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TOTALFINA

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Ou l’exemple d’une autre entreprise qui succombe au discours angliciste néocolonial.

Je me permets de vous transmettre le message suivant que j’ai envoyé à Totalfina : webmaster@total.calva.net et investorel@total.calva.net

Bonjour,

Suite à l’article publié au National Post concernant la politique linguistique de Totalfina http://www.nationalpost.com/financialpost.asp?s2=columnists&s3=francis&f=000226/217216.html je me permets de répondre à cet article en faisant part d’une étude très intéressante réalisée par un universitaire australien nommé Alastair Pennycook concernant le caractère néocolonial de la langue anglaise.

Vu que le texte est relativement long, j’en ferai ressortir certains points importants:

  • La thèse de Pennycook est simple. Pour lui, l’anglais n’est pas une langue culturellement et politiquement neutre. Son enseignement tend à créer et renforcer – si elle n’existe pas déjà – une influence de type colonial sur la société qui en est la cible.
  • Les images anglicistes d’origine coloniale ne sont pas neutres. Le problème qu’elles posent n’est pas seulement de divertir les populations non anglophones des tâches plus productives que d’apprendre l’anglais; elles ont aussi leur "négatif". L’image "négative" se crée naturellement quand on adhère au discours angliciste. En effet, l’image d’une langue omniprésente, d’une utilité absolue, présentant une supériorité tellement écrasante remet immédiatement et implicitement en question l’utilité des autres. La dichotomie est claire. D’un côté un langage universel et adaptable à l’infini, de l’autre un patois, sympathique peut-être mais qui deviendra rapidement inutile. Implicitement ou explicitement, c’est ce que pense celui qui adhère au discours angliciste néocolonial. Mais cela va encore plus loin. L’anglophone de naissance devient supérieur aux autres. Il n’est pas une seule d’école d’ingénieurs en France qui n’emploie pas un ou deux Anglais ou Américains de nos jours, dont les parcours professionnels soient très vaguement définis, de préférence à des agrégés d’anglais qui ont le tort d’être français, pour enseigner le "bon anglais" à ses étudiants! Les notes aux cours d’anglais, même lorsqu’elles sont bonnes, ne suffisent plus, si elles ne sont pas décernés par un organisme anglais ou américain accrédité. A Troyes, les étudiants de l’université de technologie ne peuvent pas avoir leur diplôme d’ingénieur s’ils n’obtiennent pas préalablement le "First Certificate in English" de l’Université de Cambridge! De même, au niveau des programmes de coopération dits "européens", les Anglais, pour la même raison, obtiennent très souvent la présidence des comités de pilotage et sont largement favorisés au niveau des répartitions budgétaires. L’anglophone de naissance est désormais quelqu’un qui est censé avoir des qualités pédagogiques supérieures innées mais il est aussi perçu comme ayant une connaissance du monde allant au-delà de celle des représentants de toute autre nationalité même s’il débarque de Trifouillis-les-Olivettes à condition que Trifouillis-les-Olivettes soit au Dakota du nord ou en Cornouailles! Comme dans toute colonisation et comme Lugard l’avait prévu, les meilleurs relais de la propagande linguistique anglo-saxonne ne sont plus les Anglo-saxons eux-mêmes mais des Européens, des sud-Américains, des Japonais, voire des Russes. Un scientifique espagnol, allemand, français ou italien qui nous dit qu’il publie en anglais parce que 90% des publications sont en anglais suit remarquablement le discours angliciste néocolonial, ne se rendant plus compte qu’il contribue largement, avec ses collègues non anglophones, à ce déséquilibre et à l’exclusion de sa propre langue, à la fois dans un contexte international mais aussi, et de plus en plus souvent, national! Il n’est quasiment aucune technique utilisée dans la classe d’anglais aujourd’hui qui n’a pas été forgée et testée dans le contexte colonial classique. En se faisant inconsciemment des relais d’un discours néocolonial anglo-saxon, qui est de fait en presque parfaite continuité historique avec le discours colonial classique, les pays francophones "du nord" mettent en contradiction totale leur politique de multilinguisme et de respect des ethnies et des cultures. Nous avons vu que si la propagation de l’Anglais a pour origine la promotion des prétendues qualités de cette langue et des peuples qui la parlent, son corollaire est la construction de stéréotypes qui ne peuvent être que négatifs sur les autres langues et les cultures non anglophones.
  • Il est de bon goût d’évoquer l’anglais comme une langue n’appartenant plus à l’Angleterre ni aux Etats-Unis mais au monde tout entier. L’anglais est censé être devenu un véhicule de communication international et neutre qui nous permet de contourner notre malédiction de Babel et de coopérer de manière efficace pour résoudre les problèmes de notre monde en toute fraternité. Or, on constate que les messages que véhicule cette langue n’ont jamais été autant chargés de valeurs, de préjugés, de stéréotypes et de directives implicites sur la manière dont les peuples doivent penser d’eux-mêmes et de la place que les Anglo-saxons veulent bien leur assigner dans le monde. Tout lecteur des grands magazines américains ou anglais qui vit à Singapour, à Buenos Aires ou à Tokyo reçoit le même message. Tout économiste parisien qui lit l’"Economist" finit par intérioriser un message anti-français assez virulent qui ne pourra pas ne pas influencer son jugement ultérieurement. La bonne santé de la culture coloniale actuelle est clairement reliée à la diffusion de l’anglais, d’autant plus que le message colonial dominant associe cette langue aux profits dans ce qu’il convient d’appeler notre "monde de la communication". La connaissance de l’anglais est censée nous faire faire des affaires et nous faire gagner de l’argent, beaucoup d’argent… Là encore, la continuité du discours colonial anglo-saxon est remarquable. Les liens de type colonial se perpétuent et se renforcent mais les propos jugés offensants n’ont plus cours. Les nations têtues qui refusent cette influence, cet enrôlement systématique des esprits sont mises à l’index. Ces quelques nations arabes non orthodoxes, cette Corée du nord qui refuse de s’ouvrir à une influence indésirable sont mises à l’index, discréditées et souvent menacées de la canonnière.

Grégoire Rostropovitch
rostropovitch.gregoire@voila.fr

(Le 1er mars 2000)


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