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LA GANGRÈNE

LA GANGRèNE

Un mal qui consacre l’erreur, la gangrène, puisqu’il faut l’appeler par son nom,
faisait à tous nos mots la guerre.

Chacun de nos lecteurs le constate jour après jour : le mal dont souffre la langue
française, loin de s’atténuer, s’aggrave inexorablement. Sous l’insidieuse impulsion des
modes fantaisistes, le langage s’altère, s’appauvrit, se détériore, s’anéantit. La
forme négative, par exemple, n’existe plus :

" Le Loto, c’est pas cher. "

" Aujourd’hui, il fait pas chaud. "

" Le cinq du mois, j’ai plus d’argent. " (Mais on signifie le contraire en
prononçant : pluss.)

Il a été récemment relevé un nombre effrayant d’analphabètes ; mais il existe
aussi une forte proportion de gens qui ne savent pas lire. Certes, ils parviennent à
déchiffrer un texte avec plus ou moins de bonheur, mais sans vraiment en comprendre le
sens.

Les examinateurs au baccalauréat ne me démentiront pas : le vocabulaire des candidats
est devenu d’une pauvreté attristante.La richesse d’expression a disparu ; la pensée
(s’il y en a une) reste élémentaire, sans nuance, sans variété, et souvent aussi
débraillée que l’aspect vestimentaire de l’auteur.C’est navrant. Les mots manquent parce
que l’on ne lit pas, ou bien, plus grave encore, parce que l’on ne veut pas lire. Et trois
heures par jour passées devant un téléviseur n’arrangent rien.

Alors, on utilise les termes passe-partout, dans tous les sens et surtout à contresens
:

" La musique de Mozart est formidable. "

" Hier, au stade, il y avait de l’ambiance. "

" Il est conseil fiscal. " (On lui demande sans doute de donner des
conseillers ?)

La différence est devenue le différentiel.

La technique ne se dit plus que technologie.

" Pendant mes vacances, j’ai fait le Mexique, en compagnie de mon fils qui veut
faire médecine, et de sa petite amie qui veut faire un enfant… "

Mais il y a pis que cela. On raccourcit à tour de bras : " la recherche d’un
appart’ " ; " le malaise des ados " ; " les accros de la cigarette
" ; " cet artisan est très pro "…

On veut faire court, et l’on nage en pleine incohérence lorsque l’on entend :

" Je me pose la question de savoir… ", au lieu de dire : " Je me
demande. "

Et encore : " A partir du moment ", au lieu de " dès lors ".

Ne parlons pas de l’usage immodéré des initiales :

" Je suis C.P.E., et avec mes collègues M.A. je réclame la
titularisation. "

" Je suis allé à l’hôpital à la suite d’une P.C. "

Il n’y a plus une seule corporation qui ne revendique un tel charabia.

évoquons pour mémoire l’invasion permanente et grandissante d’une terminologie
anglo-saxonne contre laquelle il est vain de lutter :

" Vous pouvez acheter cet article, madame : c’est le top ! "

Je crains plutôt que l’on n’atteigne le sommet de la sottise, et le découragement
nous prend.On ne veut pas plus de contraintes grammaticales que d’autre nature. La
mondialisation économique nous imposera peut-être un euro-langage, à l’instar d’une
euro-monnaie ? Craignons que ce ne soit qu’un horrible galimatias, fait de mots et de
termes meurtris, d’expressions traînées dans la fange, qu’il serait vain d’appeler de
nos vœux !

Contre la gangrène, les lois ne sont pas un remède. Qui sauvera la langue française,
sinon les Français ? Encore faudrait-il qu’ils en prennent conscience, et ne succombent
pas sans cesse à des modes qui les amusent. Ce qui amuse n’amuse qu’un temps !

Jacques BOUCHET
Bulletin no 19 d’avril de l’Asselaf


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