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PERDRE LE SENS DES INSTITUTIONS

PERDRE LE SENS DES INSTITUTIONS
Les députés et ministres ont manqué aux devoirs de leur charge.

Robert Laplante

Aux citoyens et citoyennes que la politique désole au point de
les détourner de leurs devoirs civiques et de les amener à
négliger leurs responsabilités démocratiques, les événements déclenchés
par
l’inconduite de l’Assemblée nationale auront fourni de consternants
arguments.
Les députés et ministres ont manqué aux devoirs de leur charge. Ils se sont
conduits d’une manière inacceptable en transformant la plus haute institution
de
la nation en vulgaire tribunal de taverne. Une motion rédigée à la sauvette,
des
reproches fondés sur le oui-dire et la rumeur, une procédure sommaire : tout
pour
illustrer que l’Assemblée nationale est le lieu par excellence de la liberté
d’expression et du respect des droits des citoyens !!!

Plus les jours passent et plus grand devient le malaise devant ce qui s’est
passé
le 14 décembre dernier. Ce jour-là la médiocrité a frappé la plus haute
institution
du pays. Médiocrité politicienne qui a permis à deux chefs de partis de
lancer
leurs troupes dans des manoeuvres qui dénaturaient l’institution qu’ils ont
fait
serment de servir. Ce n’est pas la première fois que les libéraux s’adonnent
à ce
jeu dangereux qui consiste à laisser planer des doutes sur la légitimité du
projet
souverainiste en cautionnant plus ou moins sournoisement les amalgames
racistes. Cela leur permet de faire dévier l’attention sur ce fait
déplorable : le
PLQ n’a plus rien à proposer au Québec que la soumission à l’ordre
canadian et
c’est derrière le salissage de l’option souverainiste qu’il cherche à
cacher sa
démission. La motion de blâme ne visait qu’à embarrasser le gouvernement –
et
à le faire de n’importe quelle manière – quitte à employer des méthodes
qui
briment la liberté d’expression et attisent des préjugés qui érodent la
paix sociale.

Lucien Bouchard ne s’est franchement pas grandi en s’associant au PLQ
pour
brandir la censure et tenter d’écarter, en le stigmatisant, un candidat qui n’a
jamais caché son refus de pactiser avec l’attentisme et les conduites
velléitaires
du gouvernement. Tout cela tient, au mieux, du sparage émotif et, au pire, d’une
manoeuvre de diversion de la part d’un chef ombrageux qui, manifestement,
compose difficilement avec un parti aux multiples tendances. S’ajoutant au
flottement et à la lassitude d’un deuxième mandat qui n’a pas encore
trouvé ses
marques, la décision de rejoindre l’Opposition officielle sur le terrain
boueux où
elle l’a aisément entraîné sème la consternation. Quoi qu’il en soit, ce
mouvement d’humeur d’un homme, à l’évidence fort mal conseillé, et
probablement surmené par d’intenses séances de crêpage de chignon avec des
notables aux abois, n’aurait jamais dû prendre les proportions qu’on lui
connaît.

Il faut néanmoins aller au-delà du spectacle immédiat pour constater jusqu’à
quel
point la chose a fait paraître l’ensemble de nos élus comme des serviteurs
brouillon de la plus haute institution nationale. Nos élus se sont comportés
lâchement devant un citoyen et surtout, devant le message qu’il a porté
devant la
Commission des états généraux. N’en déplaise à tous ceux qui voudraient
les
balayer sous le tapis, il y a dans la société québécoise des clivages qui
sont
porteurs de graves malentendus et sources de tensions qui n’iront qu’en
s’aggravant si le débat public ne permet pas de les nommer. Et c’est là ce
qui
importe par-dessus tout : c’est aux élus d’abord que s’impose de montrer
le
courage et la rigueur nécessaires aux échanges constructifs. La motion de
blâme
jette le discrédit sur le processus même que le gouvernement du Québec a
enclenché avec la tenue de la Commission des états généraux, en laissant
peser
sur tout citoyen désireux de participer au débat public le risque de subir l’opprobe
et l’anathème.

Le traitement que l’Assemblée nationale a infligé à Yves Michaud vient d’inciter
à l’auto-censure l’ ensemble des citoyens du Québec. Car ne l’oublions
pas,
l’homme n’a pas tenu des propos contraires aux lois, il a tout simplement
semé la
controverse, provoqué le débat. C’est pourquoi il faut exiger, avant toute
chose,
que réparation soit faite. Il le faut pour rétablir dans ses droits et son
honneur un
homme condamné injustement. Mais il le faut surtout par respect pour l’ensemble
des citoyens. Nul ne saurait tolérer une pareille dérive politique. La
démocratie
québécoise restera entachée d’un pareil précédent. Les élus ont erré.
La
démocratie, c’est aussi le droit de se tromper. Il n’y a rien de
déshonorant à
s’amender. Il faut exiger de nos élus qu’ils le fassent. Et la réparation
doit aller
au-delà de l’orgueil des hommes pour rétablir l’intégrité de l’institution.

Il revient au gouvernement de prendre l’initiative. Le déshonneur a assez
duré. Il
y a tout de même des limites à présenter un gouvernement du Parti québécois
comme un fiduciaire fragile d’un état ébranlable au moindre coup de gueule.
Au
moment où des assauts sans précédent grugent les compétences du Québec,
alors qu’Ottawa fait tout pour traiter l’Assemblée nationale comme un gros
conseil de marguillers, le dérapage de la motion est une chose d’une gravité
extrême. Il faut rétablir la dignité de l’Assemblée. Il n’y a d’affaire
Michaud que
par l’érosion du sens des institutions.

Un premier ministre plus soucieux des exigences de la rigueur
institutionnelle
pour le tenue des débats soulevés par les propos de Yves Michaud devant la
Commission aurait pris le temps de vérifier les dires et donner au polémiste
l’occasion de s’expliquer. Il aurait également pu lui répondre que le
gouvernement a publié un document sur la citoyenneté et l’intégration ,
tenu un
forum qui a réuni près de 400 personnes et qu’il en est ressorti un
matériau riche
pour doter le Québec d’une approche civique non seulement ouverte mais
innovatrice et audacieuse. Il aurait invité les citoyens à revenir sur ce
document
gouvernemental. Bref, il aurait donné le point de vue de l’état.

Un chef de parti moins timoré aurait répondu que le programme élaboré au
fil
des ans par des milliers et des milliers de militants ne changera pas parce qu’un
aspirant interprète à sa manière quelques résultats de sociologie
électorale. Un
chef de parti confiant dans ses instances lui aurait d’abord demandé de
souscrire
au programme sur les thèmes évoqués. Lucien Bouchard aurait alors vu
l’évidence : Yves Michaud adhère au programme du PQ. Un chef de parti qui
n’aurait pas apprécié les propos ou jugé trop courtes les interprétations
de
l’aspirant candidat aurait pu le rabrouer, lui faire la leçon ou l’inviter
à s’inscrire à
la future école de formation du parti. Mais il n’aurait pas fait de la chose
une
affaire d’état. Les humeurs du chef l’ont ici entraîné à confondre les
rôles et à
bafouer les normes qui les régissent l’un et l’autre.

Le Parti Québécois et son président feront les débats qui s’imposent
dans les
lieux appropriés. Il est évident que cela provoquera des tensions néfastes.
D’aucuns réalisent déjà que l’Affaire Michaud aura servi de catalyseur :
le chef
a manifestement du mal à répondre aux attentes qui ont accompagné le très
fort
résultat du vote de confiance reçu au dernier congrès national. Chacun doit
savoir que la politique de la terre brûlée ne grandira personne. Il faut
espérer que
cette embardée fasse comprendre à Lucien Bouchard qu’il a été élu pour
gouverner le Québec en mouvement et non pas pour gérer la Belle province.
C’est avec des projets fondateurs qu’on mobilise une population, qu’on lui
donne
confiance dans son potentiel et qu’on peut espérer lui inspirer l’audace et
le
dépassement.

Les libéraux , pour leur part, seraient mieux avisés de faire savoir en
quoi ils
peuvent représenter une alternative digne de bien servir nos intérêts
nationaux.
La tactique utilisée par le député Bergman rabaisse l’Opposition officielle
au rang
d’un groupuscule d’activistes pro-canadian. Elle illustre et participe du
même
esprit de démission qui a conduit les libéraux à refuser de soutenir la loi
99 et
marqué leur consentement à la minorisation du Québec. Jean Charest s’est
alors
comporté d’une manière indigne en laissant son parti piétiner notre
institution
suprême par un état qui a tout intérêt, par ailleurs, à voir dériver notre
Assemblée sous l’effet de manoeuvres comme celle que le PLQ a lancée le 14
décembre dernier. Il devrait lui aussi revenir aux exigences de sa fonction: c’est
à l’unanimité que l’Assemblée nationale devrait rescinder cette motion de
blâme.
Quant à Mario Dumont, l’occasion lui serait alors donnée de montrer qu’il
a les
qualités pour soutenir ses prétentions.

Il faut refuser la voie de la censure et de la médiocrité. Le premier
ministre doit
prendre l’initiative et faire preuve d’élévation d’esprit. Il est le
gardien des
institutions. A lui d’abord, son rôle impose de savoir raison garder. C’est
ce
qu’on attend de Lucien Bouchard. Il nous évitera ainsi d’avoir à subir à
nouveau
la disgrâce de certains de ses ministres qui, au cours de ce sinistre épisode,
ont
agi et parlé comme des videurs de tripôt.

Robert Laplante
Action nationale

(8 janvier 2001)


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