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LE DESTIN DES IMMIGRÉS

« LE DESTIN DES IMMIGRANTS »

Dans «Le Destin des immigrés» paru aux éditions du Seuil en
1994, Emmanuel Todd, analyse le rapport établi par quelques sociétés occidentales avec
les immigrants établis sur leur territoire. Plutôt qu’une synthèse de ce livre
très documenté, je préfère vous présenter quelques réflexions qui pourraient nous
être utiles pour planifier nos stratégies d’intégration des immigrants.

Une des thèses centrales de cet ouvrage est que le modèle de
relations familiales, et tout spécialement le mode de transmission de l’héritage,
façonne la perception des autres hommes. Les familles dont chaque enfant reçoit la même
part d’héritage préparent à une vision universaliste de l’homme basée sur
une équivalence fondamentale, alors que dans les sociétés où les règles de succession
privilégient l’un ou l’autre enfant, les individus considèrent les
différences comme essentielles et sont hostiles aux idées d’équivalence des
individus et de fusion des peuples.

«En système égalitaire règne la certitude métaphysique a priori
de l’équivalence des hommes, hypothèse indépassable d’une essence commune et
universelle. Chacun est semblable à tous, présupposé qui peut finalement engendrer une
inquiétude symétrique, quoique moins intense, de celle qui hante les pays
différentialistes. En système non-égalitaire, chacun a peur d’être isolé parce
que différent de tous; en système égalitaire, chacun craint d’être inexistant
parce que dissous dans une masse indifférenciée. […]la certitude a priori d’une
essence commune permet l’acceptation de mille différences perçues comme
secondaires..»(Todd, 1994, 248)

On a tendance à confondre démocratie et universalisme. Or dans
plusieurs démocraties, un égalitarisme interne repose sur l’exclusion et
exploitation d’un autre groupe: ce fût le cas à Athènes où les esclaves
n’avaient pas la citoyenneté, c’est le cas des états-Unis où «La différence
noire avait permis d’oublier les différences entre classes sociales, elle autorise
par la suite l’effacement des différences familiales, et religieuses portées par
les immigrés blancs. Bref, la ségrégation des Noirs permet l’assimilation des
Blancs.»(Todd, 1994,89)

Les sociétés principalement étudiées sont les états-Unis,
l’Angleterre, l’Allemagne et la France à laquelle l’auteur est
particulièrement attaché. De nombreuses autres sociétés sont brièvement analysée et
nous y trouvons notamment ces lignes qui nous concernent directement:
«En Flandre, au pays basque espagnol, au Québec, en Irlande du Nord, le reflux de la
pratique religieuse conduit à l’émergence de nationalismes ethnocentriques
intenses, souvent violents, croyant en l’existence de peuples lignages ancrés dans
le passé. Ces types idéologiques sont, comme la notion allemande de Volk, déterminés
par des conceptions généalogiques et inégalitaires de la famille souche. Portés par
des peuples dominés et menacés dans leur existence, ces différentialismes n’ont
cependant pas les moyens matériels et démographiques d’aboutir à la conception
allemande d’un droit de sang très restrictif. Pour durer, pour survivre, les Basques
sont prêts à assimiler tous les immigrés espagnols venus du sud s’ils acceptent de
s’identifier à la basquitude. Les Québécois restent quant à eux influencés par
l’universalisme français et sont plus soucieux de protéger leur langue que la
pureté du sang. Ils se révèlent donc assez disposés à assimiler les francophones de
toutes origines, Normands, Haïtiens ou Juifs d’Afrique du Nord».(Todd, 1994,
455)

La différence fait peur et il est nécessaire d’avoir un cadre
qui rassure les milieux populaires. L’expression «milieux populaires» s’oppose
ici à hauts fonctionnaires, élites politiques, journalistiques ou intellectuelles. Cette
distinction permet d’insister sur la distance entre les discours et la multitude de
comportements des gens qui accueillent ou qui rejettent le nouvel arrivant. Lorsque les
politiciens ne prennent pas en considération ce qui se vit dans la réalité quotidienne,
il y a risque d’émergence de mouvements de refus de l’immigration, comme on le
voit avec le Front National en France. Faute de sécuriser la population en affirmant ses
idéaux, les politiciens finissent par se soumettre à ses peurs.

«Chaque homme aspire avant tout à être reconnu comme homme par
les hommes qui l’entourent»(Todd, 1994, 319). L’immigrant cherche à
s’intégrer et, en général, il sait que la connaissance de la langue du pays ou il
s’établit est nécessaire et qu’il doit respecter les lois et coutumes de ce
pays. évidemment il faut que la langue officielle apparaisse aux yeux de l’immigrant
comme l’outil privilégié d’intégration, car sa préoccupation initiale est de
maîtriser la langue d’accès au travail, aux services et à la vie commune. Nous en
retiendrons que le caractère français du Québec doit s’imposer dans les faits
comme un élément d’intégration. L’ambiguïté du statut de la langue – sans
parler des vexations dont sont l’objet ceux qui la parlent – est un élément qui
joue en faveur de la langue perçue comme gagnant du terrain. Avant de choisir à qui
s’allier, celui qui arrive pour recommencer sa vie cherche à savoir qui décidera
demain.

L’attitude de la société d’accueil détermine
l’assimilation ou la ségrégation des immigrants. Les sociétés intolérantes à la
différence ethnique n’acceptent pas l’intégration de leurs immigrants et les
forcent à vivre en groupes séparés. La réponse de certains groupe est la formation
d’une carapace protectrice. Ils survalorisent tout ce qui les distingue et ce qui
resserre leurs liens. Parfois l’intolérance religieuse leur apparaît comme une
réponse à l’insulte du rejet. D’autres fois ces groupes perdent toute culture
propre: celle-ci ne leur offre plus aucun modèle de réussite sociale, et l’accès
à celle de la société d’établissement leur est refusée au nom de leur
différence. «L’identité noire qui se constitue [en Angleterre] n’a pas une
logique propre, comme les identités sikh ou pakistanaise, mais se définit entièrement
par la négation de certains aspects de la culture anglaise dominante, à laquelle les
Antillais appartiennent mais dont ils sont rejetés. La marihuana, l’alcool, le
non-respect de la loi en général, fournissent aux jeunes chômeurs d’origine
antillaise les éléments centraux d’une contre-culture – mieux: d’une
anticulture.» (Todd, 1994, 157) … «En réalité la souffrance et le comportement
suicidaire des populations noires ne font qu’administrer la preuve ultime de leur
non-différence, de leur banale humanité. Un groupe progressant culturellement mais
acceptant sans anxiété l’éternité de son enfermement aurait été, lui, très
étrange, non humain.»(Todd, 1994, 110)

Les sociétés qui fonctionnent en utilisant une communauté comme
bouc émissaire peuvent aller jusqu’à acculturer un groupe pour le faire
correspondre à l’image négative qui répond à leur besoin de diabolisation de
l’autre. La marginalisation de ces groupes ethniques alimente des tensions sociales
d’autant plus insolubles que l’élimination du groupe cible reporterait sur
d’autres la haine de la différence.

C’est en proposant aux groupes minoritaires de devenir des
hommes libres et égaux qu’une société développe un potentiel de séduction.
L’«idéal révolutionnaire atteint par cette proposition le coeur de l’homme:
elle éteint l’angoisse de la différence et de la solitude»(Todd, 1994, 319)

La société hôte fait progresser les choses en affirmant
clairement qu’elle attend des immigrants qu’ils s’intègrent dans la
société. Cette affirmation est possible dans une société dont les citoyens sont fiers
de leurs acquis et confiants dans leur capacité d’accueillir les nouveaux arrivants.
En leur assurant que leurs enfants seront des citoyens à part entière, les citoyens
rassurent les nouveaux arrivants, même si cet engagement cause un choc à ceux qui
craignent de perdre leur culture. Personne ne compte créer un groupe qui restera à
l’écart, génération après génération. L’apparence tolérante des discours
qui cachent les règles du jeu reportent les problèmes à des moments de crise auxquels
personne ne s’est préparé. Le droit à la différence désoriente la deuxième
génération. «En retardant l’adhésion aux valeurs de la société française
d’adolescents coupés de leurs valeurs d’origine, elle a été un facteur
d’anomie.»(Todd, 1994, 457-459) Il est vrai que le temps est nécessaire pour se
connaître et s’apprivoiser. Mais il faut que ce temps soit vécu, que les contacts
soient possibles, que pas à pas la rencontre se produise.

La culture immigrée maintient sa ségrégation tant qu’elle
est «protégée» par le rejet de la population majoritaire. Quand les individus de la
société d’accueil établissent des ponts avec les individus de la société
enclavée, les barrières se diluent et les résistances se désintègrent. Ces
interrelations s’établissent naturellement dans les sociétés où la différence
entre les individus apparaît moins importante que leurs ressemblances.

Une société pluraliste, ayant un fond commun, tire de sa
diversité le respect de chacun. Les sociétés intolérantes à la différence ont
toujours un groupe qui sert de cible à leur hétérophobie.

Outre une réflexion sur l’immigration, ce livre de 470 pages
nous propose une analyse décapante du «multiculturalisme» des états-Unis et une
réflexion sur les rapports entre majorité et minorité, assimilation et ségrégation.
Il ne suffit cependant pas de se distinguer des erreurs des autres pour réussir, et
l’on regrettera que l’auteur insiste peu sur les apports de l’immigration
aux sociétés qui y recourent, ainsi que sur le vécu identitaire de ceux qui
s’assimilent.

Les pays occidentaux ne peuvent plus se passer de l’immigration
et la progression de l’écart économique entre le monde industrialisé et le
tiers-monde stimule l’exode des habitants de ces derniers. Mais, comment gérer ces
brassages de complémentarités pour qu’ils ne se limitent pas à des mouvements
démographiques, acceptés pour des calculs politiques et économiques?

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Georges Galand

Centre de communication transculturelle
Bureau d’étude et de gestion-conseil de la diversité culturelle

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