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LE PHÉNOMÈNE DE L’ASSIMILATION

5.- Le phénomène
de l’assimilation

5,1.- La banalisation de l’assimilation

Depuis le début de la période référendaire de 1995, nous avons
constaté chez les mandarins du ministère du Patrimoine canadien et du Conseil du trésor
un engouement inquiétant en faveur de la thèse que l’assimilation n’est pas
aussi importante que ne le prétend Statistique Canada, que sa progression est freinée et
que ceux qui se prêtent au discours de l’assimilation sont en quelque sorte des
complices insouciants des soi-disant « séparatistes ». Autrement dit, il leur
est venu à l’esprit que la façon la plus efficace de régler le problème de l’assimilation
et de combler ses responsabilités quasi-constitutionnelles envers les communautés
minoritaires est de tout simplement démontrer que le problème de l’assimilation n’existe
plus. Et vlan ! Si les fonctionnaires du gouvernement fédéral avaient consacré toute l’énergie
qu’ils ont gaspillée à tenter de banaliser le phénomène de l’assimilation à
la prise de mesures vigoureuses pour la contrer et renforcer les communautés et les
familles francophones vivant en milieu minoritaire, la société canadienne s’en
porterait mieux et les payeurs de taxes bénéficieraient d’un meilleur retour sur
leur investissement.

Cette démarche, suspecte au niveau de l’intégrité
intellectuelle, fait son chemin au sein de l’appareil gouvernemental ; on s’en
sert pour justifier la tiédeur de l’engagement du premier ministre et de ses
ministres envers la pleine mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles.
Nous concordons que le critère de la langue d’usage n’est pas très raffiné,
qu’une petite minorité de gens dont la langue d’usage est l’anglais
réussit tant bien que mal à transférer la langue et la culture à ses enfants. En
effet, certaines de ces braves gens sont devenus des leaders efficaces de la francophonie.
Malheureusement, il s’agit là de l’exception qui confirme la règle puisque le
nombre de familles de cette catégorie dont la langue et la culture sont transférées aux
enfants est négligeable en termes statistiques. L’ordre de grandeur du phénomène
de l’assimilation n’en est pas affecté.

Cette tactique, conjuguée à ce que le Chef du gouvernement canadien
qui déclarait récemment à une journaliste du Devoir « l’assimilation, c’est
la réalité de la vie », nous inquiète profondément. Il est grand temps que le
Premier ministre se lève et remette les pendules à l’heure par rapport à ce
cul-de-sac en ordonnant à ces mandarins de corriger leur tir ; ce qui lui permettrait de
confirmer publiquement et sans équivoque son adhésion aux principes sous-jacents à
cette loi quasi-constitutionnelle et son engagement à y fournir les efforts
gouvernementaux qu’elle exige. Notre premier ministre a le devoir de fournir l’impulsion
à l’appareil gouvernemental et à la classe politique canadienne dans son ensemble
en fournissant la vision et la volonté politique sans équivoque qui feront que son
gouvernement et, par effet d’entraînement, les gouvernements provinciaux, changeront
de cap par rapport à leur traitement des communautés francophones. Son fatalisme actuel
devant l’assimilation conjugué à ses jeux de vitrines destinés à prétendre que
tout va bien dans les meilleurs de mondes et que le gouvernement fait ce qu’il peut
fournissent à l’appareil fédéral et aux gouvernements provinciaux tous les
prétextes voulus pour s’esquiver.


5,2.- La dénaturation de l’identité et de la
culture

Le phénomène de l’assimilation est complexe. L’assimilation
est progressive et se fait sentir à plusieurs degrés d’intensité. Elle se fait
sentir au départ au niveau de la dénaturation de l’identité de l’individu, de
son « soi ». Cette dénaturation peut être provoquée par des assauts
systématiques contre la culture de la personne et par le dénigrement de sa
collectivité. Les Amérindiens, par exemple, ont subi ces assauts par le biais du
programme des écoles résidentielles dont le but était de les « blanchir »
en les punissant pour toute manifestation de leur culture, y compris parler leur langue.
La dénaturation peut être moins radicale mais toujours pernicieuse lorsque l’environnement
social de la personne lui rappelle continuellement qu’elle n’est pas comme les
autres, qu’elle est anormale et lorsque les moeurs culturelles de sa collectivité
sont continuellement dévalorisées, sinon carrément ridiculisées. Lorsque la maîtrise
de la langue fléchit, le doute s’installe davantage et la glissade assimilatrice
accélère.

La recherche des dividendes socio-économiques associés à la
normalité pousse souvent l’individu à douter de sa valeur intrinsèque et à tenter
de se valoriser en adhérant au mode de vie et aux moeurs culturelles de la majorité
environnante. En tant que humains, nous cherchons à être inclus, à ne pas figurer parmi
les exclus de la société. Même si l’individu parle toujours relativement bien sa
langue, la dissonance entre son expérience quotidienne de la vie et sa culture sert de
pulsion très forte vers le décrochage culturel et l’abandon de son identité. Dans
les cas où les points de reperd, tels une communauté suffisamment vibrante ou une
infrastructure institutionnelle accessible et fonctionnelle, sont trop faibles, la perte d’amour-propre
se joint au désir de faire partie d’un ensemble qui le valorise. Progressivement,
cet individu adopte les valeurs et les traits culturels de cet environnement qu’il
considère normal et il repousse graduellement sa culture et son identité de souche. On
est souvent à toutes fins pratiques assimilés assez longtemps avant de perdre la
capacité de parler la langue. Les Amérindiens ont une expression pour ce phénomène ;
ils caractérisent leurs compatriotes assimilés au niveau des valeurs de
« pommes », soit rouges à l’extérieur et blancs à l’intérieur.
Pour leur part, les canadiens de souche chinoise caractérisent leurs compatriotes qui
cherchent à trop se confondre dans la majorité de « bananes ». Même si
elles ont une connotation quelque peu péjorative, ces expressions circonscrivent assez
bien le phénomène de l’acculturation progressive.

Dépendant des particularités de leur milieu, y compris la masse
relative de leur communauté et la cohésion sociale de celle-ci, les Francophones et les
Acadiens subissent quotidiennement les pressions de l’assimilation. La force relative
de leurs institutions détermine leur capacité d’y résister et de se forger un
milieu socio-culturel qui leur permette de se sentir normaux et d’affirmer leur
identité avec fierté. L’acculturation et l’assimilation ont donc fait leurs
ravages longtemps avant la perte de la langue ; la seule utilisation de la langue comme
indice du taux d’assimilation ne dit pas toute la vérité.

Le dépeçage de nos communautés qu’occasionne l’assimilation
a un effet pervers exponentiel sur les générations successives. Dans un premier temps,
les enfants et les petits-enfants de la personne assimilée constituent des pertes nettes
à répétition pour les communautés. On coupe des branches, des arbres et des forêts
généalogiques au complet par ce qui nous paraît une politique de désertification
culturelle. Ces dizaines de milliers de descendants d’assimilés ne figurent plus au
palmarès des statistiques de l’état, y compris à ses chiffres d’assimilation.
De plus, des milliers d’entre eux perdent à tout jamais leurs droits
constitutionnels à l’éducation en français et aux services gouvernementaux. La
vaporisation occultée et insidieuse de cette couche de nos communautés constitue un
autre tour de force de notre gouvernement qui se dit si bienveillant.

Sans oublier les pertes nettes culturelles et l’atteinte à la
vitalité des communautés, il y a un coût social considérable à cette réalité, un
coût que le trésor publique doit assumer bien malgré lui. Les gens en manque d’identité,
dont le soi est affaibli et mal circonscrit, sont davantage susceptibles de se retrouver
à la proie de maladies socio-affectives. Les centres d’intervention psychiatrique
sont peuplés en partie de personnes qui n’ont pas réussi à compenser la perte de
leur identité de naissance par la substitution convenable d’une nouvelle identité
culturelle. L’assimilation est donc davantage pernicieuse que ne réussissent à le
saisir nos mandarins enchevêtrés derrières leurs visières réductrices.

Même si nul ne peut douter qu’il y aura encore longtemps en
Saskatchewan ou dans le Sud-Ouest de l’Ontario des individus s’exprimant en
français, la simple existence de quelques âmes dans une région donnée ne constitue pas
pour autant une communauté viable et vibrante normale. S’agit-il de simples mirages
ou existe-t-il toujours suffisamment de racines et de sève pour espérer revivifier de
réelles communautés ? Les gouvernements ont-ils la volonté politique requise pour
assumer leurs responsabilités en investissant dans des plans de revivification dans
toutes ces régions effectivement menacées d’extinction de leurs droits
fondamentaux, et ce, en dépit de ce que garantit le régime constitutionnel canadien ?
Nous verrons.


5,3.- La dette culturelle

Les communautés francophones encaissent annuellement un déficit
socioculturel important dû en grande partie au désintéressement déconcertant des
gouvernements pour leur développement et au dédain que démontrent ces derniers envers
certains préceptes de la constitution du pays. L’espérance de vie des communautés
en est menacée et leur capacité de contribuer à l’ensemble de la société
canadienne en est amenuisée. Ce déficit annuel s’est traduit en dette d’ampleur
gênante pour nos gouvernements et pour la société canadienne. Les Francophones et les
Acadiens en payent quotidiennement les frais. Nous enjoignons le gouvernement Chrétien de
reconnaître cette dette envers les communautés, de réinvestir à un niveau suffisant
pour renverser la vapeur, et de libérer des sommes réparatrices en guise de paiement de
celle-ci.

Les torts sont historiques, certes, mais s’y associent des
dérapages contemporains. Nous n’avons qu’à rappeler que l’Accord sur l’Union
sociale conclu récemment fait fi des droits linguistiques. Les ententes
fédérales-provinciales sur développement du travail en vertu de la Loi sur l’assurance
emploi
conclues avec toutes les provinces, sauf l’Ontario, ont évacué environ
la moitié des droits linguistiques des communautés francophones et acadiennes. Et ce,
sans mentionner les tentatives de vaporisation quasi-entière des services médicaux en
Ontario français.

L’ampleur de cette dette culturelle doit être calculée, sans en
oublier ses effets dévastateurs et les facteurs multiplicateurs. Une équipe de juristes,
d’analystes, d’experts en développement (économique, social, culturel, de la
santé, etc.) et d’actuaires doit être constituée rapidement pour réaliser cette
analyse et ces calculs. Les sujets d’analyse doivent inclure les pertes historiques
et cumulatives occasionnées par l’ensemble de l’action et des omissions
irresponsables, et de l’insuffisance de la programmation du Gouvernement du Canada
qui a contribué à l’érosion des communautés francophones et acadiennes, ainsi que
les pertes historiques du même genre par le gouvernement de chacune des provinces et de
chacun des territoires. Des mesures réparatrices de nature comparable aux pertes devront
être envisagées et rendues, qu’il s’agisse de réinvestissements dans le
développement des communautés ou de reconnaissance des torts causés par les
gouvernements du passé en assumant aujourd’hui la responsabilité d’y
remédier.

14. Nous recommandons l’établissement immédiat d’un Fonds
des réparations historiques
pour restituer et solidifier la vitalité de l’identité
culturelle des communautés francophones et acadiennes, fonds dont l’ampleur sera
déterminée d’après l’analyse des pertes financières cumulatives subies à cause
de l’oppression socio-culturelle, linguistique et scolaire. Le Gouvernement du Canada et
chacun des gouvernements provinciaux et territoriaux devront contribuer à ce fonds et aux
mesures réparatrices qui s’y rattachent selon l’ampleur de ses omissions et des
torts qu’il a causés.


5,4.- Le penchant inopportun d’une minorité de
souverainistes

Il y a un autre phénomène qui fait grincer les dents, celui d’une
petite minorité de souverainistes qui s’acharne à vouloir prouver la mort des
communautés francophones hors Québec. En toute apparence, ces gens sont convaincus que l’accession
du Québec à la souveraineté est liée en quelque sorte à l’assoupissement, sinon
à l’évaporation, des communautés francophones hors Québec. Ces gens se comportent
comme de petits minoritaires dont le rêve est éphémère compte tenu de leur manque de
confiance en soi et de courage politique. De façon paradoxale, ils jouent le jeu de ceux
ailleurs au pays qui souhaitent ensevelir une fois pour toutes les communautés
francophones et acadiennes. Nous leur recommandons une forte dose de fierté et d’amour-propre
et nous leur disons que les Québécois, même souverainistes, ont de quoi s’inspirer
des exploits des Francophones et des Acadiens.

Il s’agit effectivement d’une minorité puisque la plupart
des souverainistes ne perçoivent de dissonance entre la notion de se créer un pays et
celle d’appuyer de façon intègre le développement des communautés francophones
hors Québec. Le Bloc québécois, tout en son honneur, demeure la seule formation
politique au Canada tout entier à avoir articulé une politique intégrée d’appui
au développement et à l’épanouissement des communautés francophones et
acadiennes. Délicieuse ironie, n’est-ce pas, quand on se rappelle que certains
politiciens fédéraux cherchent à nous convaincre que le Québec doit porter l’odieux
de l’affaiblissement de nos communautés.

Le droit d’existence et d’épanouissement des communautés
francophones est intimement lié à la trame de fond constitutionnelle et historique du
Canada. Il n’en revient pas aux gouvernements de décréter leur disparition ; il n’en
revient pas à la majorité anglophone de décréter leur disparition, tout comme il n’en
revient pas à cette petite minorité de souverainistes en mal d’amour-propre. Nous
affirmons ici que seules les communautés détiennent la prérogative d’annoncer leur
propre trépas, tout comme elles ont le droit de proclamer tout haut leur vitalité et de
réclamer leur dû aux gouvernements de tous les niveaux. Nous respectons le droit entier
des Québécois et des Québécoises de décider de leur avenir politique. Nous leur
demandons tout simplement de faire preuve de congruence dans la suite de leurs idées en
ce qui concerne les communautés francophones et acadiennes.


5,5.- Le défi du développement démographique des communautés

Soyons clair : à moins de nuancer beaucoup plus qu’on a l’habitude
de le faire dans ce pays lorsque l’on aborde ces questions (controversées), on ne
peut conclure que les communautés francophones et acadiennes du Canada sont vigoureuses
et se développent lorsqu’on observe une érosion de leurs assises démographiques.


5,5.1.- Les principaux phénomènes démolinguistiques

On emploi souvent l’expression « tendances lourdes »
pour décrire les tendances démolinguistiques pour la simple raison que le changement
démographique se mesure généralement sur des générations et des siècles.

Le nombre des naissances, le nombre des décès, le déplacement des
populations et l’abandon de sa langue ou de sa culture pour celle(s) d’un autre
groupe sont les facteurs dynamiques qui influent sur l’évolution de la vitalité
démographique de ces communautés.

Grâce surtout aux recensements, Statistique Canada nous fournit une
bonne partie des données dont nous avons besoin pour savoir ce qui se passe dans ce
domaine ainsi que certains indicateurs qui nous aident à mesurer le changement et à
dégager les tendances (voir les annexes 7 et 8). Cependant, le portrait dont nous
disposons reste très incomplet et les indicateurs sont incapables de nous donner un
portrait fidèle de la réalité.

Ainsi, plus la population visée est petite, numériquement parlant,
moins les résultats sont justes, notamment parce que l’échantillonnage devient
ainsi un instrument de moins en moins fiable. De plus, avec le temps, certains changements
sociaux liés, par exemple, à la composition linguistique des cellules familiales (le
conjoint de la moitié des francophones qui ont des enfants d’âge scolaire au sein
des communautés est anglophone) ou encore à l’évolution du rôle des familles
modernes dans l’acquisition de la langue et de l’identité culturelle des
communautés diminuent de beaucoup la fiabilité des indicateurs que nous avons mis au
point pour satisfaire les besoins d’une époque aujourd’hui révolue.

Pour mesurer le changement d’un groupe par rapport à un autre, on
a recours à l’évolution de la fécondité différentielle, de la mortalité
différentielle, de la mobilité géographique (immigration et émigration nettes ainsi
que mobilité interprovinciale) et de la mobilité linguistique nette.

La mobilité linguistique ou les transferts linguistiques, soit l’abandon
complet d’une langue pour une autre ainsi que toutes les situations intermédiaires,
constituent un phénomène multidimensionnel très complexe, en particulier quand on y
ajoute la dynamique de l’acculturation, soit l’abandon graduel de sa propre
culture pour celle d’un autre groupe et de ses rapports avec l’évolution
linguistique des personnes et des groupes.

L’indicateur le plus flou dont nous disposons pour comprendre et
mesurer ces phénomènes est sans doute celui qui consiste à comparer le nombre des
personnes qui déclarent que telle langue est celle qu’ils ont apprise en premier et
qu’ils comprennent toujours avec le nombre de ceux pour lesquels cette langue
maternelle est aussi la langue parlée le plus souvent au foyer. Cet indicateur, par
lequel on prétend communément mesurer l’assimilation a aussi l’inconvénient
de semer la confusion et de ne pas faire l’unanimité, y compris parmi les experts.

En dépit de leurs imperfections, ces calculs nous aident néanmoins à
mesurer, avec plus ou moins de précision selon les variables concernées, les gains et
les pertes numériques d’un groupe donné ainsi que leur évolution dans le temps et
dans l’espace géographique, y compris par rapport à un autre groupe. Toutefois, il
faut à tout prix éviter de leur faire dire, aux yeux des autres comme à ses propres
yeux, ce qu’ils ne peuvent révéler.


5,5.2.- Les principales tendances démolinguistiques au sein des
communautés

Pendant plusieurs décennies, les taux de fécondité différentielle
très favorables des communautés francophones et acadiennes ont pu annuler l’effet
négatif des autres variables, assurant ainsi à eux seuls une croissance démographique
avantageuse, en nombre et en pourcentage.

Depuis plus d’un siècle, en raison des taux importants
d’anglicisation (résultant pour une large part de la pratique par les gouvernements
fédéral et provinciaux d’une politique d’anglo-homogénéisation parfois
vigoureuse), l’assimilation linguistique est un premier facteur prépondérant qui
mine la vitalité des communautés minoritaires de langue française.

Le deuxième facteur est le taux de fécondité des francophones
hors-Québec qui, selon les analyses du Professeur Charles Castonguay, est « passé
sous le seuil de remplacement biologique des générations (2,1 enfants par femme) au
milieu des années 1970. Depuis maintenant trois recensements, on y compte environ 1,6
enfants par femme. Cela représente un manque à gagner relativement au seuil biologique
de 2,1 ». Nous avons tous à nous interroger sur les façons de combler ce manque à
gagner afin de contrecarrer l’érosion des communautés.

La migration interprovinciale nette en provenance du Québec est le
seul facteur actuel à avoir une incidence positive sur la vitalité démographique des
communautés francophones et acadiennes. Pendant que le glissement démographique se
poursuit, on observe depuis 1961 dans toutes les régions du pays une augmentation
importante des parlants français chez les non-francophones. Sous l’impulsion de la
reconnaissance officielle grandissante du français et de l’amélioration de son statut
social, cette proportion, faible au début, avait triplé à l’extérieur du Québec avant
1991. L’augmentation de la valeur attribuée au français par les non-francophones a sans
doute aussi contribué à renforcer au sein des communautés francophones et acadiennes la
détermination non seulement de survivre mais de jouïr de leur francité.

De plus en plus, la croissance démographique du Canada est tributaire
des apports d’immigrants d’autres pays, en raison des faibles taux de fécondité, tous
groupes confondus; pourtant on n’a guère tenté d’analyser sérieusement les
répercussions de ce phénomène sur la vitalité démographique des communautés
francophones et acadiennes.

Il est évident que l’immigration est un autre facteur principal de l’érosion
du poids démographique des communautés. Son incidence négative sur les communautés,
soit l’apport démographique différentiel entre anglophones majoritaires et
francophones minoritaires, au moins au cours des 40 dernières années, a été en gros
égale à celle de « l’assimilation » linguistique des francophones.


5,5.3.- Les trois leviers de la vitalité démographique des
communautés

Bref, si on se fie aux indicateurs démolinguistiques en usage au
Canada, qui ont néanmoins le défaut de trancher en blanc ou noir une réalité bien plus
complexe et qui l’est de plus en plus, ces communautés connaissent pour la première
fois une légère baisse entre les recensements de 1991 (976 415) et 1996 (970 207). D’autre
part, leur proportion par rapport à l’ensemble de la population du Canada diminue
lentement et, à moins d’ajuster la politique canadienne des langues officielles et l’aménagement
linguistique tel qu’il se pratique à l’heure actuelle dans deux domaines clés,
cette tendance risque de s’accroître et l’érosion s’accélérer.

Certes, les mesures susceptibles de rehausser la fécondité
différentielle du groupe francophone minoritaire sont strictement hors de la portée de
la politique canadienne des langues officielles.

La bonne nouvelle, toutefois, c’est qu’il est réaliste de
penser qu’elle peut influer de façon importante sur les trois autres facteurs
principaux de la dynamique en cause, soit les transferts linguistiques, l’immigration
et la vitalité économique.

Pour ce faire, il suffirait tout simplement que les gouvernements
fédéral et provinciaux, soit l’état canadien, s’acquittent de leurs
obligations linguistiques, sinon constitutionnelles, et qu’ils concertent leur action
en prenant les moyens dont ils disposent pour réaliser l’objet de deux dispositions
:

1. l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés
concernant les droits à l’instruction dans la langue de la minorité dont nous avons
traité à la section 2,4.1.

2. l’article 16 de la Charte et son prolongement, la Partie
VII de la Loi sur les langues officielles.

La pleine mise en oeuvre de la Partie VII de la Loi, par
laquelle le gouvernement fédéral mettrait à contribution l’ensemble des autres
gouvernements ainsi que celle des éléments les plus dynamiques des secteurs privés et
bénévoles aurait évidemment des répercussions favorables importantes sur l’égalité
de statut et d’usage du français et de l’anglais dans les divers milieux où
évoluent les communautés ainsi que sur leur développement économique, social,
culturel, des ressources humaines, de la santé, etc. Tous ces facteurs exerceraient une
influence favorable importante sur les transferts linguistiques et ne feraient que
renforcer l’impact de la réalisation du but de l’article 23 de la Charte,
amenuisant par le fait même l’érosion démographique des communautés.

Nous nous référons ici toutefois à l’action du gouvernement
fédéral par rapport au levier de l’immigration dont il est le maître d’oeuvre.

Il est grand temps de remédier aux défauts de la politique canadienne
d’immigration actuelle dont les racines remontent à la politique d’immigration
mise en place par le ministre Clifford Sifton au tournant du siècle qui visait, entre
autres, à prévenir toute possibilité de l’émergence d’une forte présence
francophone à l’Ouest de l’Ontario (voir la section 2,1). à l’aube du 3e
millénaire, il nous parait raisonnable que ce vestige de la politique d’anglo-homogénéisation
soit effacé.

Les communautés majoritaires de langue officielle, en complément avec
les programmes des gouvernements provinciaux qui servent presque exclusivement leur
intérêt et sont évidemment sous le contrôle de la majorité, ont généralement mis
sur pied des services d’accueil dans les grandes villes afin d’aider les familles qui
arrivent d’autres pays (et parfois d’autres provinces) à s’adapter à leur nouveau milieu
et à se sentir chez elles le plus rapidement possible.

Les communautés francophones et acadiennes commencent à peine à agir
efficacement dans ce domaine, notamment à Winnipeg, en dépit des obstacles culturels
traditionnels et du handicap majeur découlant du fait qu’elles ne sont
généralement pas assez nombreuses.

De plus, elles n’ont ni la densité démographique, ni les leviers
étatiques ni les ressources communautaires qu’il leur faudrait pour constituer des
structures équivalentes à celles des majorités.

15. Nous recommandons que dans ses efforts pour donner aux
communautés francophones et acadiennes des possibilités équitables de se rétablir
démographiquement, conformément à ses obligations statutaires en vertu de la Partie
VII, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration assure le leadership de la
révision de la politique canadienne d’immigration et de son application à l’étranger
par le ministère des Affaires étrangères et du commerce international. Par rapport à l’application
de la politique d’immigration au pays, le ministre doit, entre autres, améliorer ses
mécanismes d’accueil et d’aide à l’intégration, notamment en établissant des
partenariats à plusieurs niveaux avec les gouvernements provinciaux (et municipaux) et
avec les réseaux associatifs et institutionnels des communautés.

Le troisième facteur pouvant influer positivement sur l’axe
démographique est la vitalité économique et sa capacité de générer des emplois de
qualité et des entreprises ou coopératives rentables, en plus d’attirer des
investissements de taille. Tout comme le dépeuplement des régions francophones rurales
fut un facteur clé de la restructuration de l’économie domestique et mondiale et a
largement contribué à l’érosion des communautés francophones et acadiennes, la
revivication économique de celles-ci fondée sur les économies du savoir et de l’information
constitue sans doute la voie la plus efficace de renverser la tendance lourde
démographique actuelle. Le pouvoir d’attraction démographique d’économies en
pleine effervescence a fait ses preuves.

Des économies communautaires plus fortes auraient des impacts à
plusieurs niveaux. Premièrement en redonnant espoir aux groupes moins nantis de nos
communautés en leur fournissant les moyens de leur appartenance culturelle, y compris
leur réintégration au giron du régime culturel communautaire, diminuant ainsi la vive
assimilation qui sévit dans leurs rangs. En facilitant le rapatriement d’une partie
des expatriés économiques et leur réintégration au sein des communautés. En stimulant
l’intérêt d’immigrants économiques francophones potentiels. En facilitant des
investissements communautaires dans les infrastructures culturelles et sociales des
communautés, contribuant ainsi à renforcer leur viabilité et, par effet d’entraînement,
à ralentir l’érosion. En facilitant les exportations permettant ainsi de rapatrier
des rentes importantes pour les réinvestir dans les entreprises des communautés.

L’amélioration de la vitalité démographique des communautés
minoritaires de langue officielle est l’un des défis clés du développement et de
l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires francophones et anglophones
du Canada envers lequel le Gouvernement du Canada s’est engagé dans l’article 41 de la Loi.


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