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LE PITBULL DE LA LANGUE

Le Droit

Jean-Paul
Perreault

De temps en temps, il s’embarque dans une autre envolée à la défense de la langue française. On se souviendra de la pauvre commerçante de beignets, des vendeurs de pizza et des élus du Pontiac. Il s’emporte, n’écoutant que ses convictions, lançant devant les journalistes habitués à ses arguments mille fois répétés.

Jean-Paul Perreault

Le pitbull de la langue

Pierre Jury
LeDroit
à chaque occasion, il parle tout haut et bien fort au nom des francophones dans une région, l’Outaouais et sa capitale fédérale adjacente, où le français est souvent le parent pauvre de la famille canadienne.

Du coin de l’oeil, les gens le regardent avec un oeil un peu désabusé. Mais au fond, ça doit faire leur affaire. Ils doivent bien l’appuyer, ce président d’Impératif français, car nul francophone ne lui a encore déclaré la guerre. Reste qu’ils ont souvent la même pensée: «OK, Jean-Paul, ça va. On a compris. ‘Slaque’ un peu, tu vas te donner des ulcères !»
Mais lui, il ne recule pas. Il ne recule jamais. Comme un pitbull engagé au nom de Molière et de sa langue, il harcèle sans répit tous ceux qui pourraient, à ses yeux, manquer de respect envers l’héritage de ses aïeux. De son modeste foyer du vieil Aylmer, il cogite la prochaine querelle, accumule les preuves et les écrits, reçoit les tuyaux qui originent de toutes parts et qui l’aiguillent vers une autre croisade.

Lorsque le français encaisse une tuile, il renchérit «car au lieu de me décourager, l’existence du problème me donne de l’énergie». La seule chose qui l’atteigne, ce sont «les attaques personnelles où l’on s’en prend au messager plutôt qu’au message». Ce n’est d’ailleurs qu’après quelques jours de réflexion qu’il a finalement accepté de se confier au quotidien LeDroit, inquiet «du traitement» que l’on ferait de l’entretien.

Il se voit à la barre d’Impératif français «encore pour un certain temps», il faudra s’y faire.

«Au moins 10 ans de vie professionnelle active», lance-t-il plus loin.

«Si on pense à la retraite, on arrête de bâtir le présent pour bâtir l’avenir. Moi, mon avenir, je le bâtis au présent et je ne veux pas voir la retraite comme un moment libérateur.»
Regard camouflé
Habile stratège dont le regard est camouflé derrière des verres fumés, il donne aussi des ailes à l’organisation qu’il dirige depuis le début des années 1990 en la transformant en un «mouvement où chaque personne peut contribuer. Devant un problème, les gens ne doivent pas se dire: «Oh, Impératif français s’en occupera. Il faut amener les gens à s’en occuper eux-mêmes. Moi, je ne peux rien tout seul. Nous ne disposons pas du budget d’une université, ou d’une ville. Nous n’avons aucun salarié. Notre plus grande source, c’est le bénévolat de nos quelque 300 membres et de nos amis… et pendant ce temps, ne peut-il s’empêcher d’ajouter, le gouvernement canadien verse environ 2 millions $ par an aux organismes qui font la promotion de l’anglais au Québec!»
Le voilà reparti, redémarré.

Son leitmotiv, c’est que «plus une langue progresse, plus les gens, qui la parlent, progressent».

Ses admirateurs diront qu’il a le sens du style, ses détracteurs, qu’il aime trop s’entendre parler.

Peu importe.

La question de la langue «est surtout un débat économique», précise-t-il. L’ennui, c’est qu’une langue ne prospère qu’aux dépens d’une autre, que les cultures sont naturellement en concurrence les unes contre les autres car choisir de parler une langue, ou d’écrire une affiche en une langue plutôt qu’une autre, en écarte nécessairement une seconde, rationalise le personnage qui, ironiquement, a toujours gagné sa vie en Ontario depuis son arrivée en Outaouais, il y a un peu plus de 20 ans.

Dans la vie de tous les jours, Jean-Paul Perreault est aussi professeur d’administration à la Cité collégiale. Cette vocation lui est «revenue» sur le tard. Il faut dire «revenue» car l’infatigable militant se souvient avoir pensé à l’enseignement «dès le secondaire». Sa mère, Aldérie, était maîtresse d’école de rang, «ce qui a peut-être influencé mon choix vers l’école normale». Dans une famille beauceronne à l’origine, il sera le 10e de 12 enfants, une famille qu’il dit «unie», mais répartie sur le territoire.

Il fait ses études en pédagogie, puis en géographie, toujours à l’Université de Sherbrooke. Ensuite, virage inattendu: maîtrise en administration des affaires, à la fin des années 1960. Alors que les jeunes de l’époque s’ouvrent sur le monde, la musique et la drogue, M. Perreault se retrouve au sein des premières «vagues de l’affirmation du Québec dans le monde des affaires». La Belle Province veut prendre ses entreprises en mains et forme des gestionnaires en ce sens.

Dans sa classe, par exemple, se retrouve Paul Gobeil, l’ancien ministre et aujourd’hui au conseil d’administration de la papetière Domtar.

L’enseignement tombe en veilleuse et s’amorce alors une carrière au sein d’un empire encore naissant: Provigo. L’entreprise vient d’éclore de la fusion de trois plus petites sociétés (Lamontagne, Couvrette-Provost et Denault), spécialisées dans le commerce alimentaire en gros.

«J’y suis arrivé très jeune, à 26 ou 27 ans, se rappelle-t-il à peu près, lui qui démontre une mémoire très approximative des chiffres et des années, étonnant pour un MBA. Il fallait rebâtir les maillons en difficulté. J’étais directeur général. D’abord pour la région de Sherbrooke, puis Thetford Mines, Victoriaville, et enfin, Ottawa. Mais le stress était assez présent. Après quelques années, je me suis dit que c’était assez. Je me suis tourné vers l’enseignement. Je suis très heureux de mon choix.»
Il venait à peine de franchir le cap de la trentaine.

En 1977, il devient ainsi professeur en sciences de la gestion au Collège Algonquin, jusqu’à la création de la Cité collégiale, en 1990, où il est toujours rattaché.

Mais après deux décennies en salle de classe, il se décrit encore «comme un homme d’affaires».

Il dira aussi qu’il est «avant tout un organisateur».

Sa demeure
Dans sa maison de briques rouges, Jean-Paul Perreault a longtemps partagé ses jours avec ses deux fils, Jérôme, l’aîné qui travaille aujourd’hui à Vancouver, et Antoine, étudiant en administration à l’Université du Québec à Montréal.

Une demeure un peu sombre, aux ouvertures laissant filtrer trop peu de lumière, aux meubles encombrants pour la taille des pièces. Sur les murs, des photos, des tableaux de son ami Jacques Desgagnés, des masques comme souvenirs de voyage, des chapeaux qu’il porte pour s’amuser, les jours de fête.

Son engouement pour la langue française en fait un grand consommateur de nouvelles, de magazines, de journaux.

«J’aime m’étendre sur mon hamac, sur le balcon, pour lire.» Deux quotidiens par jour, des magazines, des essais, des romans. Au son de musiques folkloriques comme le Rêve du diable ou Vesse du loup, de Félix Leclerc, de Zacharie Richard.

Avec sa compagne Suzan Goldman, il dit aimer fréquenter des endroits comme le Bistro Cartier, la Maison Maxime, des gîtes du passant à la campagne, etc.

Vous aurez remarqué, sans doute, la consonnance anglaise du nom de son amie. Rien à cacher là-dessus. Une anglophone de Montréal, psychologue qu’il a rencontrée au Collège Algonquin, quelques années après la fin de son premier mariage. Ils sont ensemble depuis 17 ans, mais à temps partiel. Elle aussi divorcée et mère (de deux filles), ils ont chacun conservé leur maison.

«Nous partageons tous nos moments de loisir, nos week-ends.» Un peu à la blague, il qualifie même cette relation de «souveraineté-association» !

Quant aux attaques personnelles de ceux qui pourraient croire que Jean-Paul Perreault milite en français et vit en anglais, «ça ne tient pas».

«Tout se passe entre nous en français.

«De toute façon, je n’ai jamais été quelqu’un pour accommoder l’anglais. Le français, ce n’est pas si difficile à apprendre si les enfants de deux et trois ans peuvent le faire.

«La source du problème (au pays), c’est l’unilinguisme à 93 % des anglophones.»
Plusieurs verront ainsi en lui un souverainiste pur et dur, implacable et irréversible, drapé avec fierté dans son fleurdelysé qui flotte bien haut dans sa cour. Mais il ne serait peut-être pas si intraitable qu’il en a l’air.

«Si je savais qu’il existait une maturité de la part des politiciens du fédéral et des provinces anglophones…, soupire-t-il. Aujourd’hui, nous nous retrouvons toujours à neuf provinces et deux territoires (bientôt trois, avec le Nunavut des Inuits) contre un, plus les Premières Nations. Nous n’en sortons pas. Il y a quelque chose dans la structure qui étouffe le Québec.»
Mais bien loin de lui l’idée d’aller défendre des idées dans l’arène politique.

«Soyons francs. Que pourrais-je défendre comme candidat défait ? Compte tenu du contexte en Outaouais, je crois avoir plus d’effet sur le changement au sein d’un groupe de pression que dans un discours partisan.»
Le voilà reparti…


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