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RÉSUMÉ D’INTERVENTION DE YVES MICHAUD À LA COMMISSION DES ÉTATS GÉNÉRAUX SUR LA LANGUE FRANÇAISE

Résumé d’intervention de YVES MICHAUD à la
Commission des états généraux sur la langue française

Il y a 31 ans, en novembre 1969, on m’a rebattu les oreilles tant et plus en sur les vertus de l’incitation, de l’attentisme, de la gentillesse, de l’apaisement, de la persuasion, et autre procrastination de même farine, alors que je fus le premier député à démissionner de son parti pour combattre l’infâme loi 63. La ritournelle recommence. Ce genre de discours, inspiré de la vulgate coloniale, fédéraliste et assimilatrice nous reproche presque d’exister et nous culpabilise d’être ce que nous sommes. Il nous invite infailliblement à remettre à des lendemains incertains et toujours de plus en plus lointains des mesures d’urgence qui doivent être prises aujourd’hui. Les assimilateurs se réjouissent de nous voir tomber dans le piège de la mollesse et de l’indifférence. Pour eux l’avenir dure longtemps. Ils espèrent nous avoir à l’usure. L’histoire bégaie. Aux craintifs et timorés qui nous repassent le vieux film de l’incitation et rembobinent la cassette usée de la «bonne entente », aux incurables indécis qui entonnent les éternels refrains d’une mendiante et plaintive tolérance à sens unique, il faut rappeler que la minorité anglo-québécoise représentant 8% de la population assimile encore aujourd’hui plus de la moitié des immigrants.

Je suis inquiet, pour ne pas dire angoissé sur l’avenir de notre langue, devant la laborieuse et presque inefficace intégration de la majorité des immigrants au Québec, d’où mes montées infructueuses aux barricades du Parti québécois pour revenir à la loi 101 affaiblie, effilochée, anémiée, « clochardisée» par des jugements de la Cour Suprême du Canada et peut-être aussi , ce qui est plus désolant, par une absence de notre propre volonté collective de préserver et de faire fructifier l’héritage de René Lévesque et de Camille Laurin, Revenir à l’esprit de la loi 101, oui!, sans peur et indifférent aux reproches des groupes, personnes, coteries, coalitions, partis fédéralisants, qui feront tout pour que nous ne soyons pas maîtres chez nous. Notre situation de minoritaire, voisin de la plus grande puissance assimilatrice du monde, commande courage, volonté et fermeté. « Entre le fort et le faible ,écrivait Lacordaire, c’est la liberté ( de choix) qui opprime et c’est la loi qui affranchit. »

Je ne suis pas peu fier lorsqu’il s’agit de préserver l’essentiel de ce qui fait notre nation de me ranger dans le camp de ce que les chroniqueurs de la politique qualifient de «purs et durs », par opposition aux « impurs et mous », velléitaires, frileux et pusillanimes, la plupart vivant en serre chaude dans des milieux relativement protégés contre l’envahissement de l’anglais, et ne mesurant pas dans la vie concrète des Montréalais de langue française la déchéance de leur langue.

Un peuple n’a pas le droit de se faire hara-kiri. L’action doit être ferme, prompte et vigilante. Pour jouir d’une tranquillité illusoire , pour ne pas ouvrir la «canne à vers » des débats sur la langue, comme ils disent, les « apaisants » nous préparent un «Munich linguistique ». Pour avoir la paix ils sacrifient l’honneur ; ils subiront à la fois et la défaite et le déshonneur. L’un d’eux déclarait récemment à Chicoutimi, du même souffle, que les Néo-Québecois sont la clef du développement du français mais qu’avant de prendre des mesures radicales « il faut encore donner une chance à l’espoir d’équilibre linguistique pour quelque temps (sic), quitte à faire de nouveau le point dans quelques années… . Pour « donner une chance à l’espoir d’équilibre », le constat est donc avéré qu’il y a déséquilibre. En somme le cancer progresse, entre parfois en rémission, mais l’on interviendra dans «quelques années» alors qu’il sera dans sa phase terminale. Réjouissante perspective !

Les attentistes sont les complices inconscients du coup de frein à l’intégration des immigrants. Certes, certains Néo-Québécois dont le nombre est insuffisant hélas, ont opté pour le Québec d’abord ! et enrichissent de manière brillante et exemplaire la patrie qu’ils ont adoptée. Au titre de leur contribution au patrimoine commun ils y mettent parfois, voire souvent, plus de ferveur et de générosité que beaucoup de nos concitoyens dits de «souche» mais de souche déracinée, indifférents ou étrangers au devenir de leur propre patrie. De ce type d’immigrants je souhaiterais qu’il en vint à la tonne.

De la sorte, nous n’aurions pas à dresser le constat déplorable que 57% des jeunes immigrants québécois, malgré l’enseignement qu’ils ont reçu en français à l’élémentaire et au secondaire, s’inscrivent aux université de langue anglaise après avoir exercé leur «libre choix » de fréquenter un cégep de langue anglaise. Voilà qui est proprement aberrant. Au reste, en vertu de quelle perversion des mots, de quelle dérive pédagogique, de quelle douteuse modernité assimilatrice, nos collèges d’enseignement général et professionnel ne font-ils plus partie du réseau secondaire de notre système national d’enseignement ? Il faut savoir raison garder et reconnaître que la première et urgente mesure à prendre, la langue de l’enseignement étant le principal facteur d’intégration des Néo-Québécois, est de modifier la Charte de la langue française pour que l’enseignement du français soit obligatoire jusqu’aux cégeps inclusivement.

C’est là qu’il faut commencer d’abord et avant tout. Une société incapable d’assimiler ses immigrants est vouée à plus ou moins long terme à une lente et progressive disparition. Trouvez-moi un seul exemple d’un pays au monde qui accorde à ses immigrants un autre choix que le système public d’enseignement qu’il s’est donné ? En vertu de la théorie fumeuse du «libre choix », le Québec accorderait à tous les habitants de la planète, virtuels candidats à l’immigration, le droit de choisir la langue d’enseignement de leurs enfants ? Bougre ! ils choisiraient l’anglais et en deux ou trois générations et le Québec français passerait l’arme à gauche. Lord Durham se retournerait d’aise dans sa tombe et ses descendants feraient chanter des Te Deum au parlement outaouais et l’hymne à la joie couvrirait le Canada tout entier d’une « mare » à l’autre !

être ou ne pas être. Assimiler ou être assimilés, voilà la question. La souveraineté du Québec est impensable sans le soutien, l’apport et la volonté d’un nombre substantiel de Néo-Québécois qui feront route avec nous et contribueront à l’édification d’une société de justice sociale et de liberté. C’est sur des communautés humaines comme la nôtre, incrustées dans une même histoire et une volonté de vivre un même destin collectif, enrichies de l’apport précieux de nouveaux citoyens, de toutes races, confession, couleur, que se créent les nations, lieu privilégié et irremplaçable d’une solidarité d’hommes et de femmes qui partagent un certain nombre de valeurs, parlent une langue commune et participent à la culture d’un ensemble collectif. Des immigrants, oui ! , nous en voulons ! En repoussant à l’extrême, s’il le faut, notre capacité d’accueil. Des immigrants qui seront non seulement des ayants droit mais aussi des ayants devoir à l’égard de l’une des sociétés les plus généreuses du monde qui les reçoit à bras et portefeuilles ouverts. Des ayants devoir, c’est-à-dire comprenant et parlant notre langue, ouverts à notre culture, à notre façon de travailler, d’entreprendre, d’interpréter le monde en français et de nous accompagner sur le chemin qui mène à la maîtrise de tous les outils de notre développement.

Cela est vrai pour l’intégration des immigrants. Cela est vrai également pour la préservation du caractère français de la métropole du Québec. Si le Montréal français venait à mourir, le Québec tout entier entrerait alors dans un processus inexorable de « louisianisation ». Si nous perdons pied à Montréal, ce sera le début de la descente aux enfers du bilinguisme institutionnel, tant il est vrai que la bilinguisation sur le continent américain équivaut à tous fins utiles à parler anglais. Dans un rapport inégal de forces, la langue minoritaire cède toujours le pas à la langue dominante. L’exemple est criard de villes bilingues de l’ouest de Montréal dans lesquelles les Québécois de langue française ont toute la peine du monde à se faire servir dans leur langue.

Au congrès plénier de 1996 du Parti québécois, de hautes autorités de cette formation politique à laquelle j’adhère, et non des moindres, ont déclaré qu’elles ne pourraient plus se regarder dans le miroir si le Gouvernement rappelait la loi 86, (stupide sous certains aspects) dont l’abolition avait été réclamée à cor et à cri par l’opposition péquiste de l’Assemblée nationale. René Lévesque, disaient-elles, aurait été dans le camp des non abolitionnistes. Cela n’est pas juste et contraire à l’affirmation sans ambiguïté du fondateur du Parti québécois concernant l’affichage public au Québec* :

«Il est important que le visage du Québec soit d’abord français, écrivait René Lévesque, ne serait-ce que pour ne pas ressusciter aux yeux des nouveaux venus l’ambiguïté qui prévalait autrefois quant au caractère de notre société, ambiguïté qui nous a valu des crises déchirantes. à sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant ":Il y a deux langues ici, l’anglais et le français : on choisit celle qu’on veut. » Elle dit à l’anglophone : « Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit. Ce n’est pas là le message que nous voulons faire passer. Il nous apparaît vital que tous prennent conscience du caractère français de notre société. Or, en dehors de l’affichage, ce caractère n’est pas toujours évident ».

* Lettre de René Lévesque du 5 novembre 1982 à Eric Maldoff, président d’Alliance- Québec. Politique linguistique du Québec par Michel Plourde. Page 61) . Le français au Québec, 400 d’histoire de vie. Page 296.Conseil de la langue française. Les Publications du Québec.


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