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UN FAUX “AMI” PEUT EN CACHER UN AUTRE.

Le texte suivant provient du site TERMILAT : http://www.unilat.org/dtil/termilat/sft.htm

SOCIéTé FRANçAISE DES TRADUCTEURS (S.F.T.)

LETTRE D’INFORMATION – éDITORIAL. Mai 1999

ATTENTION :

UN FAUX "AMI" PEUT EN CACHER UN AUTRE.

Certaines hydres ont des têtes qu’il faut couper plusieurs fois.

Depuis plus de deux ans se livre une bataille, dont les
non-spécialistes ne peuvent soupçonner la férocité, autour des brevets d’invention.

En bref, sous la pression des Américains et des Japonais, et avec la
complicité de l’Office Européen des Brevets (O.E.B.), dont le siège est à Munich, il
s’agirait d’éliminer la langue française de ce secteur stratégique, et d’établir un
monopole absolu de l’anglo-américain dans le domaine des sciences et des techniques, en
donnant force de loi en France à des textes rédigés en langue étrangère.

Car derrière les brevets, il y a les normes, les A.M.M. (autorisations
de mise sur le marché de médicaments), puis les modes d’emploi de machines, …Si
l’on sait que nombre d’articles originaux sont publiés directement en anglais, même par
des Français, on voit sur quelle pente dangereuse nous nous trouvons.

Après plus de deux ans d’efforts, nous avons réussi à faire
admettre, par les Gouvernements français successifs, puis par le Parlement européen, que
cette source d’informations cruciales et stratégiques doit continuer d’être disponible
dans les langues nationales, et notamment en français. Il y va de l’avenir de la langue
autant que de la cohérence de notre système juridique.

La langue française doit pouvoir continuer à désigner les
nouveautés scientifiques. Et le Premier ministre, à plusieurs reprises, a fixé les
règles d’emploi du français dans les organismes internationaux. Il faut et il suffit
donc d’en respecter l’esprit comme la lettre, dans le droit fil de la Constitution et de
nos lois, inchangées sur ce point depuis l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539).

Nul n’est censé ignorer la loi et les textes créateurs de droits,
donc nul ne doit être tenu d’en prendre connaissance dans une langue étrangère. La
traduction est ainsi une composante de la démocratie, et s’oppose à la rétention
d’informations.

Car si tout le monde ne dépose pas de brevets, nous sommes tous
quotidiennement amenés à en utiliser les produits dérivés. Quand on songe aux
catastrophes passées et à venir (Minamata, Seveso, Tchernobyl, Bhopal,…), aux
controverses sur les O.G.M. (Organismes Génétiquement Modifiés), on comprendra
immédiatement qu’il s’agit là du respect élémentaire dû au consommateur, qui est
aussi un citoyen. Cela s’ajoute à l’indispensable information des P.M.E.

Or il se trouve aujourd’hui que la routine administrative du suivi du
dossier le fait revenir entre les mains des services mêmes qui – aberration,
méconnaissance ou empressement mal placé – militent, de façon suicidaire, pour
l’élimination de la langue française : la Direction générale des stratégies
industrielles du Secrétariat d’Etat à l’Industrie, et l’actuelle direction de l’Institut
National de la Propriété Industrielle !!!

Ces organismes prépareraient pour fin juin-début juillet une réunion
des ministères européens de l’Industrie sur les brevets, persistant dans leur ornière
et soutenant, avec une obstination digne d’un meilleur objet, des positions inacceptables
qui ne sauraient être celles de la France.

Mis à part le mépris qui provient d’une simple ignorance, le grand
argument opposé à la traduction, celui de son coût, ne tient pas :

_ Il faut savoir qu’un gros brevet de 30 pages de 250 mots chacune,
soit 7500 mots, est facturé en moyenne par le traducteur à 5000 francs environ. Même si
l’on multiplie ce chiffre par 3 ou 4 (soit 5 langues au total, puisqu’au départ le brevet
est rédigé dans une langue – ce qui suffit largement à couvrir les principaux pays
d’Europe), et même en tenant compte de la commission du Conseil en Propriété
Industrielle généralement en relation directe avec le client, on reste à un chiffre
très raisonnable :

_ Il faut savoir que ce type de gros brevet, le plus coûteux à
traduire (car d’autres peuvent ne compter que 5 à 10 pages) est généralement déposé
par de grandes sociétés chimiques ou pharmaceutiques, qui dépensent en moyenne, rien
qu’en France, plus de 80 000 Francs en publicité par médecin et par an ! [Science et
Vie, mars 1999, Enquête exclusive Médicaments].

_ L’argument coût a donc quelque chose d’indécent, et il est pour le
moins surprenant qu’il se trouve des fonctionnaires français pour le soutenir, ou même
pour se faire l’écho de chiffres artificiellement gonflés !

_ Il faut savoir qu’en tout état de cause l’Espagne, par exemple, est
fermement décidée à maintenir l’obligation de traduction. Si l’on suivait les tenants
de l’abandon, on se trouverait donc dans une situation dans laquelle des informations
scientifiques essentielles seraient disponibles en anglais, en espagnol, très
vraisemblablement en allemand, mais plus en français !

_ A cela s’ajoutent encore les possibilités de tricheries ou
manipulations subalternes:

Certains voudraient renoncer à faire traduire les "Exemples"
du brevet, à savoir la partie pratique même qui rend l’invention brevetable! Il serait
alors bien facile d’insérer dans les exemples les informations dont on voudrait
restreindre la divulgation.

Les mêmes voudraient encore allonger les délais de traduction, ce qui
reviendrait à en nier l’obligation, ou à créer de subits goulots d’étranglement,
toujours pour forcer un passage à l’unilinguisme anglais !

On se demande bien pourquoi vouloir absolument faire faire aux grandes
sociétés multinationales des économies de bouts de ficelle sur une obligation
essentielle, d’autant qu’aucune réciprocité n’est envisagée : un texte rédigé en
français ne sera jamais valide aux Etats-Unis.

Il est totalement saugrenu de prétendre que seul le démantèlement de
notre système de garanties légales, prévoyant l’obligation de dépôt en français,
permettrait de redresser la balance française des brevets !

Au-delà de ces péripéties, qu’il nous sera permis de ne pas trouver
totalement innocentes, puisqu’il s’agirait de conforter certains monopoles ou oligopoles
et de figer des rapports de force, il faut savoir ce que l’on veut : réduire les coûts
pour qui ? aux dépens de qui?

Il nous paraît surabondamment démontré que le jeu n’en vaut pas la
chandelle. Les professionnels doivent donc se mobiliser encore une fois, et les politiques
monter au créneau pour défendre l’essentiel : le droit à l’information, la sécurité
du consommateur, la sécurité juridique du déposant, la souveraineté de l’Etat, et
enfin l’avenir de la langue française. Il devrait s’agir d’un simple rappel à l’ordre.
Mais, une bonne fois pour toutes, il nous faut encore nous battre.

Aux armes, citoyens !

Denis GRIESMAR
Vice-Président.
Société française des Traducteurs

(Les capitales accentuées du texte suivant sont de J.L. Dion. Elles n’en avaient pas
initialement.)


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