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LES JEUNES (DÉ)BRANCHÉS

Une chronique Perspectives par Frédéric Fortin, rédacteur en chef de TPC.edu,
l’éducation en Techno Pop Culture, publiée sur Multimédium ( http://www.mmedium.com/ ), le quotidien des nouvelles
technologies de l’information

LES JEUNES (Dé)BRANCHéS

Le grand manitou du site TPC.edu nous parle de l’absence des étudiants collégiaux et
universitaires québécois sur Internet. En effet, malgré des conditions de branchement
idéales (adresses électroniques pour tout le monde, accès à des ordinateurs branchés
à haute vitesse, cours d’initiation), les étudiants sont horriblement absents de la
grande toile. Constat de situation et pistes de solution.

*************

C’est bien connu, tous les jeunes sont des hackers potentiels, ou à tout le moins
possèdent le savoir nécessaire pour le devenir. Après tout, ils sont nés avec
l’informatique, programment un magnétoscope les doigts dans le nez et manient la manette
du Nintendo comme grand-mère les crochets de tricot. Comment ne pourraient-ils pas être,
tous autant qu’ils sont, des Wiz de l’informatique? Et pourtant, la réalité est tout
autre…

Alors que le mythe des jeunes branchés capables de pénétrer les systèmes de la
défense américaine en moins de deux se fait de plus en plus tenace, les signaux d’alarme
face à un manque d’intérêt marqué des jeunes pour les sciences et les nouvelles
technologies de l’information sont de plus en plus visibles. Le manque de main-d’oeuvre en
nouvelles technologies d’information et de la communication (NTIC) a été dévoilé dans
plusieurs études, autant à Mo tréal, qu’au Canada ou aux états-Unis. Dans l’étude de
Montréal, Technovision, publiée en février dernier, on apprenait que la demande de
personnel qualifié en NTIC atteignait 1 826 postes de niveau universitaire et 5100 postes
de niveau collégial, tandis que le nombre de diplômés était respectivement de 1 150
pour les bacheliers et 1 720 pour les techniciens! Et selon les données disponibles à
l’heure actuelle l’écart entre «l’offre et la demande» ne fera que s’accroître au
cours des années à venir.

Absents
Mais il n’y a pas que le milieu de l’emploi qui nous permette de constater le
désintéressement des jeunes face aux nouvelles technologies. Il suffit d’aller faire un
tour du côté des associations, groupes et médias étudiants pour se rendre compte que
l’intérêt pour Internet n’est pas là. Qui plus est, les étudiants de niveau
universitaire constituent une classe privilégiée de la société puisqu’ils ont
gratuitement accès au réseau et aux outils (laboratoires d’informatique), sans compter
que l’hébergement de leur site ne leur coûte rien (espace gratuit et illimité sur les
serveurs de l’université)! Sachant ça on s’attendrait à être inondé de sites
étudiants sur le Web au Québec. Et bien non…

Proportionnellement, et tenant compte des avantages auxquels ils ont droits, les
étudiants universitaires sont tout simplement invisibles sur le réseau. Et bien qu’on
doive souligner l’avant-gardisme de certains journaux étudiants qui étaient sur le Web
en 1996 (et qui ne sont plus actifs sur le Web depuis 1996!), force est de constater que
le cas des journaux universitaires est lamentable. Sur les 25 sites de journaux
universitaires répertoriés dans La Toile du Québec seulement trois présentent une mise
à jour de septembre 1999!

Du côté des associations étudiantes ce n’est pas vraiment mieux. Sur les quatre
associations de secteurs à l’UQAM seulement une possède son site Web, et encore son
arrivée s’est faite il y a deux semaines et la moitié du site est encore en
construction. Et si vous réussissez à trouver le site Web de votre association
étudiante et que vous avez la drôle d’idée de vouloir communiquer avec un de vos
représentants par courriel, bonne chance! Rares sont les représentants étudiants à
posséder une adresse électronique personnelle, la plupart du temps on vous proposera
plutôt une adresse générique du type info@asso.universite.ca et si jamais vous obtenez
une réponse vous m’en donnerez des nouvelles.

Décrocheurs
Le problème c’est que les NTIC en général et Internet en particulier ne
font tout simplement pas partis des moeurs des groupes étudiants. Soit on y accorde
aucune importance («Un site Internet? C’est beaucoup trop compliqué!»), soit un
étudiant voulant se rendre utile développera une présence Web pour son association
étudiante ou son groupe étudiant, mais une fois ses études terminées le site se
transformera en débris du cyberespace, personne n’étant qualifié (ou intéressé) pour
prendre la relève. D’ailleurs le nombre de sites étudiants abandonnés dépasse
largement le nombre de sites étudiants en activité.

Pourtant les associations étudiantes et les groupes étudiants possèdent des
ressources, des documents et des informations qui seraient plus facilement accessibles sur
le réseau. Avez-vous déjà essayé de fouiller dans les filières de votre association
pour tenter de retrouver le procès-verbal d’une des centaines de réunions ayant eu lieu
au cours des 20 dernières années ou un dossier précis parmi les dizaines publiés à
travers les ans? Il serait tellement plus aisé d’accéder au moteur de recherche sur le
site de votre association et d’entrer un ou deux mots clés, ou encore de remplir un court
formulaire pour obtenir de l’information ou déposer un grief ET de recevoir une réponse
dans les deux jours suivants.

Pour avoir fait de la formation auprès d’une association étudiante cet été, je sais
que certains dirigeants étudiants songent à de tels projets. Ils s’attendent cependant
à ce que leurs documents déjà existants en format Word deviennent en un clic de souris
des pages Web aussitôt prêtes à être utilisées. Alors imaginez si on leur parle des
possibilités offertes par Java, Perl, ASP ou MySQL; ils vous regardent avec de grands
yeux et vous disent que bon, ces trucs on laisse ça aux grandes entreprises, aux
Microsoft et IBM de ce monde, que les étudiants n’ont que faire de tels «gadgets». Bien
sûr que non, il est beaucoup plus intelligent de laisser toute la documentation
recueillie par l’association étudiante dans un tiroir fermé où aucun étudiant ne
pensera jamais se pointer le bout du nez.

L’Association Générale des étudiants des Secteurs Sciences Humaines, Arts, Lettres
et Communications de l’UQAM (AGESSHALCUQAM) dispose d’une liste de diffusion de 14,000
noms, soit l’ensemble de ses membres auxquels elle peut faire parvenir un courriel sur un
simple clic de souris. Un outil de communication formidable que l’association n’a utilisé
qu’une seule fois pour annoncer la tenue d’un vote de grève. En recevant ce message, les
étudiants n’avaient aucune possibilité d’y répondre, d’accéder à un site Web, de
donner leur opinion dans un forum sur la question, dans discuter en temps réel avec
d’autres étudiants dans un ch@t ou encore de voter par courriel ou sur le Web. Rien. Il
ne s’agissait en fait que du dédoublement de l’envoie postal.

Relève
Les universitaires représentent l’avenir d’une société, les décideurs et
les travailleurs de demain. S’ils ne sont pas mis en contact avec les technologies dans
leur milieu d’étude ils ne développeront pas «d’habitudes technologiques». Si les
groupes étudiants ne sont pas présents sur le Web il est impossible qu’ils innovent et
qu’ils réinventent les dynamiques de fonctionnement des groupes sociaux. Si personne ne
s’attend à ce qu’un pays soit prochainement gouverné de manière souvraine par
l’ensemble du peuple grâce à l’Internet, n’aurait-il pas été pensable que des
associations étudiantes de plus petites tailles mettent en place des embryons de la
démocratie électronique de demain?

Alors que le gouvernement québécois travaille à son projet absurde de
nationalisation du courrier électronique, les étudiants collégiaux et universitaires
possèdent déjà tous une adresse de courriel gratuite fournie par leur institution et
des terminaux pour accéder gratuitement à l’Internet. La table est mise pour le
développement d’une micro-société électronique qui pourrait jeter les bases du
gouvernement de demain.

Il suffirait de peu :
La prochaine assemblée générale de l’association étudiante est annoncée par courriel
à tous les membres et affichée sur le site Web. Les membres peuvent suggérer des
modifications à l’ordre du jour en remplissant un formulaire sur le site à l’intérieur
des délais prescrits. Un forum et un ch@t sont mis sur pied pour que les étudiants
puissent discuter entre eux avant, pendant et après l’assemblée sur les principaux
sujets à l’ordre du jour. Tous les documents nécessaires, ainsi que les archives
des procès-verbaux passés sont accessibles sur le site Web, le tout pouvant être
fouillé à l’aide d’un moteur de recherche. L’assemblée est diffusée en temps
réel sur le Web pour les étudiants qui ne peuvent y assister (stages à l’extérieur) et
archivée pour ceux qui veulent la consulter plus tard (cours ou travaux au moment de
l’assemblée). Les questions en provenance du Web sont acceptées par le président durant
la période de questions. Le vote est permis sur le site Web sécurisé de
l’association avec numéro d’étudiant et mot de passe. Les votes sont compilés
automatiquement et ajoutés à ceux pris dans la salle.

La liste pourrait s’allonger encore longtemps et il ne s’agit que d’une assemblée
d’association. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les possibilités de participation
et de démocratisation offertes par la présence des journaux étudiants sur le réseau.
Mais rien ne sera possible tant que les moeurs étudiantes n’auront pas assimilées les
possibilités offertes par l’Internet. Et au rythme auquel les groupes étudiants
accèdent au Web et avec le peu d’initiative dont ils font preuve, force est de constater
que la génération qui monte ne causera certainement pas une cyberrévolution…

Frédéric Fortin
fred@tpc.qc.ca

(Le 1er octobre 1999)


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