Rechercher
Close this search box.

EASTERN TOWNSHIPS OU ESTRIE ?

Eastern
Townships
ou

Estrie ?

Le 2 octobre 2001

Au cours des derniers mois nous
avons tous pu observer un certain nombre d’interventions de personnes ou de
groupes qui se disent indisposés ou ulcérés par les pratiques de certains
organismes qui militent en faveur de la réintroduction du vocable Eastern
Townships
pour remplacer celui d’Estrie. Le principal porteur du
flambeau de cette démarche, c’est l’Association Touristique Régionale (ATR),
elle qui pourtant a porté le nom d’Association Touristique de l’Estrie (ou
Tourisme Estrie) de sa création en 1981 jusqu’en 1996, année où elle a
changé pour Eastern Townships. Comment en est-on arrivé à une telle
aberration ?

Rappelons d’abord que
les régions administratives du Québec existent depuis un bon 25 ans et que
la région 05 qui couvre le territoire de Sherbrooke, Magog, Coaticook, Lac
Mégantic et Asbestos est désignée sous le nom d’Estrie depuis ce temps. Et
techniquement, la région administrative est le point de référence
géographique de tous les ministères. Que l’on parle de santé, d’agriculture,
d’affaires sociales, d’éducation ou de sécurité publique, la référence,
c’est toujours l’Estrie. Comment alors le tourisme peut-il déroger à cette
règle ?

Les ATR ont vu le jour
principalement au début des années 80 et d’une façon générale, leur
délimitation géographique coïncidait avec la région administrative, donc,
région administrative agricole, touristique ou autres portent toutes le même
nom. Sauf que… quand on a délimité les régions touristiques, le
législateur a introduit une modalité qui prévoyait que l’on pouvait tenir
compte des affinités particulières et des sentiments d’appartenance ; c’est
ainsi que la région de Thetford-les-Mines et celles de Granby, Dunham,
Waterloo ont demandé à être rattachées à l’Estrie plutôt qu’à la Beauce et à
la Montérégie respectivement. On doit ajouter, pour être complet, que ce
secteur situé à l’extrémité ouest de la région touristique (en fait, les MRC
de la Haute-Yamaska et de Brome-Missisquoi) avait déjà un penchant pour
l’appellation Eastern Townships mais ils ont accepté de se joindre à
l’Estrie qui ralliait la majorité. Avec le temps, ces chevauchements de
territoires ont fini par causer des frustrations et des agacements dans les
deux MRC précitées, de sorte que celles-ci, à quelques reprises, menaçaient
de se détacher de I’Estrie touristique pour se joindre à la Montérégie. Le
point culminant de cette crise se situe fin 1995 début 1996. Après quelques
mois de tractations, tout s’éclaircit dans les premiers mois de 1996 – les 2
MRC mettent subitement fin à leurs démarches «sécessionnistes», et tout
aussi subitement, Tourisme Estrie annonce qu’à sa prochaine assemblée
générale, il sera proposé de modifier le nom de la région touristique,
d’Estrie à Eastern Townships, Eastern Townships/Cantons-de-l’Est
ou Cantons-de-l’Est/Eastern Townships. Il n’est pas nécessaire d’être
devin pour comprendre le type de tractations politiques qui ont été tenues
derrière des portes closes… On a vendu notre sentiment d’appartenance à
l’Estrie contre les $$$$ que retire l’ATR des 2 MRC mentionnées. Mais, il
n’y a pas que ça…

L’assemblée générale de
Tourisme Estrie a eu lieu à la fin de mai 1996 à l’Astrolab du Mont
Mégantic. La direction de l’ATR était bien préparée. Quelques semaines avant
cette assemblée (et donc quelques semaines avant le vote), sur le site de
l’organisme, le changement de nom était déjà présenté comme chose acquise et
réglée ! La journée de l’assemblée, l’ATR a nolisé un autobus pour amener au
Mont Mégantic les votants provenant principalement des 2 MRC favorables au
Eastern Townships. à l’heure du vote, il y avait dans la salle 43
personnes habilitées à voter (sur 550 membres, selon les données de l’ATR ).
Le résultat fut le suivant : 34 personnes ont choisi Eastern Townships
et 9 seulement ont choisi Estrie. Pif-Paf ! La cause est entendue ; on passe
à autre chose ! Magog-Orford et Sherbrooke se sont présentés à l’Assemblée
avec une résolution en faveur de l’Estrie ; elles représentent tout de même
120 M$ de chiffres d’affaires, soit près de 65% des recettes touristiques de
l’Estrie en 1996. Mais comme chacun sait, la démocratie de nos jours
s’accommode de bien des biais…

Quels arguments ont
utilisé les tenants d’Eastern Townships ? Je me permets ici deux
citations entendues lors de l’Assemblée générale, lesquelles résument assez
bien la teneur des débats. Un sympathique représentant de Owl’s Head nous
fait part de sa vision très large ! «Estrie – What the hell is that ?»
Un autre collègue de la région Brome-Sutton est plus explicite : «En dehors
du Québec, personne ne sait c’est quoi l’Estrie ; par contre, dans le reste
du Canada et en Nouvelle-Angleterre, l’appellation Eastern Townships
est bien plus connue. Donc, on a fait une erreur, il y a 15 ans quand on a
retenu le nom d’Estrie. Il faut garder le nom qui est notre meilleur
vendeur. Moi personnellement, ça ne me dérangerait pas de me faire appeler
Martien ou Bozo si ça me permet d’obtenir plus de touristes. Vous allez voir
: avec Eastern Townships/ Cantons-de-l’Est, il va y avoir deux fois
plus de touristes…» Cette vision va dans le même sens que celle exprimée
par le président de l’ATR : «L’Estrie c’est du sentiment ; passons
maintenant aux affaires !» Foutaise ! à la naissance de l’ATR, le tourisme
estrien montrait un chiffre d’affaires d’au plus 2O M$ et en 1996, il avait
atteint 185 M$, soit presque 10 fois plus en 15 ans. Et c’est avec le nom
d’Estrie que ces remarquables réalisations ont été réussies. Pendant la même
période, l’ensemble du Québec progressait de 2,5 fois…

Si on voulait être un
petit peu méchant, on pourrait ajouter qu’avec l’appellation Eastern
Townships
, la station de ski du Mont Orford et son golf ainsi que
l’Auberge Chéribourg, deux des plus prestigieux fleurons du tourisme estrien
ont dû déclarer faillite, il y de cela quelques mois à peine…

Comment décoder tout
cela alors ? Touristiquement parlant, l’Estrie compte des ressources et des
potentiels exceptionnels et son rendement actuel peut être poussé encore
bien plus loin, ce qui suppose que la région puisse élargir de façon notable
la base de sa clientèle. L’Estrie connaît de réelles difficultés à maintenir
sa base dans le Québec francophone ; elle se tourne donc vers ses marchés
naturels limitrophes hors Québec, lesquels sont anglophones et lesquels
aussi ne se sont pas montrés très réceptifs jusqu’ici à notre publicité
touristique. Dans ce contexte, le raisonnement de l’ATR semble être le
suivant : «Quand j’arrive à Toronto avec le nom Estrie, ça fait trop
québécois francophone ; c’est mal perçu par les Orangistes. être vraiment
nous autres à Toronto, c’est tellement gênant. Si on pouvait leur vendre
l’idée que l’on est surtout une région anglophone, une région de
”Townshippers”, ça aurait plus d’impact !
D’abord, il faut se donner
un nom qui va vraiment bien décrire cette approche et cacher le plus
possible cette épouvantable prolifération de Québécois franco…»

Le retour à Eastern
Townships
, c’est la négation de la réalité sociologique et politique de
notre région à l’orée du 3e millénaire. C’est aussi un bel exemple de
prostitution culturelle dans la mesure où, dans l’espoir de recueillir
quelques dollars de plus, on est prêt à vendre notre identité, son sentiment
d’appartenance et sa réalité structurelle. C’est un peu triste qu’on en soit
rendu là, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César : les gens
qui en 1996 tenaient à l’appellation, sont venus le dire ; les autres ne
sont pas venus se battre pour défendre leur appartenance à l’Estrie, et
paraît-il que les absents ont toujours tort. Assez étrangement on se,
réveille aujourd’hui, deux ans et demi après les faits… Serait-il
illusoire de penser que Tourisme Québec ou le CRD de l’Estrie pourraient se
mouiller sur une telle question ?

Un Estrien malgré tout

Roger Nadeau


M. Roger Nadeau est docteur en
géographie et professeur de tourisme à l’Université de Sherbrooke.

Texte tiré du
Bulletin de nouvelles
de la SNQ-Estrie


NOTE DU MEF

Le MEF n’avait pas
été invité à l’assemblée clandestine de l’association touristique «Eastern
Townships» ; nous avons dû réagir après coup.

(Le 28 octobre 2002)


Nous avons besoin de vous

Contribuez à Impératif français en faisant un don ou en devenant membre !