DéPOLITISER LA QUESTION DE LA LANGUE
Le point de vue de lASULF sur le rapport Larose
Il y a lieu de féliciter la Commission des états généraux sur la
situation et lavenir de la langue française davoir produit globalement
un rapport de qualité. LASULF applaudit à plusieurs recommandations de
cette commission, mais regrette son orientation sur certains sujets et
surtout son silence sur dautres. Ce rapport fait heureusement une place
importante à la qualité de la langue. Il ne faut pas voir dans ce fait une
fuite en avant : agir sur la qualité à défaut dagir sur le statut. La
Commission a bien fait de relier ces deux aspects, lun nallant pas sans
lautre.
Cela dit, le traitement réservé à certains sujets par la Commission et
le silence du rapport sur quelques autres soulèvent des questions et font
naître des inquiétudes. Ce sont la dépolitisation de la question de la
langue, la fusion des organismes, lenseignement de la langue, lexemple de
létat et lapplication de la Charte. la dépolitisation de la question de la
langue
La Commission ne dit pas un mot sur la dépolitisation de la question
de la langue. Quest-ce que dépolitiser? Cest faire en sorte que cette
question ne soit pas sous lemprise dun parti ni vue comme telle. Larrivée
au pouvoir dun autre parti ne doit pas signifier la remise en question des
acquis ou de lorientation de la politique linguistique ni un changement des
têtes
dirigeantes des organismes créés par la Charte. Laccord des partis
politiques sur la promotion de la langue est nécessaire pour que lorganisme
chargé de la faire joue vraiment le rôle essentiel de rassembleur.
La Commission fait comme si ce problème fondamental nexistait pas.
A-t-elle oublié que les libéraux ont refusé de comparaître devant elle
parce quils lont considérée comme une affaire de péquistes? Elle sait que
les dirigeants des organismes en place sont identifiés depuis toujours, à
tort ou à raison, peu importe, au parti au pouvoir.
La Commission avait une occasion en or de régler cette question en
faisant relever lOffice de lAssemblée nationale, comme le lui ont suggéré
plusieurs groupements, dont la CSD, la CSN et lASULF. Si une telle
proposition lui paraissait difficilement réalisable, la Commission aurait
pu suggérer au moins que les dirigeants du futur Office soit nommés à la
suite dune recommandation commune des chefs des différents partis à
lAssemblée nationale. Si un tel changement était apporté, cela constituerait
un pas dans la bonne direction. Le silence de la Commission sur ce point
capital est décevant et ne permet pas despérer un changement, à moins que
le législateur ne décide de corriger la situation.
la fusion des organismes
La Commission recommande la fusion des quatre organismes actuels en un
nouveau, quelle na pas osé dénommer (le mot Office devrait être retenu).
Elle juge que cette fusion assurera une unité de pensée et daction et une
plus grande efficacité. Daccord, mais… Elle propose du même souffle de
fondre le Conseil de la langue française dans le nouvel Office. Le rôle dun
conseil est de conseiller, cest lévidence. Cest une fonction tout à fait
différente de celle dappliquer une loi. Comment la Commission peut-elle en
être venue à confondre des rôles si différents?
Quon laisse au ministre son conseil, plutôt que de rêver dun
observatoire de la situation sociolinguistique plus ou moins nébuleux, en
orbite quelque part, qui ne serait probablement pas en mesure de remplacer
le conseil actuel qui, soit dit en passant, a joué un rôle utile au cours
des ans.
lenseignement de la langue
La Commission souhaite que le ministère de léducation sassure que
les élèves auront une bonne connaissance du français à la fin du cours
secondaire et du cégep. Elle recommande un examen national de français pour
les maîtres, mais elle se contente de suggérer une vérification de
lacquisition des connaissances en français des élèves à chacun des cycles
du primaire et du secondaire. Vu les critiques négatives sur la valeur des
tests linguistiques dans le passé, on peut douter du sérieux de la
vérification proposée qui serait faite par les établissements
d’enseignement et non par létat. Pourquoi pas un examen national de
français pour tous ceux qui terminent le cours secondaire et le cégep? On
pourrait sinspirer de la France pour une fois.
La Commission oublie par ailleurs les jeunes anglophones. Ils se sont
plaints devant elle que lenseignement du français dans le réseau anglais ne
leur permettait pas de fonctionner dans un Québec français et de pouvoir,
par exemple, entrer au service de létat. Pourquoi pas un examen national
de français, adapté à eux, il va sans dire? Si le français doit devenir la
langue commune au Québec, comme le souhaite la Commission, il faut
absolument que les jeunes anglophones puissent acquérir à lécole une
connaissance fonctionnelle de cette langue. Autrement, cest se bercer
dillusions!
lexemple de létat
La Commission insiste avec raison sur le rôle de létat pour la
promotion de la qualité de la langue. Elle constate quil nest pas le
modèle quil devrait être et linvite à le devenir. Une recommandation
innovatrice de la Commission mérite dêtre soulignée, celle qui veut que la
législation linguistique précise que lexpression « en français » veut
aussi dire « intelligible et de qualité ». Cette recommandation se trouve
toutefois dans le chapitre qui porte sur le respect des droits du
consommateur, comme si cétait le seul domaine dans lequel la qualité de la
langue faisait problème au Québec. Pourquoi un champ dapplication si
restreint? Cette norme générale devrait sappliquer partout, y compris
dans les conventions collectives, écrites la plupart du temps dans une
langue pitoyable, et dans les lois, qui laissent souvent à désirer. Cest
dire que le ministère de la Justice doit se doter de personnel pour que le
législateur puisse donner réellement lexemple.
Notre association est heureuse de constater que la Commission
recommande que tous les écrits et actes juridiques officiels existent en
français. Cela va de soi, diront certains. Une telle disposition
permettrait peut-être, du moins on peut lespérer, de faire cesser la
pratique actuelle du législateur dadopter des règlements renvoyant à des
normes techniques rédigées uniquement en anglais.
lapplication de la Charte
La Commission ne dit rien de la façon discutable dont la Charte a
parfois été appliquée jusquici, en particulier en ce qui regarde la
qualité. Cest pourtant un sujet dont elle a été saisie de façon très
concrète. Il eût été intéressant de connaître son point de vue sur cet
aspect factuel. Après tout, il est essentiel de bien analyser une situation
avant de proposer des
améliorations. On aura beau bonifier la loi sur différents points, on ne
pourra pas corriger la situation, à moins de sassurer que la Charte soit
vraiment appliquée à lavenir.
Il ne suffira pas que le futur Office soit pourvu de personnel et de
moyens financiers suffisants. Les nouveaux dirigeants devront avoir la
volonté et la capacité dagir, même au risque de déplaire et de déranger.
Cela signifie que ces personnes devront avoir un statut qui leur confère
indépendance, prestige et crédibilité. Enfin, pour reprendre les mots de
léminent professeur Guy Rocher de lUniversité de Montréal, elles devront
aussi être des « personnes dexpérience et qui, de notoriété publique,
sont les plus aptes à remplir pleinement et énergiquement la mission que la
Loi 101 » leur a confiée.
Or, la Commission est muette sur une question primordiale comme
celle-là. Tout un oubli! Il va donc falloir compter sur linitiative du
législateur.
ASULF – Association pour le soutien et lusage de la langue française
(Le 6 décembre 2001)