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MÉMOIRE DE LA SOCIÉTÉ SAINT-JEAN-BAPTISTE DE MONTRÉAL

Mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
(Avis public CRTC 1998-135)


Télévision ethnique
Deux réseaux nationaux : l’un au Québec, l’autre au Canada

Introduction

  1. Le présent mémoire fait suite à l’appel du CRTC d’observations relatives à sa
    politique sur la programmation multilingue et à caractère ethnique. Nos commentaires
    portent principalement sur le paragraphe 41, alinea (27) à l’Avis public du 22 décembre
    (1998-135) dernier, à savoir « L’attribution d’une licence à un réseau national
    à caractère ethnique devrait-elle être prioritaire? »
  2. Pour y répondre, nous traiterons d’abord des changements démographiques et
    linguistiques au Québec et, ensuite, nous examinerons le précédent, malheureux pour le
    Québec, que constitue la récente décision du CRTC d’obliger tous les
    câblodistributeurs de diffuser le canal autochtone « national » à partir de
    septembre 1999.
  3. Nous prenons note des données fournies par le Conseil des relations interculturelles du
    Québec, la Fédération des professionnels de la CSN et le Syndicat des producteurs
    autonomes de la télévision ethnique du Québec lors de leur conférence de presse du 1er
    février dernier, ainsi que dans les mémoires soumis au CRTC relativement à la demande
    faite par CJNT-TV Montréal de modification du pourcentage d’émissions à caractère
    ethnique. Parmi ces données, signalons le fait que le Québec possède l’infrastructure
    nécessaire pour produire et diffuser une programmation de qualité à 100% en langues
    autres que le français et l’anglais, l’ayant fait jusqu’à 1997 à la Télévision
    ethnique du Québec.

Changements démographiques et linguistiques au Québec!

  1. Deux changements démographiques et linguistiques méritent une attention particulière.
    Premièrement, sauf exceptions, depuis 1978, tous les enfants d’immigrants au Québec
    fréquentent l’école française, tandis que les adultes s’intègrent à un milieu du
    travail de plus en plus francisé. Deuxièmement, selon l’avis public du CRTC du 22
    décembre 1998, « près de 80% du million d’immigrants arrivés au pays entre 1991
    et 1996 ont déclaré avoir une langue maternelle autre que l’anglais ou le français. Le
    pourcentage correspondant des immigrants arrivés au Canada entre 1961 et 1970 se
    chiffrait à 54%. »
  2. Regardons d’abord les changements qui résultent de l’adoption de la Charte de la langue
    française. Avant 1977, école anglaise et milieu du travail obligent, une famille
    immigrante au Québec, qui connaissait ni l’anglais ni le français en arrivant, aurait
    vraisemblablement un membre pouvant comprendre l’anglais dans un délai relativement
    court. Or, l’adoption de la Charte en 1977 a changé la donne complètement : après
    cette date, la même famille immigrante pouvait compter, peu après son arrivée, au moins
    un membre qui comprenait le français. C’est le cas actuellement et ce sera le cas à
    l’avenir.
  3. Vingt-deux ans après l’adoption de la Charte de la langue française, la société
    québécoise commence à sentir les effets enrichissants de la Charte, dont le plus
    important est probablement la connaissance par les nouveaux Québécois de la langue de la
    majorité. Il s’agit sûrement de l’un des grands changements démographiques et
    linguistiques de notre temps. Le CRTC doit en tenir compte, en priorité, dans toutes ses
    décisions relatives à la radiodiffusion à caractère ethnique au Québec.
  4. Aussi, à l’aube de l’an 2000, 8 immigrants sur 10 ne connaissent ni le français ni
    l’anglais en arrivant, comparativement à 5 sur 10 dans les années en 1970. Qui plus est,
    toutes les études démontrent que la persistance des langues d’origine est plus élevée
    au Québec qu’au Canada.(1)Il est donc clair que les
    besoins en programmation en langues non officielles au Québec sont plus grands maintenant
    qu’auparavant.
  5. à la lumière de ces données, et considérant que la télévision ethnique est l’un
    des meilleurs moyens d’assurer l’égalité des droits à l’information et à une
    participation équitable au processus démocratique, le CRTC doit s’assurer qu’il y a, au
    Québec, une grande programmation en langues non officielles, comme ce fut le cas au
    Québec jusqu’à 1997. Et pour respecter les tendances linguistiques de la société
    québécoise depuis 1977, toute programmation d’un canal ethnique au Québec qui n’est pas
    en langue dite « ethnoculturelle » doit être en français.

Le précédent du canal autochtone dit « national »

  1. Le 22 février dernier, le CRTC a annoncé que tous les services canadiens de
    câblo-distribution devaient obligatoirement distribuer le canal autochtone
    « national », l’Aboriginal Peoples Television Network (APTN).
    Regardons de près cette décision, dont le CRTC risque de s’inspirer dans le cas qui nous
    concerne.
  2. à partir de septembre 1999, le canal autochtone national, l’APTN, diffusera des
    émissions partout au Canada pendant 120 heures par semaine réparties comme suit :
    72 heures, ou 60%, en anglais, 30 heures, ou 25%, en 15 langues autochtones, et 18 heures
    en français (15%). Les Autochtones du Québec n’y trouveront pas leur compte.
  3. Prenons le cas des Attikameks d’Obedjiwan, des Algonquins de Lac-Simon ou des Innus de
    La Romaine, trois communautés dont le taux de persistance de la langue autochtone frôle
    le 100% et dont la langue seconde est le français. Supposons que les gens de ces
    communautés comprendront les 18 heures en français, ou 15 % de la programmation, et
    3 heures de la programmation en une des 15 langues autochtones. En tout, ils auront accès
    à 21 des 120 heures (17%) de la programmation du canal autochtone dit
    « national », à moins, bien sûr de se mettre à apprendre l’anglais. Ce
    canal s’adressera davantage à l’unilingue anglophone de Toronto, qui aura accès à 72
    heures de la programmation ou 60%.
  4. Les communautés autochtones citées connaissent un taux élevé de persistance de la
    langue, mais elles reflètent la réalité des langues autochtones au Québec. De
    nombreuses études réalisées au cours des 20 dernières années démontrent que les
    langues autochtones du Québec se portent mieux que partout au Canada, voire en Amérique
    du Nord. Parmi celles-ci, notons le rapport de Statistique Canada intitulé Langue,
    tradition, santé, habitudes de vie et préoccupations sociales: enquête auprès des
    peuples autochtones de 1991
    .
  5. Bref, au Canada, en excluant le Québec, les jeunes Autochtones parlent une langue
    autochtone bien moins que leurs aînés, ce qui est un signe de déclin de leur langue. Au
    Québec, c’est le contraire. Le pourcentage de jeunes Autochtones qui parlent une langue
    autochtone est plus élevé que le pourcentage correspondant chez les adultes. Fait encore
    plus intéressant, presque la moitié des jeunes Autochtones du Québec apprennent une
    langue autochtone d’un enseignant à l’école, tandis qu’ailleurs au Canada, un
    pourcentage négligeable de jeunes en apprennent une de cette façon. (2)
  6. Par ailleurs, plus de 40 % des Autochtones du Québec ont le français comme
    langue seconde. Et le français prend de plus en plus d’importance comme langue seconde et
    langue d’enseignement même chez les Autochtones du Québec qui, traditionnellement,
    étaient attirés vers l’anglais. C’est le cas notamment des Cris et des Inuits. Les
    Mohawks aussi demandent plus de français dans les écoles de Kahnawake.(3)
  7. La décision du CRTC ne reflète donc aucunement la réalité québécoise. Elle est
    discriminatoire à l’endroit des Autochtones du Québec et va carrément à l’encontre des
    tendances au Québec en matière de langues autochtones et de langue seconde chez les
    Autochtones. Cette décision pourrait avoir pour effet d’angliciser les Autochtones du
    Québec, ou de les priver d’une télévision autochtone de qualité. Elle rappelle les
    vieilles pratiques en éducation du ministère des Affaires indiennes des années 1940 et
    1950 que feu Jacques Rousseau a décrites en 1969 comme suit :
    « La politique du gouvernement fédéral est toujours établie par et pour la
    majorité. Dans les écoles autochtones, tout se fait habituellement en anglais, même aux
    endroits où les communautés autochtones vivent entourées d’une population canadienne
    française. Puisque les relations sociales s’établissent sur des bases linguistiques, les
    contacts entre les Amérindiens, artificiellement anglicisés, et les Canadiens français
    étaient rares et les Autochtones ont perdu des occasions d’emploi parmi les Canadiens
    français. »(traduction)(4)
  8. Pour respecter la réalité québécoise, le CRTC aurait dû obliger les
    câblodistributeurs canadiens de diffuser le canal autochtone partout au Canada, mais pas
    au Québec. Parallèlement, il aurait dû demander aux télédiffuseurs autochtones du
    Québec de soumettre un projet de canal autochtone québécois en langues autochtones,
    mais aussi en français, que les câblodistributeurs du Québec seraient obligés de
    diffuser partout au Québec

Solution : deux réseaux nationaux, un au Québec, l’autre au Canada

  1. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal presse le CRTC de respecter la réalité
    québécoise en matière d’intégration des immigrants à la société d’accueil et de
    respecter les tendances linguistiques au Québec depuis l’adoption de la Charte de la
    langue française. Aussi, il devrait éviter de prendre une décision néfaste comme celle
    sur le canal autochtone dit « national », qui favoriserait l’anglicisation des
    immigrants du Québec ou qui les priverait d’une programmation en leurs langues.
  2. Si après consultation le CRTC juge qu’il est prioritaire d’attribuer une licence à un
    réseau national canadien à caractère ethnique, il doit en exclure le Québec. En même
    temps, il devrait attribuer une licence à un réseau national québécois qui diffusera
    entièrement ou à très forte proportion (65 à 90%) en langues autres que le français
    et l’anglais. Toutes les autres heures de diffusion devraient être en français.

** Fin du document **


1. Signalons notamment : Paillé, Michel, « Choix
linguistique des immigrants dans les trois provinces canadiennes les plus
populeuses, » Revue Internationale d’études canadiennes, 3 (printemps
1991), pp 185-193.

2. Statistique Canada, 1993, Langue, tradition, santé,
habitudes de vie et préoccupations sociales : enquête auprès des peuples
autochtones de 1991
. Un sommaire des aspects linguistiques de ce rapport est publié
dans le journal Hydro-Presse, juillet-août 1993, Hydro-Québec. Voir aussi Jacques
Maurais, Les langues autochtones au Québec, 1992.

3. Eastern Door, 11 décembre 1998, p. 8 : « Kahnawake
principals defend school system
. »

4. Rousseau, Jacques : "The Northern Québec Eskimo
Problem and the Ottawa-Québec Struggle
." in Anthropological Journal of
Canada, V. 7, no. 2, 1969.


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