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LES BOUCS ÉMISSAIRES DE LA MAUVAISE LANGUE

La situation du français au Québec a toujours la cote au baromètre de la polémique

LES BOUCS éMISSAIRES DE LA MAUVAISE LANGUE

Les enseignants ne contribuent pas à la dégradation du français au Québec

Monique Lebrun
Clémence Préfontaine
Didacticiennes du français et professeures au département de
linguistique de l’Université du Québec à Montréal

Article publié dans Le Devoir du 25 juillet 1998

Qu’il fait plaisir d’entendre, de la bouche d’un polémiste, des constats aussi énergiques que celui-ci: il nous faut une seconde loi 101 qui, cette fois, s’occuperait non plus du statut de la langue française au Québec, mais de sa qualité (voir l’article de Jean-Luc Gouin, «Le délanguissement (De la dégradation de la langue française)», dans Le Devoir du 11 juillet 1998, page A 8)! Si le cri n’est pas nouveau, il a à tout le moins le mérite de la clarté et est énoncé en une langue élégante.

Nous aimerions cependant mettre un bémol à ce bel élan, car les propos de M. Gouin nous semblent un tantinet vengeurs envers les pauvres enseignants responsables de tous les maux (linguistiques), à l’instar de l’âne de la fable. En effet, in cauda venenum, M. Gouin nous apprend, en fin de parcours, la «vertigineuse insignifiance des facultés d’éducation», qui admettraient généralement dans leurs rangs des candidats refoulés partout ailleurs, et, on le subodore, incompétents quant à la qualité de leur langue orale et écrite. De là à former des générations de petits ignorants maniant mal le verbe, il n’y a qu’un pas, que les valeureux lecteurs du Devoir auront franchi aisément, dans la foulée de la diatribe.

Eh bien non! Ce constat désespéré est le fait d’un observateur biaisé ou mal informé de la scène éducative québécoise. En ce qui concerne la langue écrite, nous croyons bon de rappeler à M. Gouin la position des cégeps de la Belle Province qui, depuis quelques années, ne décernent le diplôme d’études collégiales qu’aux seuls étudiants ayant réussi un test de français assez exigeant. Quant aux facultés de formation des maîtres, on n’y admet que les étudiants triés sur le volet depuis la réforme ayant eu lieu en 1994 pour le baccalauréat en enseignement au secondaire et en 1995 pour le baccalauréat en enseignement au primaire. Ainsi, dans notre université, l’Université du Québec à Montréal, la sélection est à ce point serrée que nous n’acceptons qu’un étudiant sur quatre au programme en enseignement du français au secondaire; au baccalauréat en enseignement au primaire, nous n’en prenons qu’un sur six. Les programmes menant à l’enseignement sont donc très contingentés et sélectifs depuis quelques années. La qualité des étudiants y est indéniable.

Dans notre établissement, tous les futurs enseignants doivent passer, dès les premiers mois qui suivent leur admission, un test de français écrit. Celui-ci est beaucoup plus exigeant dans les programmes menant à l’enseignement du français. En cas d’échec au test, des mesures remédiatrices sont prévues (cours, ateliers d’aide). Un étudiant ne peut être diplômé s’il contrevient à la politique de l’UQAM sur le français écrit. D’ailleurs, les autres facultés de formation des maîtres du Québec agissent sensiblement de la même façon et instaurent la passation de tests validés de français écrit dès l’entrée dans le programme. Ajoutons que le souci pour le français écrit se traduit tout au long de la formation, dans les nouveaux baccalauréats de quatre ans, par un soin constant accordé à la langue écrite dans les travaux. On la surveille même lors des quatre stages des aspirants maîtres.

Venons-en maintenant au cas plus délicat du français oral. Il est sûr que le «vocabulaire appauvri» et la «maîtrise approximative de la syntaxe» (M. Gouin dixit) se remarquent plus aisément à l’oral: George Dor, le frère Untel et bien d’autres l’ont souligné avant nous. Toutefois, avant de jouer les Cassandre de l’échec linguistique des Québécois, il faudrait que M. Gouin se renseigne. Il apprendrait ainsi que depuis quelques années, les facultés de formation des maîtres, toujours elles, se préoccupent de cette délicate question. Délicate en effet pour qui connaît notre fragilité collective face à la norme. On n’a qu’à penser à la polémique qui a entouré Les Belles-Soeurs pour ne pas vouloir la revivre, toute passionnante qu’elle fût en son temps. L’heure n’est pas à sonder les mérites expressifs de notre «parlure pas très propre» (Michèle Lalonde), mais bien à développer la conscience linguistique de nos jeunes quant à la qualité de leur langue orale, ce qui nous semble une poursuite logique de nos efforts d’éducateurs à propos de la qualité de la langue écrite.

A l’Université du Québec à Montréal, on vérifie la qualité de l’expression orale des futurs enseignants de façon systématique. Il en est de même à l’Université de Montréal, avec laquelle nous s sommes en contact étroit sur la question. On offre dans notre établissement des cours d’amélioration de l’expression orale portant tant sur les composantes de la voix que sur la morphosyntaxe, le lexique, la cohérence du discours et les aspects communicatifs du langage. Les étudiants en formation des maîtres n’obtiennent leur diplôme que s’ils satisfont aux normes de la politique du français oral. Dire que tout va rondement serait travestir la réalité (les résistances à se faire évaluer existent bel et bien chez certains), mais l’équipe de formateurs d’enseignants croit à tout le moins que le message a passé; le futur enseignant se doit d’être exigeant face à lui-même, dans son expression orale, car il aura à être clair et précis dans ses explications et à servir de modèle aux jeunes.

Il est par ailleurs trop tôt pour prévoir l’impact de telles mesures sur la qualité du corps enseignant québécois. Des universités telles l’UQAM auront à tout le moins contribué à hausser le degré de conscience linguistique des futurs enseignants. Il leur manque cependant deux appuis de taille, celui du ministère de l’Education, qui devrait normalement s’en faire une priorité et y consacrer les ressources qui s’imposent, et également celui des médias. Comment en effet ne pas être touché jusqu’au fond de l’âme quand on est enseignant et, a fortiori, formateur d’enseignants, par toutes ces attaques, celle de M. Gouin n’est ni la première (songeons ici à l’acerbe Jean Larose), ni malheureusement la dernière, à propos de la prétendue incompétence des enseignants. Comme le disait un poète du XVIIe siècle: «La critique est facile, l’art est difficile!» Nous naviguons sur une mer semée d’embûches mais n’avons pas besoin, comme enseignants, qu’on décrie notre sens des responsabilités, en plus de s’en prendre à notre prétendue contribution à la «dégradation de la langue française» (M. Gouin dixit). A bon entendeur…


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