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LA FRAGILITÉ DES MINORITÉS LINGUISTIQUES

éditorial, Franc-Contact,
avril 1997

La fragilité des
minorités linguistiques

par Roméo Paquette

On assiste depuis quelques
années à un phénomène accéléré de nivellement des
cultures. Le processus n’est pas neuf en soi, mais, dans la
foulée du triomphe des états-Unis contre leur seul rival dans
la course à la suprématie mondiale, l’URSS, c’est la
langue et la culture étatsuniennes qui établissent les règles
du jeu, particulièrement à l’âge des autoroutes
électroniques. Le Canada, si l’on excepte quelques zones
d’intérêt particulier ayant surtout trait au commerce,
s’appuie sur son voisin du sud pour assurer à la langue
anglaise une hégémonie dans tous les domaines.

Ici et là, des poches de
résistance s’expriment. Entre autres : le Québec, qui
veut donner au français une valeur de langue nationale, malgré
toutes les stratégies anglophones d’arrière-garde pour
reprendre le terrain perdu. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick
qui, après avoir atteint un niveau d’épanouissement
communautaire admirable et prometteur d’avenir, doivent se
défendre contre le morcellement appréhendé par le biais des
circonscriptions électorales et le peu d’intérêt que
manifestent leurs congénères anglophones pour respecter le
statut d’égalité garanti par la Loi 88. Les hispanophones
des états-Unis, qui devront à plus ou moins court terme faire
face à des lois ressemblant à celles qui ont été promulguées
par le Manitoba à la fin du siècle dernier pour empêcher le
développement d’une francophonie canadienne hors-Québec.
Les Franco-Ontarois qui, après avoir gagné d’arrache-pied
une certaine reconnaissance politique, se voient maintenant
menacés de dispersion par le fusionnement de leurs institutions
communautaires à des structures publiques sur lesquelles ils
n’ont aucun contrôle; l’Hôpital Monfort n’étant
qu’un cas type.

Après avoir connu phases de
l’aliénation qui frappe les minorités francophones, aux
états-Unis et au Canada en particulier, j’en perçois une
troisième qui sera encore plus difficile à contrer que les deux
premières. Celles-ci méritent un bref rappel pour clarifier mon
propos.

Phase 1 : 1867
à 1950

La première comprend,
d’une part, les efforts qui ont marqué l’histoire,
particulièrement après 1867, pour établir des communautés et
des institutions francophones viables à l’ouest du Québec,
et qui ont connu leur apogée vers les années 1950, pour ensuite
décliner après l’arrivée de la télévision et de tous
les autres phénomènes d’urbanisation globale qui ont fait
éclater les communautés homogènes encore trop faibles pour
résister ; et, d’autre part, l’opposition
systématique des « héritiers de Lord Durham », de
l’Ontario à la Colombie-Britannique, contre toute
revendication de droits politiques ou sociaux qui auraient permis
l’épanouissement d’une langue ou d’une culture
françaises ailleurs qu’au Québec, au Canada. Les Acadiens
des provinces de l’Atlantique ont subi le même traitement.
Au cours de cette première phase du processus
d’aliénation, les Canadiens français et les Acadiens
vivant à l’extérieur du Québec se sont repliés sur les
paroisses et les diocèses identifiés à leur survie pour
organiser leur vie collective, fonder des écoles et autres
institutions d’enseignement, des coopératives et même des
stations de radio, grâce à l’établissement de rapports
associatifs, dont ceux qui ont été entretenus avec le Québec
grâce au Conseil de la vie française en Amérique, appuyé par
la Fraternité française d’Amérique, regroupant les divers
mouvements patriotiques, et comptant même sur la générosité
des paroisses et des écoles du Québec.

Cette solidarité entre
francophones d’Amérique, a rendu possible
l’édification d’un actif institutionnel remarquable et
un niveau d’autonomie communautaire qui n’a cessé de
décliner depuis une trentaine d’années. Tout cela, malgré
le fait qu’avant la fin des années 1960, aucune de ces
communautés francophones ne jouissait d’une reconnaissance
politique quelconque, ni au fédéral ni au provincial.
Malheureusement, comme on en fait allusion plus haut,
l’invasion des foyers par une télévision
d’inspiration purement anglo-américaine durant près de
deux décennies, la mise en branle de la société de
consommation, la contestation à sens unique des valeurs
traditionnelles, l’absence de tout sens critique, enfin, un
environnement révolutionnaire dont on subissait les effets sans
y contribuer, commencèrent, au cours des années 1950, à
ébranler un patrimoine construit durant près d’un siècle.
C’est à partir de ce moment que de nombreuses paroisses et
institutions, à l’ouest des Grands-Lacs et en
Nouvelle-Angleterre, ont été graduellement cédées à la
société dominante et anglicisées. Les parents, incapables de
lutter contre la pénétration des foyers par un instrument aussi
envahissant que la télévision, d’expression anglaise
seulement, ont cessé d’être la courroie de transmission de
la culture et de la langue dont ils détenaient l’héritage.

Au Québec, durant la même
période, la révolution des idées étant véhiculée en
français, on assistait à la prise de conscience qui a
déclenché la révolution tranquille et la détermination de
résister au rouleau compresseur déjà en voie de noyer deux
siècles d’évolution culturelle.

Phase 2 : 1960
à 1990

La deuxième phase a été
celle de l’éclatement des communautés, dans leur ensemble,
ce qui s’est révélé encore plus dramatique pour les
communautés canadiennes-françaises minoritaires ; de la
désintégration accélérée des institutions que celles-ci
s’étaient données ; de la prise en charge par les
gouvernements des activités qui relevaient auparavant
d’initiatives locales. En cédant tous les services à des
organismes d’état, on a en même temps créé un monstre
bureaucratique, sans âme, qui tend à se perpétuer, à se
consolider et à décourager, en même temps, les dynamismes
nécessaires à la vie des communautés. C’est donc la
société dans son ensemble qui a perdu son âme et dont la
vulnérabilité s’accentue dans la mesure où elle
s’atomise. L’exemple de l’éclatement de la
famille est probant. Le sens des responsabilités, même de
l’engagement personnel, sont difficiles à réconcilier avec
la perte du sens social.

Que dire alors d’une
notion telle que la préservation d’une langue, d’une
culture, quand elles ne sont pas compatibles avec les communs
dénominateurs auxquels les milieux sont soumis ? Les
particularités ont vite fait de disparaître si elles ne sont
pas identifiées à des modes et à des clichés entretenus par
la loi de l’offre et de la demande.

C’est ainsi qu’au
cours des années 1970 et 1980, on a vu tomber les adhésions aux
sociétés patriotiques et aux associations vouées à la
promotion de la vie communautaire francophone en milieux
minoritaires. On aura vu naître l’implication de
l’état fédéral et le financement d’un réseau de
secrétariats couvrant toutes les provinces et les deux
Territoires hors-Québec, dont la mission consiste à se
substituer au sens communautaire de la base pour offrir aux
individus et aux familles des services qui justifient
l’intervention de l’état..

Si cette situation est
dangereuse, en ce qui concerne les minorités francophones, elle
l’est tout autant pour les Québécois francophones.
L’éclatement des familles, la désertion des paroisses, la
dénatalité, en plus du phénomène du suicide chez les jeunes,
de la mono-parentalité, de l’indiscipline et du manque
d’orientation des générations montantes, sont autant de
phénomènes qui minent le dynamisme du progrès social et
culturel. Si l’on ajoute à cette vulnérabilité celle de
la faible masse critique francophone par rapport à la puissance
écrasante du bloc anglo-américain, lequel s’enrichit
constamment par l’intégration de tous les éléments
migratoires, il y a des raisons de s’inquiéter pour
l’avenir.

Phase 3 : 1990
à 2000 +.

Depuis l’échec de
l’Accord du lac Meech, une nouvelle donne n’a de cesse
à se préciser. La division, qui a toujours été latente, entre
le Québec français et le Canada anglais dans son ensemble ne
fait que s’accentuer. Il s’est même creusé un fossé
qu’il faudrait combler le plus tôt possible entre les
Canadiens français et les Acadiens des autres provinces. Les
provinces, dans leur ensemble, reçoivent des messages
contradictoires quant aux solutions qui pourraient aboutir à une
constitution conforme aux aspirations des deux principales
cultures du Canada.

Durant ce temps, depuis le
référendum de 1995 surtout, on constate que le ton a monté et
que même les anglophones du Québec, pourtant peu menacés dans
leurs droits, profitent de la paranoïa du Canada anglais pour se
prétendre victimes d’injustices et tenter de banaliser le
sort fait aux francophones hors-Québec pour propager une
caricature des vraies intentions du Québec.

Par ailleurs, nous assistons
à un retour du balancier sur la scène politique. Le mouvement
de rationalisation des dépenses et la lutte aux déficits
budgétaires a contribué à mettre en place des gouvernements
dits de droite qui sont en voie de compléter l’intégration
des institutions francophones dans les structures publiques.

Conclusion

Comment tirer une conclusion
pour l’avenir de la francophonie, aussi bien aux états-Unis
qu’au Canada ? Y a-t-il une leçon à tirer des
manifestations de solidarité des Franco-Ontarois devant la
menace de disparition du seul hôpital francophone en
Ontario ? Peut-on y voir le début d’une prise de
conscience collective qui m’apparaissait en sérieuse
défaillance depuis quelques années ? En tout cas,
c’est dans la solidarité et la prise de conscience de leurs
valeurs et de leur patrimoine que les minorités francophones,
partout où elles connaissent une certaine homogénéité,
pourront redécouvrir les stratégies qui ont animé leurs
prédécesseurs.

Roméo Paquette

rpaquet@multi-medias.ca


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