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LE RENVOI À LA COUR SUPRÊME DU CANADA

Renvoi à la Cour suprême du Canada

au sujet de certaines questions

ayant trait à la sécession du Québec

Note à l’amicus curiae

sur la première question

du Renvoi

Claude RYAN

Outremont

le 31 janvier 1998

1) A titre de responsable d’associations, de journaliste et d’homme politique, j’ai participé activement à l’évolution sociale et politique du Québec au cours du dernier demi-siècle. J’ai été observateur et acteur. Député à l’Assemblée nationale de 1979 à 1994, j’ai siégé dans l’Opposition pendant six ans et participé à l’exercice du pouvoir en qualité de ministre pendant neuf ans. J’ai consacré de nombreux articles à la question constitutionnelle et participé à de multiples réunions, colloques et conférences sur ce sujet. Les notes qui suivent reflètent le point de vue d’un homme d’action dont la carrière publique a été identifiée à la promotion d’un fédéralisme canadien renouvelé au sein duquel le Québec pourrait se développer en solidarité avec les autres partenaires de la fédération mais en conformité avec son génie propre. Nonobstant l’importance que revêt en regard du droit international la possibilité d’une éventuelle sécession du Québec, j’examinerai à partir d’une perspective intérieure canadienne le Renvoi du Gouvernement fédéral à la Cour. Les notes qui suivent porteront en conséquence sur la première question du Renvoi. laquelle s’énonce ainsi: « L’Assemblée nationale, la législature, ou le gouvernement du Québec peut-il, en vertu de la Constitution du Canada, procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada?

2) Nous vivons dans une société placée sous l’autorité de la loi. Mais notre société pose aussi comme fondement de l’édifice politique la primauté des libertés individuelles. Au premier rang de celles-ci, figurent les libertés de pensée, d’expression, de réunion et d’association. L’acteur politique doit agir en tenant toujours compte de l’interaction entre la liberté et la loi. Tandis que les lois sont fixées dans des textes, la société, mue par l’action libre des personnes et des groupes qui la composent, évolue sans cesse. L’art du gouvernement consiste à agir de manière à tenir compte le mieux possible de tous les facteurs impliqués dans une situation et à prendre des décisions où s’harmonisent le service du bien général, le respect des libertés et les impératifs découlant de l’interaction continuelle des personnes, des institutions et des collectivités. Dans cette perspective, l’observance des lois est indispensable au bon fonctionnement d’une société démocratique. Mais les lois, dans la formulation qu’elles empruntent à un moment donné, ne sont pas immuables. Elles portent la marque des circonstances qui ont présidé à leur naissance et à leur développement. Elles demeurent sujettes en tout temps à des améliorations. Les lois existent pour le service du peuple, et non l’inverse. Tout en ayant l’obligation de veiller au respect des lois, les acteurs politiques doivent faire en sorte qu’elles soient au service des valeurs de liberté et de justice les plus élevées et éviter qu’elles ne soient un instrument de domination au service des plus forts.

3) Le Renvoi oblige à préciser en premier lieu ce qu’il faut entendre par le Québec. Selon le Mémoire du Gouvernement fédéral, le Québec est une province du Canada, sans plus. De là à dire que le Québec est une province comme les autres, il n’y a qu’un pas. Or, cette conception réductrice n’a jamais été admise au Québec. Dans l’état actuel du droit, le Québec a le rang de province mais il forme au sein de l’ensemble fédéral canadien une société distincte par la langue et la culture de la grande majorité de ses habitants, par son droit civil et ses institutions. Ce caractère distinct du Québec est au coeur du débat constitutionnel. Pour définir le Québec, on a utilisé divers termes comme ceux de collectivité, de peuple, de nation, de société. Par-delà les termes utilisés, on a voulu signifier que le Québec forme une société qui a tous les attributs « d’une société libre, adulte, confiante, moderne, démocratique, pluraliste et ouverte sur le monde » (1). Tous les gouvernements qui se sont succédés à Québec depuis plus d’un demi-siècle, qu’ils fussent d’orientation fédéraliste ou souverainiste, ont insisté pour que ce caractère soit plus explicitement affirmé et reconnu. Dans le Mémoire du Gouvernement fédéral, le Québec est assimilé aux « groupes ethniques, religieux ou linguistiques » minoritaires au sein des états constitués auxquels le droit international refuserait la droit à l’indépendance. On s’éloigne dangereusement, en parlant ainsi, du concept de l’égalité des deux peuples fondateurs naguère reconnu par le Gouvernement fédéral (2). Si le mouvement souverainiste a pris racine et s’est développé au Québec, c’est précisément parce que des Québécois de plus en plus nombreux ont conclu que cette égalité dont ont rêvé plusieurs générations de Québécois ne pourra jamais se réaliser à l’intérieur du cadre canadien. En enfermant le Québec dans les catégories étroitement juridiques dont se réclame le Gouvernement fédéral, on risque de renforcer cette interprétation.

4) Déjà en 1867, la Constitution reconnaissait le caractère distinct du Québec, notamment son système juridique propre inspiré du droit civil français et la présence prédominante du français sur son territoire. Cette reconnaissance était néanmoins limitée et incomplète. Depuis 1867, la conscience qu’ont les Québécois de former une collectivité distincte, loin de diminuer, n’a cessé de se développer. Il en est résulté une volonté de plus en plus forte de voir le caractère distinct du Québec mieux reconnu dans le droit et dans les faits. Cette évolution explique les démarches persistantes que les gouvernements du Québec n’ont cessé de poursuivre depuis trois décennies afin d’obtenir des aménagements constitutionnels, législatifs et administratifs mieux adaptés.

5) Conformément aux règles de notre système fédéral de gouvernement, les Québécois ont continué aux cours des dernières décennies d’élire des représentants au Parlement fédéral et à l’Assemblée nationale. A travers l’exercice de leurs droits démocratiques, ils ont clairement exprimé leur attachement prioritaire au Québec.

a) en élisant à Québec, sous la bannière de deux partis politiques principaux, des représentants qui ont affirmé à maintes reprises qu’à leurs yeux, « l’Assemblée nationale est le carrefour par excellence de la vie publique au Québec » et que « le gouvernement du Québec est pour sa part l’expression la mieux organisée, la plus ramifiée et la plus puissante de la société québécoise » (3);

b) en élisant au Parlement fédéral à l’occasion des deux dernières élections générales tenues au Canada en 1993 et 1997 une majorité de députés représentant l’option souverainiste;

c) en réclamant de manière continue au cours des trois dernières décennies, à travers les programmes politiques des deux partis principaux oeuvrant sur la scène québécoise et les mandats qui leur furent accordés, que des modifications soient apportées à la Constitution canadienne afin qu’y soit mieux reconnu le caractère propre du Québec.

6) Le Parti libéral du Québec souhaite que la volonté de reconnaissance et d’interdépendance du Québec puisse se réaliser à l’intérieur d’un Canada renouvelé. Il a réaffirmé et mis à jour cette position lors d’un congrès général d’orientation tenu en mars 1997. Le Parti québécois soutient au contraire que trente années de tentatives en vue de renouveler le fédéralisme canadien n’ont rien produit, que les voies de l’avenir sont bloquées pour le Québec à l’intérieur du système politique canadien et que l’indépendance politique doit être l’aboutissement logique et normal d’une démarche d’affirmation qui dure depuis des décennies.

7) Les questions soumises à la Cour par le gouvernement fédéral traitent de la validité constitutionnelle d’une éventuelle déclaration unilatérale de sécession par l’Assemblée nationale du Québec. Au Québec, on parle plus fréquemment, désormais, de souveraineté ou d’indépendance. Ces derniers termes ont une connotation plus positive.

8) La question de l’indépendance est au coeur des débats politiques au Québec depuis l’entrée en scène de partis d’inspiration souverainiste au début des années 60. Elle prit une importance plus immédiate avec l’élection en 1970 d’un premier groupe de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale. Au cours des quatre dernières décennies, l’Union nationale, parti d’orientation nationaliste maintenant disparu, a remporté la victoire une fois (1966) aux élections générales; le Parti québécois, représentant l’option souverainiste, a remporté la victoire à trois reprises (1976, 1980, 1994); le Parti libéral, représentant l’option fédéraliste, l’a emporté à quatre reprises (1970, 1973, 1985, 1989). Fait à noter: l’affirmation du droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir était inscrite dans le programme de chacune de ces formations politiques.

En outre, des référendums portant sur la question constitutionnelle furent tenus à trois reprises au cours de la même période, soit en 1980, 1992 et 1995. A chacun de ces référendums, la proposition mise de l’avant par le gouvernement en place fut rejetée par la population. Dans ces nombreuses consultations électorales et référendaires, les deux grandes options – fédéralisme renouvelé et souveraineté – furent au coeur des débats. Ceux-ci, de même que les élections générales tenues depuis le début des années 60, se déroulèrent dans le respect des principes démocratiques. Dans chaque cas, le verdict rendu par la population fut respecté par le gouvernement en place.

9) Tenus sous l’autorité de l’assemblée nationale, les référendums de 1980, 1992 et 1995, eurent lieu dans le cadre d’une loi québécoise établissant qu’ils ont un caractère consultatif. Même si les référendums de 1980 et 1985 avaient produit un résultat favorable à la souveraineté, ce résultat n’aurait pas eu, au plan juridique une valeur décisionnelle. Au plan politique, cependant, les consultations de 1980 et 1995 revêtaient une portée très grande. Dans un camp comme dans l’autre, il était clair pour les acteurs – et leurs discours en témoignent abondamment – qu’ils participaient à un exercice de grande portée pour l’avenir du Québec. A la suite des référendums tenus en 1980 et 1995, on conclut, vu le résultat favorable à l’option fédéraliste dans chaque cas, que le gouvernement et l’Assemblée nationale devaient continuer d’agir à l’intérieur du cadre constitutionnel canadien. Mais dans l’hypothèse d’une victoire du camp souverainiste, on se serait logiquement attendu à ce que l’Assemblée nationale soit appelée à donner suite à la volonté de la population en mettant en branle le processus devant conduire à l’indépendance.

10) Si le Parlement fédéral avait voulu contrer dans le passé la décision du gouvernement québécois de tenir un référendum sur l’avenir politique du Québec, il lui était loisible de tenir lui-même une consultation publique afin de vérifier la volonté politique des Québécois. Au lieu de tenir sa propre consultation, il jugea préférable en 1980 et 1995 de se joindre aux forces du Non pour livrer campagne contre l’option mise de l’avant à chaque reprise par un gouvernement québécois d’orientation souverainiste. En se joignant ainsi aux forces du Non, le gouvernement fédéral reconnaissait implicitement la signification politique et la validité démocratique de l’opération référendaire.

11) L’option de l’indépendance fait partie du paysage politique québécois depuis plus de trois décennies. Agissant avec pragmatisme, les principaux acteurs, sans nécessairement adhérer à l’option souverainiste, ont préféré agir de manière que cette option, plutôt que d’être interdite ou promue par des moyens autoritaires, soit librement débattue dans l’arène politique en conformité avec les principes démocratiques. La légitimité de l’option souverainiste en tant qu’option politique n’a jamais été infirmée par les tribunaux. Pendant douze ans sur vingt-et-un, soit plus de la moitié du temps, le Québec a été gouverné depuis 1976 par un parti qui, tout en ne faisant pas mystère de son engagement à promouvoir l’indépendance, a également gouverné en conformité avec la Constitution canadienne, la validité constitutionnelle de ses lois étant soumise au contrôle des tribunaux. La manière dont les choses se sont passées jusqu’à maintenant fait honneur à la démocratie canadienne et québécoise. Les acteurs politiques québécois ont démontré qu’ils étaient capables de conduire le débat sur l’avenir politique du Québec dans le respect des règles démocratiques. Les acteurs politiques canadiens ont de même respecté la démarche du peuple québécois, évitant en général de s’interposer dans ce débat sinon, comme c’était leur droit de le faire, pour inviter les Québécois à mesurer avec soin les implications économiques et politiques de tout choix éventuel en faveur de l’indépendance.

12) De l’évolution du dossier depuis trois décennies, trois éléments majeurs doivent être retenus:

a) la volonté de changement constitutionnel exprimée à maintes reprises au Québec par les deux partis politiques principaux oeuvrant sur la scène québécoise est une donnée incontournable de la réalité politique canadienne. Cette volonté de changement s’est exprimée de manière constante depuis les premières années de la Révolution tranquille;

b) des gestes significatifs ont été faits afin de donner suite à l’intérieur du cadre canadien à la volonté de changement du Québec. Mentionnons en particulier la protection constitutionnelle des droits linguistiques; l’instauration d’un droit de retrait facultatif, assorti de compensation fiscale ou financière, à l’endroit de programmes fédéraux à frais partagés; les accords Québec-Ottawa sur l’immigration; l’adoption par le Parlement fédéral d’une motion reconnaissant le Québec comme société distincte et d’une loi procurant au Québec un droit de veto sur certaines modifications constitutionnelles. Mais d’autres développements ont par contre laissé des souvenirs amers au Québec, notamment l’ajout en 1982 de modifications majeures à la Constitution canadienne malgré l’opposition ferme du Québec et le rejet en 1990 de l’Accord du lac Meech après que celui-ci ait été dûment endossé et signé par tous les chefs de gouvernement. Tout compte fait, les efforts faits jusqu’à maintenant n’ont pas produit des résultats suffisants pour assurer de manière ferme et durable le maintien de l’adhésion du Québec au système fédéral canadien. Lors du référendum de 1995, il est même apparu que cette adhésion ne tenait plus qu’à un écart de quelques milliers de voix;

c) l’option souverainiste, malgré son caractère radical, a pu s’exprimer jusqu’à maintenant dans des conditions de liberté exemplaires, ce qui a permis à ses promoteurs de faire élire à plusieurs reprises une majorité de députés à l’Assemblée nationale et au Parlement fédéral.

13) Le droit du peuple québécois à l’autodétermination est inscrit au coeur du débat politique québécois. L’adhésion à ce droit sous-tend la démarche du Parti québécois en faveur de la souveraineté. Le Parti libéral du Québec a lui aussi affirmé à maintes reprises son adhésion à ce principe. Dès 1981, à l’occasion d’un congrès d’orientation, le Parti libéral du Québec inscrivait en ces termes ce droit dans son programme politique: « Le Parti libéral du Québec reconnaît le droit du Québec de définir sa constitution interne et d’exprimer librement sa volonté de maintenir l’union fédérale canadienne ou d’y mettre fin. Il reconnaît en bref le droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir ». Le PLQ n’a cessé depuis ce temps de promouvoir le maintien du lien fédéral. Mais il l’a fait sans préjudice de son adhésion au principe du droit à l’autodétermination, en soutenant que la façon la plus sûre, quoique non la seule, pour le Québec d’exercer son droit à l’autodétermination passe par l’insertion librement consentie dans un fédéralisme canadien renouvelé. Il l’a également fait en ne cessant de soutenir que la reconnaissance claire du caractère distinct du Québec est une dimension essentielle de tout renouvellement sérieux du système fédéral canadien. Sur le droit à l’autodétermination, interprété comme pouvant impliquer entre autres options le choix en faveur de la souveraineté, il existe au Québec un consensus large et profond entre les principales formations politiques et la grande majorité des acteurs politiques oeuvrant sur la scène québécoise. Tous sont d’accord pour reconnaître que l’avenir politique du Québec, quelle que soit l’option devant être retenue, relève en dernière analyse de la volonté souveraine du peuple québécois.

14) La question que soulève le renvoi du Gouvernement fédéral à la Cour se ramène à ceci: à supposer que, suivant un vote en faveur de l’indépendance exprimé par la population du Québec à l’occasion d’un référendum, l’Assemblée nationale déciderait de donner suite au résultat en mettant unilatéralement en branle le processus devant conduire à l’indépendance, cette démarche, quelle que soit la forme qu’elle doive revêtir, serait-elle valide au plan constitutionnel? Le Gouvernement fédéral soutient que toute résolution ou projet de loi de l’Assemblée nationale proclamant l’indépendance ou devant y conduire de manière unilatérale entraînerait des modifications majeures à la Constitution actuelle et devrait en conséquence être astreinte à l’approbation du Parlement fédéral ou d’une majorité, sinon de la totalité, des provinces en vertu de la formule de modification insérée dans la Constitution en 1982. Ce point de vue est hautement contestable.

Souscrire à l’argumentation du Gouvernement fédéral, ce serait consentir en principe à ce qu’une décision touchant son avenir politique, prise à la suite d’une volonté clairement et démocratiquement exprimée par la population, soit assujettie au consentement et aussi, par voie d’implication, au pouvoir de veto du Parlement fédéral et d’au moins une majorité substantielle des provinces. C’est là une position difficile à soutenir. Il serait inconcevable qu’après avoir franchi une à une toutes les étapes d’un cheminement démocratique devant conduire à l’indépendance, le Québec se fasse dire, au terme d’un processus ayant été étalé sur plusieurs décennies, que tout cela n’était qu’un vain exercice et qu’il n’avait d’autre choix dès le départ que de se soumettre au pouvoir de veto du reste du Canada.

Si un jour, au terme d’un processus démocratique, le Québec optait pour la souveraineté, il s’agirait là d’un geste politique majeur qui, par sa nature même, signifierait la rupture de l’ordre constitutionnel existant. Une décision aussi radicale entraînerait sans doute la nécessité de plusieurs modifications à l’ordre constitutionnel existant. Mai il incomberait alors au Canada de procéder, en accord avec sa propre Constitution, aux modifications constitutionnelles devant découler du départ du Québec. Quant aux nombreux problèmes d’intérêt commun qui découleraient de l’éventuel départ du Québec, ils devraient être abordés par la voie de négociations conduites sur une base paritaire entre le Canada et le nouvel état québécois.

Contestable au plan de la logique démocratique, la position du Gouvernement fédéral l’est tout autant au plan du réalisme politique. Si, au terme d’un long processus ayant duré plus de trente ans, la population du Québec optait démocratiquement et clairement pour l’indépendance à l’occasion d’un référendum, on voit difficilement comment le Parlement fédéral et les autres provinces pourraient vouloir s’interposer dans le rapport de forces qui existerait alors au Québec. Au stade très avancé où en seraient les choses, une intervention politique n’aurait guère de chance de succès. Le recours aux tribunaux canadiens serait difficilement envisageable vu qu’un Québec se voulant souverain voudrait vite s’assurer que le pouvoir judiciaire devra être québécois. Un recours à la force pourrait en principe être envisagé pour contrer la mise en oeuvre du projet souverainiste. Mais si la force devait être employée pour contrer une décision prise en conformité avec les règles démocratiques, il en découlerait des risques graves pour l’ordre intérieur et pour la réputation du Canada à l’extérieur. En toute hypothèse, le recours à la force ne saurait être qu’un remède à court terme; à long terme, il ne saurait tenir lieu d’une adhésion populaire qui aurait cessé d’exister à l’endroit du régime fédéral canadien.

15) étant donné le caractère éminemment politique de la première question du Renvoi, il serait inadmissible que, par l’effet d’un jugement de cour, le reste du Canada puisse rejeter une éventuelle décision d’indépendance du Québec en invoquant la règle de décision inscrite dans la formule d’amendement constitutionnel de 1982. Cette formule, à laquelle le Québec n’a jamais donné son adhésion, a été conçue pour le traitement de modifications à l’intérieur du cadre constitutionnel présentement établi. Soutenir que la formule doit s’appliquer à une déclaration d’indépendance ou à un processus devant y conduire, ce serait affirmer du même coup que le droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir est assujetti au pouvoir de veto du Parlement fédéral et d’au moins une majorité de provinces. L’application rigide de cette règle à une éventuelle déclaration d’indépendance serait contraire au principe d’autodétermination et risquerait de produire des effets dangereux au plan politique. Une déclaration d’indépendance ou toute démarche éventuelle devant conduire à cet aboutissement créerait en effet une situation inédite. L’idéal serait alors que le Québec et les gouvernements concernés négocient à l’amiable les conditions et les modalités du passage d’un régime à un autre. Mais il serait irréaliste et imprudent de limiter les horizons possibles à ce seul scénario idéal. Il faut aussi prévoir la possibilité d’une impasse. Dans cette dernière hypothèse, les parties devraient modeler leur conduite non pas sur une formule d’amendement qui serait dans ce contexte foncièrement inéquitable mais plutôt sur le droit international et la pratique éclairée des états.

16) Aussi longtemps que le Québec continue de faire partie de l’ensemble canadien, il est souhaitable que de part et d’autre le Gouvernement du Québec et celui du Canada reconnaissent qu’ils ont tous deux intérêt à ce que les questions relatives à l’avenir politique du Québec soient abordées dans un climat de respect mutuel, d’ouverture et de collaboration. Chacun est le dépositaire, sous des aspects différents, de la souveraineté sur le territoire québécois. Chacun est en conséquence directement concerné par les implications de toute démarche pouvant entraîner des modifications majeures à ses attributions et à la nature du pays. Avant tout référendum éventuel, il serait souhaitable qu’il y ait des échanges préalables entre les deux gouvernements sur la teneur de la question à soumettre au peuple de même que sur les règles devant servir à l’interprétation du résultat. Le Gouvernement fédéral ayant soutenu dans ses interventions auprès de la Cour qu’il se préoccupe principalement de la procédure à suivre et que l’ordre constitutionnel existant pourrait éventuellement s’accommoder d’une décision entraînant l’indépendance du Québec, il serait conforme à l’intérêt public ainsi qu’au respect et à la courtoisie que doivent se porter les deux ordres de gouvernement en régime fédéral, que les deux gouvernements se consultent sur les normes devant présider au déroulement d’une opération référendaire et qu’ils s’engagent logiquement à respecter toute décision, quelle qu’elle soit, susceptible de découler d’un référendum tenu conformément à des normes de démocratie et de transparence jugées acceptables de part et d’autre.

17) Le rôle de la Cour est d’interpréter la Constitution et non pas de se substituer au constituant. Déjà, en 1980, dans un jugement sur la modification de la Constitution, la Cour a proposé une interprétation hautement contestable de la Constitution en concluant qu’une modification de celle-ci était possible moyennant le consentement d’une majorité substantielle de provinces alors que cette règle n’était nulle part inscrite dans le texte constitutionnel et n’avait pas un fondement solide dans la tradition constitutionnelle du Canada. Ce jugement servit de justification à l’adoption ultérieure d’une Charte des droits et libertés et d’une formule d’amendement qui furent sanctionnées sans l’accord, voire malgré l’opposition explicite du gouvernement du Québec et de l’Assemblée nationale. Ces gestes furent la source d’une impasse constitutionnelle qui dure depuis quinze ans et qui a fortement contribué à la montée du sentiment souverainiste au Québec. Une réponse négative de la Cour aux questions soumises par le Gouvernement fédéral risquerait de créer une nouvelle impasse encore plus grave. La Cour agira plus sagement en renvoyant aux acteurs politiques la responsabilité de trouver des réponses démocratiques aux questions qui lui ont été adressées.


Renvois

1) Parti libéral du Québec, Reconnaissance et interdépendance – L’identité québécoise et le fédéralisme canadien. Rapport du Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, Montréal, décembre 1996, p.16

2) Une Commission d’enquête fut instituée en juillet 1963 par le Gouvernement fédéral « pour faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée, compte tenu de l’apport des autres groupes ethniques à l’enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport ». Dans sa Réplique, le Gouvernement fédéral se déclare disposé à reconnaître que le Québec forme un peuple au sens culturel, sociologique, voire politique du terme. Mais les explications qu’il fournit ensuite banalisent singulièrement la portée de cette reconnaissance.

3) Parti libéral du Québec, Reconnaissance et interdépendance – L’identité québécoise et le fédéralisme canadien, p.16



Le 31 janvier 1998


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