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UNE AUTRE SOTTISE

UNE AUTRE SOTTISE: LE FRANçAIS, C’EST L’ANGLAIS!

Le Droit du mercredi 20 janvier 1999, p. 5, rend compte, sous un titre au
conditionnel savoureux: <<Le "franglais" serait un enrichissement>>
d’une causerie de Mme Shana Poplack, professeur de sociolinguistique à l’Université
d’Ottawa. Dans son entretien qui s’intitulait: Le choc français-anglais: mythes et
réalités
, Mme Poplack s’adonnait à une tentative pseudo-scientifique de valoriser
le français parlé sur les deux rives de l’Outaouais, même si pour cela, elle doit
confondre carrément les deux langues, ou les situer à une proximité si dangereuse que
le français y devient l’anglais! Mme Poplack est sans doute une anglaise animée de
bonnes intentions mais, à son insu, ses conclusions sont de nature politique. L’état
idéal du français, c’est d’être le calque de l’anglais, à l’image de l’identité
canadienne qui assimile l’élément français à l’anglais dominant. Le français même
n’existerait que par l’anglais, ce que dit la propagande fédéraliste, quand elle ne
surveille pas son langage! En période électorale ou référendaire, ne dit-on pas que
l’indépendance du Québec ruinerait le fait français en Amérique du Nord, parce qu’il
ne serait plus protégé par l’anglais?!

Il faut cependant reconnaître à Mme Poplack un courage inconscient, celui de
s’attaquer aux faits les plus solides, les plus documentés. S’il est une vérité de La
Palice, c’est que la proximité et l’omniprésence de l’anglais ont pour effet d’effacer
la frontière entre les deux langues et de favoriser la langue dominante qui est
l’anglais. Les taux d’assimilation qui avoisinent 50-70% en milieu franco-ontarien ont une
éloquence brute. L’assimilation des enfants dans les mariages bilingues est encore plus
catastrophique: 80-90% Mme Poplack ignore allègrement ces faits, ou plutôt les
réinterprète selon les tendances francocides du régime canadien. (N.B.
<<Francocide>> cessera d’être un néologisme si on le rapproche de termes
plus connus, tels fratricide, génocide. etc.)

Mme Poplack se limite à l’étude de la langue parlée, dont l’influence sur la langue
écrite est cependant indéniable, voire déterminante, en Outaouais. De plus, elle
confond le phénomène normal et universel de l’emprunt linguistique avec le bilinguisme
qui est le passage transitoire d’une langue à l’autre (Albert Dauzat). Autrement dit,
quand deux langues sont présentes dans le même espace géographique, elles ne cohabitent
pas harmonieusement, mais elles entrent en lutte, et comme dans les guerres, ce sont les
plus gros escadrons qui l’emportent. Le bilinguisme des canadiens français, plus que tout
autre, est cet indéfinissable entre chien et loup où l’on cesse d’être tout à fait
français sans être encore tout à fait anglais. Cet entre-deux, ce malaise, à la fois
linguistique et identitaire, ne dure en moyenne qu’une génération, avant la bascule dans
l’anglais total!

Surtout, il échappe à Mme Poplack que le phénomène linguistique double le
phénomène politique dont il révèle le sens bien connu, mais le plus souvent tu, à
savoir que le Canada est un pays anglais dont les structures néo-britanniques corrodent
et détruisent le sentiment d’identité et, dans une même mesure, la conscience
linguistique chez les Québécois et les Canadiens français. Une langue ne se sépare pas
de l’identité nationale dont elle est le signe, l’expression et le symbole. Pour être
tout à fait clair, le français du Canada n’est plus qu’une langue morte quand on le
dissocie de l’identité québécoise et canadienne française.

Le Gouvernement fédéral ne reconnaît pas notre identité nationale, mais à la place
des citoyens qui parlent anglais, qui parlent français. On comprend dès lors que notre
survie comme peuple ne l’intéresse pas, voire même qu’il l’étouffe et la combatte,
justement par ses politiques de bilinguisme! Il va de soi que l’identité anglaise,
massive et triomphante, n’a nullement besoin de reconnaissance. Elle est inscrite au coeur
même de l’existence et du fonctionnement du Gouvernement fédéral, avec son corollaire
que le fait français appartient au passé, vaincu sur les Plaines d’Abraham en 1760, et
dont il faut simplement surveiller et hâter la banalisation, le déclin jusqu’à
l’extinction finale.

En quoi consiste la politique de bilinguisme du Gouvernement fédéral? Non à assurer
au Québec et au Canada français une vie politique autonome en français, mais à
enseigner aux Anglais le français pour que ceux-ci puissent nous remplacer dans un
premier temps, et dans un second temps bien prévisible, une fois l’opération couronnée
de succès, revenir à l’anglais définitif. C’est la raison pour laquelle les
statistiques d’assimilation les plus éloquentes ne provoquent aucune prise de conscience,
aucun revirement significatif, chez les Fédéraux et chez leurs mercenaires québécois
et canadiens français. Le français du Gouvernement fédéral est une modalité de
l’anglais; la politique de bilinguisme du Gouvernement fédéral est un système de
promotion pour Anglophones! Bref, cette incohérence, introduite et dogmatisée par le
Gouvernement Trudeau, avait pour but de détruire notre identité nationale en dissociant
le français de la nation québécoise ou canadienne française, et en privant ainsi le
français de son sens et de sa raison d’être. Ainsi détaché de ses racines historiques
et culturelles, le français n’est plus qu’un signe flottant et variable, un signe sans
signifié. Le nouveau vocabulaire enregistre fidèlement ce glissement: On ne dit plus
Français ni Anglais, mais francophones et anglophones. La vérité est encore plus
brutale, et c’est la vérité qu’illustre l’étude de Mme Poplack, le signifié est devenu
l’anglais auquel dès lors il est tout à fait normal que le signifiant, qui est la langue
française, s’ajuste et coïncide de plus en plus. C’est la raison pour laquelle Mme
Pollack conçoit le français canadien de l’Outaouais comme une variante autonome définie
par son rapport à l’anglais. Quand le sens d’une identité nationale distincte des
Canadiens français face au Canada anglais se perd, il y a plus de raisons profondes,
vitales, de parler français.

Mme Poplack n’a sans doute pas perçu dans son étude le substrat historique et
politique de ses conclusions, tel que nous venons de le dégager. Il n’y a aucune raison
de douter de sa bonne foi au premier degré. Pourtant, comment expliquer autrement ses
affirmations que l’anglais enrichit le français, sa négation qu’il y ait un problème du
français, sinon par le fait qu’inconsciemment elle assimile le français à l’anglais
dans le creuset canadien? Quand elle dit que si les francophones passent du français à
l’anglais au milieu d’une phrase, c’est pour produire un effet rhétorique, ne fait-elle
pas preuve d’une naïveté réjouissante? Ainsi, le français serait incapable d’exprimer
la pensée, et dès que l’on atteint une certaine intensité expressive ou sémantique, il
faut recourir à l’anglais! La raison de ces phénomènes est bien connue. En Outaouais,
on <<parle bilingue>> parce qu’on ne sait pas assez le français, parce qu’on
ne sait plus si on est anglais ou français, par une passive et vicieuse intériorisation
de notre situation géographico-politique. Point n’est besoin de savantes études pour
distordre la vérité et masquer l’état réel de notre langue et les causes de la
dégradation de celle-ci.

Il faut donc souligner, dans le contexte, l’effet pervers et toutes les implications de
l’enquête de Mme Poplack. Son étude sur le français outaouais invite à considérer
comme normale et enrichissante une situation socio-politique qui constitue un véritable
génocide en douce, selon l’expression de Pierre Vadeboncoeur. On peut supprimer
brutalement une société, un peuple, par la violence et l’occupation sanglante, et tout
le monde crie: <<Haro sur les Serbes!>> Pouvons-nous échapper à ce constat
que le bilinguisme et le fédéralisme produisent les mêmes effets au Canada français,
en douce, sur un mode blanc et indirect, selon une progression constante et
statistiquement implacable? Si la francophonie canadienne est aujourd’hui assimilée à
70%, qu’en restera-t-il dans 50 ans? Et tout le monde, bercé par l’illusion
démocratique, se rendort en bilinguisant à qui mieux mieux!

Hubert Larocque, Hull.
msbenoit@sympatico.ca

(Le 16 mars 1999)


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