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QUAND LES JEUNES JOUENT AUX «ASSISTÉS SOCIAUX» DE LA LANGUE

Réaction à un texte de Jean-Luc Gouin sur Le Délanguissement

QUAND LES JEUNES JOUENT AUX «ASSISTéS SOCIAUX» DE LA LANGUE

«Est-il normal qu’un élève tienne en mains un diplôme d’études secondaires sans avoir réussi à écrire un paragraphe de quinze lignes sans erreur?»

Thérèse Belzile
Professeur de français
Collège de Rosemont

Déjà publié dans Le Devoir du 5 août 1998

«Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément»
Nicolas Boileau

«Qu’est le faire sans le dire?» La société met aujourd’hui l’accent sur le «faire». Les «vieux» ne cessent de complimenter les jeunes sur tout ce qu’ils savent faire. Mais «faire» n’est pas «penser». Et c’est la pensée qui fait évoluer les hommes. Pour arriver à produire, il faut savoir penser, et l’on pense avec des mots; les productions de l’homme sont des idées avant d’être des réalités. Est-il besoin ajouter que ces idées doivent être agencées logiquement pour arriver à quelque chose?

(Pourtant il y a des productions puisqu’on félicite les jeunes! C’est donc qu’on ne parle pas nécessairement des mêmes personnes.)

Il est impossible de concevoir une bonne thèse de doctorat sans réfléchir et s’exprimer il est impossible de concevoir un livre sans le penser; il est impossible de communiquer des renseignements, des informations, des idées sans les concevoir, l’instrument dont se sert l’être humain dans chacune de ces circonstances est la langue. Enfin, sans la maîtrise de cet outil, il est illusoire de s’imaginer qu’on peut mener un raisonnement logique ni même activer à penser; même les déficients auditifs activent à concevoir ce qui est abstrait, mais quel travail ils exécutent pour y parvenir! L’élève d’aujourd’hui apprend comment fonctionnent les logiciels avant de pouvoir s’en servir adéquatement; il doit apprendre de la même façon le fonctionnement de sa langue pour apprendre à penser et à fonctionner dans la société qui est la sienne et dans laquelle il devra fonctionner demain.

Depuis huit des vingt-sept années que j’enseigne (sans avoir fréquenté quelque faculté d’éducation que ce soit), je les vois défiler devant moi ces élèves qui viennent se «remettre à niveau». La plupart se sont rendu compte qu’il leur manque cet outil qu’est la langue; certains travaillent souvent très fort pour l’acquérir; mais on ne refait pas en 45 heures ce qui n’a pas été construit adéquatement depuis onze ans.

Ces jeunes ne sont heureusement pas majoritaires en nombre; il en reste qui, comme autrefois, savent se servir adéquatement de la langue. Il y en a toujours eu; il y en aura toujours. Le problème, c’est qu’il ne faut pas regarder les choses sans oublier qu’on a décidé, comme société, de munir tout le monde d’un diplôme au nom de la démocratisation de l’enseignement; c’est cette décision qui crée ces artifices. Et ce sont les jeunes qui paient la facture! Oh! bien sûr! la facture en argent revient aux plus vieux; mais la «facture» de l’avenir, ce sont les victimes de la démocratisation de l’enseignement qui la paient! Et ça leur coûte cher! Il serait peut-être temps que l’on se pose quelques questions:

Est-il normal qu’un élève tienne en mains un diplôme d’études secondaires, remis par le ministère de l’Education du Québec, sans avoir réussi à écrire un paragraphe de quinze lignes sans erreur?

Depuis trente ans, les collèges voient apparaître chaque automne les élèves qui arrivent de l’école secondaire. Chaque année, les enseignants espèrent rencontrer des élèves mieux formés, des élèves capables de comprendre et de s’exprimer dans leur langue maternelle.

Victimes du système

Malheureusement, ce n’est pas le cas; mais ces jeunes ne semblent pas trop en souffrir: victimes du système, ils jouent les «assistés sociaux de la langue». Ils en viennent à croire qu’on leur doit quelque chose, qu’ils n’ont pas reçu leur dû. Ils ont raison. Là où ils ont moins raison, c’est lorsqu’ils se laissent aller et qu’Us croient pouvoir récupérer ce qu’on leur doit sans effort.

Le problème, c’est que les élèves ne savent même plus où leurs études vont les mener. Pourquoi? Tout simplement parce qu’ils ont perdu de vue leurs véritables objectifs d’apprentissage. Ils ne désirent pas réellement se perfectionner, mais plutôt satisfairele système pour pouvoir continuer leur route dans ce même système, dans la société d’aujourd’hui. Leur motivation ne nourrit donc pas leur ambition personnelle, mais se réduit plutôt à interpréter le système passivement.

Par opposition, les groupes sont parsemés d’allophones qui veulent à tout prix apprendre cette nouvelle langue et pour qui, dans bien des cas, un cours de langue seconde serait peut-être plus approprié.

Quant au professeur, il doit envisager une nouvelle session avec tout ce beau monde en espérant le faire progresser à un même rythme et ce, avec optimisme!

Quel a été le cheminement de ces élèves durant les onze premières années d’études pour n’avoir pas dépassé un si bas niveau?

On a longtemps parlé de l’école occupationnelle, celle qui fait si bien passer le temps aux enfants jugés incapables de suivre des cours «nominaux». Pendant onze ans, assis sur les bancs de l’école, ces élèves ont écrit des textes dans lesquels il était surtout important d’exprimé leur «moi», sans se soucier de la façon de le faire.

Notre jeunesse d’aujourd’hui est soumise à la logique du moindre effort, d’abord celui des professeurs du secondaire qui ne veulent pas corriger parce qu’ils ont trop d’heures d’enseignement et trop d’élèves; ensuite, celui des jeunes eux-mêmes à qui l’on croit avoir tout donné, mais qui, en fait, n’ont rien reçu d’autre que des biens matériels et le désir d’en avoir toujours plus, le plus rapidement possible. Phénomène de société!

Oui! «nos enfants nécessitent des têtes solides et fécondes»! Mais pourquoi la société a-t-elle dénigré cette «profession» au point que les têtes les plus brillantes refusent de s’y engager? Et on fera ce qu’on voudra au portes de l’université, cela ne réglera pas le problème, enseigner, ça ne s’apprend pas dans les livres! Ni ailleurs d’ailleurs!

Comme pour toutes les professions, c’est un talent naturel; on ne va à l’université que pour acquérir une formation solide qui permettra d’enseigner quelque chose. L’art de transmettre ces connaissances, c’est en lui-même que le professeur le trouve.

C’est ainsi qu’un professeur de français aura pour objectif, non seulement de faire retenir par coeur des règles de grammaire, mais d’apprendre aux élèves à se servir logiquement du code linguistique pour être en mesure comprendre, de concevoir et de se faire comprendre des autres; car la langue, c’est un instrument qui permet de faire connaître aux autres ce que l’on pense. En même temps, le professeur a l’énorme possibilité de lui faire apprécier la littérature de toute la francophonie. La lecture aide à apprendre à s’exprimer.

à plus grande échelle, la maîtrise de la langue permettrait à l’élève l’ouverture d’une porte sur l’univers des connaissances et des idées, afin de l’amener à conquérir le monde de demain. D’une simple mise à niveau, c’est la société au complet qui se remettrait à niveau.


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