autres que l’anglais, et cela suffisamment pour pouvoir
comprendre sans difficulté toute publication dans sa spécialité rédigée
dans cette langue. Les langues étrangères alors reconnues par les
universités nord-américaines comme «langues scientifiques» comprenaient
généralement un sous-ensemble de langues indo-européennes (allemand,
espagnol, français, russe,.), sémitiques (arabe littéraire) et asiatiques
(japonais et mandarin).

Aujourd’hui, à quelques rares exceptions près, ce «Ph.D. foreign language
requirement» n’existe plus dans les disciplines scientifiques. Depuis sa
suppression, des pressions directes et indirectes ont été exercées sur les
congrès scientifiques internationaux – autrefois multilingues – pour qu’ils
deviennent progressivement unilingues, et la même tendance s’est appliquée
aux revues et journaux présentant les résultats des recherches
fondamentales, dans les pays anglophones comme ailleurs. La disparition
progressive des langues autres que l’anglais du domaine de la communication
scientifique internationale suivait en fait les directives énoncées dans
l’«Anglo-American Conference Report 1961». Ce document de nature
confidentielle était destiné au British Council dont l’actuel président
Tony Andrews déclare d’ailleurs sans complexe que «l’anglais devrait
devenir la seule langue officielle de l’Union européenne» (rapporté par le
Frankfurter Allgemeine Zeitung du 27 janvier 2002). Rien que ça !
Parallèlement, de nombreux laboratoires, instituts, centres de recherche et
même certaines divisions d’industries manufacturières ont, dans divers pays
non anglophones, adopté l’anglais comme langue «officielle» de leurs
activités sous la pression de leurs dirigeants qui prétextaient des
nécessités commerciales et des impératifs de communication à l’échelle
planétaire.

L’année dernière, l’Association des universités partiellement ou
entièrement de langue française (AUF) a organisé un colloque pour évaluer

les avantages et les inconvénients de cet état de fait. Ce colloque
réunissait des scientifiques, des hauts fonctionnaires de l’Education
nationale, des directeurs de grands laboratoires nationaux et des
linguistes. En tant que participant invité au colloque, j’avais rédigé une
communication dont une version beaucoup plus complète et étoffée vient
d’être publiée chez l’Harmattan sous la forme d’un livre de 120 pages
intitulé: «La mise en place des monopoles du savoir». En effet, un examen
détaillé de la situation actuelle montre que l’adoption officielle ou
officieuse de l’anglais comme véhicule de communication internationale dans
le seul domaine scientifique entraîne un certain nombre d’effets pervers
pesant très lourds par rapport aux bénéfices que cette pratique est censée
apporter à ses promoteurs. Plus particulièrement dans le cadre
universitaire, celui qui nous intéresse, elle entraîne la formation de
monopoles en opposition absolue aux principes de libre accès au savoir dans
des établissements d’enseignement supérieur libres et ouverts.

L’actuel quasi monopole du savoir technico-scientifique moderne détenu par
les Anglo-américains – qu’il soit réel ou imaginaire – n’est pas lié aux
seuls mérites de leurs chercheurs et de leurs ingénieurs. Dans une large
part, il est la conséquence directe de l’adoption de la langue anglaise
comme langue internationale en science et en technologie, démultipliant
ainsi la visibilité du monde anglo-saxon dans ces secteurs au détriment de
celle des autres. A terme, l’usage de plus en plus répandu de l’anglais
dans les laboratoires de recherche, qu’il soit librement choisi ou imposé,
aboutit à une véritable stérilisation du processus créatif, à un
réalignement automatique sur les thèmes de recherche anglo-américains et à
des contributions presque exclusivement techniques. La pensée scientifique
est probablement condamnée à stagner tant que les langues autres que
l’anglais n’auront pas reconquis leur statut d’outil d’investigation et de
communication à part entière dans tous les secteurs de recherche.

Ce livre cible tous les universitaires et les ingénieurs qui sont impliqués
dans des activités de recherche. Il désacralise un sujet tabou, celui de
l’usage de plus en plus répandu de l’anglais comme véhicule de
communication dans le monde moderne de la recherche. Il dénonce la culture
de la naïveté par rapport à l’usage de cette langue qui entraîne des
altérations considérables dans la nature de la démarche scientifique, sans
compter les énormes privilèges économiques et politiques (en faveur des
nations anglophones) créés dans son sillage. L’ouvrage fait voler en éclats
le mythe de la prétendue nécessité d’une lingua franca dans les sciences et
les techniques sur la base d’un argumentaire totalement pragmatique et
indispensable à tous ceux qui veulent donner un nouveau souffle à la
créativité scientifique. Il fournit de nombreuses explications et
informations pour comprendre ce qui se passe. Il comble le vide qui sévit
dans la pensée en cette période électorale en touchant un problème crucial
de la société française actuelle qu’il convient de laisser de côté, selon
certains !

Attention: Le livre n’est pas encore répertorié sur Electre et, par
conséquent, n’est donc pas encore disponible sur les librairies en ligne.
Il peut néanmoins être commandé chez n’importe quel libraire en France
métropolitaine ("La mise en place des monopoles du savoir", Editions
l’Harmattan, 120 pages, ISBN: 2747517713).

Charles Durand
Charles.Durand@utbm.fr

(Texte extrait du groupe de discussion Langue française le 28 mars 2002)


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