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JEUX OLYMPIQUES DE SYDNEY ET SALT LAKE CITY

JEUX OLYMPIQUES DE SYDNEY ET SALT LAKE CITY

Institut de France
Académie des sciences
Morales et politiques

75015-Paris,
75, avenue de Breteuil
01 45 66 04 82

le 1er janvier 1999

Monsieur le Directeur,

Avec beaucoup de retard et grâce à la vigilance de Québécois qui
m’ont alerté, j’ai récemment pris connaissance de l’article dans lequel
M. Philip Derriman s’indigne de voir le Comité d’organisation des jeux
olympiques de Sydney préparer des informations en français.

Pour expliquer ce qu’il appelle un « anachronisme »,
l’auteur met en cause l’homme grâce à qui notre époque connaît
l’olympisme.

En ma qualité de président du Cercle Pierre-de-Coubertin, qui
défend l’œuvre et la mémoire du personnage que vous citez, j’exerce le
droit de réponse que m’ouvre cette attaque ; mon désir est de mieux éclairer
vos lecteurs.

Votre rédacteur écrit d’abord que le français n’occupe
plus en Australie la place qu’il avait autrefois. C’est fâcheux pour lui mais
encore plus regrettable pour les Australiens qui se coupent ainsi d’une des grandes
cultures du monde. Pour expliquer cette décadence, l’auteur déclare que le
français n’est plus « une langue adaptée ». Il serait bien en peine de
justifier cette formule aventurée.

Mais l’essentiel est ailleurs. Il cherche une explication dans le
fait que Coubertin a « fondé les JO modernes » à une époque où le
français « se voulait la langue des échanges diplomatiques » et que
« par conséquent, cet idiome se trouve gravé dans les JO comme dans le
marbre ». Et il ajoute que, depuis, le français a perdu son importance mais a
réussi à conserver sa place d’honneur aux Jeux.

à l’époque, le français, non pas « se voulait »,
mais, effectivement, était, depuis de nombreuses générations (le traité de
Rastadt, 1714), la langue diplomatique. Ce n’est qu’en 1919, au Traité de
Versailles, qui mit fin à la première guerre mondiale (et prépara maladroitement
les conditions de la seconde), qu’on lui adjoignit l’anglais en remerciement de
la participation de certains anglophones (dont, je n’oublie pas, des Australiens) à
notre victoire sur l’Allemagne.

Mais, en 1894, la déclaration des Rénovateurs d’adopter le
français comme première langue officielle avait une autre raison. Certes, les
personnages éminents que Coubertin avait réunis autour de lui pour réaliser son idée
de ressusciter l’Olympisme, Grecs, Anglais, Allemands, Autrichiens, Russes etc., tous
gens cultivés, parlaient naturellement français – souvent déjà même chez eux,
toujours quand ils étaient à Paris, et plus encore quand ils se trouvaient là où se
tenaient leurs débats, à l’illustre Sorbonne, la prestigieuse université fondée
en 1257 (cinq siècles avant que l’on découvre l’Australie) — ; il leur
parut tout naturel que la langue du CIO soit celle dans laquelle ils avaient décidé de
créer cet organisme. Coubertin avait une vision planétaire des choses et pensait
beaucoup aux autres ; c’est ainsi qu’il refusa que les premiers Jeux, ceux
de 1896, aient lieu à Paris, comme tous le voulaient, et, par souvenir de
l’antiquité, exigea qu’ils se tinssent à Athènes ; dans le même esprit,
il fit ajouter l’anglais qui devint donc, aussi,, langue officielle, toutefois au
second rang
car, pour éviter des discussions, on précisa que, en cas de
contestation, c’est le français qui ferait autorité.

Première langue officielle du CIO, le français est aussi, est
d’abord, la langue des jeux. C’est pourquoi le règlement prévoit que, si on
craint que sur le stade tout le monde ne comprenne pas bien le français, il sera permis
de traduire les informations… Traduire en quoi ? Dans la deuxième langue,
l’anglais ? Pas du tout ! dans la langue du pays organisateur
puisqu’il s’agit de rendre service sur place. Assurément à Sydney, la langue
locale est l’anglais et c’est légitimement qu’on prévoit de répéter en
anglais ce qui, réglementairement, doit être dit en français. C’est vrai en
Australie, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans quelques autres pays, mais point
ailleurs.

C’est par une dérive, à laquelle les Francophones n’ont pas
à temps pris garde, que sous la pression des Anglophones, voulant faire croire que leur
langue est celle de l’univers, l’habitude vicieuse s’est prise
d’ajouter l’anglais au français où que se passent les JO. Cette erreur,
s’aggravant, aboutit, en février 1984, au scandale de Sarajevo, ville yougoslave où
les Jeux d’hiver se passèrent entièrement en anglais. De cette époque date le
réveil des Francophones. Leur action remit les choses en ordre des le mois d’août
suivant (1984) à Los Angeles, où les Jeux d’été se passèrent, comme il convient,
en français, traduit ensuite par commodité sur place, dans la langue locale,
l’anglais.

Vous voyez, Monsieur le Directeur, que le problème n’est pas du
tout celui qu’imaginait votre rédacteur. La question n’est pas de savoir si le
français est la première langue du CIO et la langue des Jeux, c’est pour rendre
hommage au pays qui a ressuscité l’olympisme en 1984. Un hommage parallèle mais
différent est rendu au pays qui a créé l’olympisme dans l’Antiquité :
les athlètes hellènes défilent en tête, l’hymne grec est joué, le drapeau grec
flotte.

Personne, fort heureusement, ne discute cette marque de légitime
reconnaissance. Son heureux effet est d’obliger les journalistes, notamment de
télévision, d’expliquer ce qui pourrait sembler des anomalies : puisque les
athlètes se présentent dans l’ordre alphabétique du nom de leur pays, pourquoi un
pays dont l’initiale est G passe-t-il avant ceux de la lettre A ? Pourquoi cet
hymne, ce drapeau ? Grâce à cela, à chaque olympiade, des millions de gens dans le
monde, qui n’ont aucune culture classique, apprennent que l’olympisme n’est
pas une invention américaine du xxe siècle comme ils le pensent spontanément
mais a été fondé en 776 avant Jésus-Christ par un peuple qui avait créé une
civilisation raffinée dans un petit et remarquable pays méditerranéen. De même le fait
qu’on doive expliquer pourquoi sur le stade inscriptions, annonces, discours sont
d’abord en français révèle au monde que l’olympisme, supprimé en 394 par
l’empereur romain Théodose 1er, fut, en 1501 ans après, ressuscité par
un Français, en France et en français, Pierre de Coubertin.

Cet hommage à la Grèce, il serait scandaleux de le supprimer et même
de le contester sous prétexte, par exemple, qu’Athènes n’est plus, comme sous
Périclès, le centre du monde. C’est une faute semblable que commettent ceux qui,
comme l’a fait votre journal, voudraient supprimer le français. Scandaleux aussi
serait, sous prétexte que les athlètes grecs actuels ne sont guère vainqueurs, de faire
défiler en tête avec eux l’équipe nationale la plus médaillée. C’est ce qui
se fait quand la langue locale, fut-ce la seconde langue officielle, passe en tête sous
prétexte qu’elle est très répandue.

Vous voyez, Monsieur le Directeur, combien la réalité est loin de ce
que vous supposiez.

Reste l’ultime réflexion de votre rédacteur : la présence
du français cause des dépenses supplémentaires. Il écrivait cela en novembre dernier.
Je pense qu’il n’aurait pas osé le faire en décembre : entre temps, on a
découvert le scandale financier des Comités organisateurs des Jeux qui ont versé
d’énormes pots-de-vin aux autorités olympiques pour que leur ville soit
choisie ; à côté des centaines de voitures offertes par celui-ci, des millions
distribués par celui-là, les quelques messages et inscriptions à faire ne français
sont une dépense dérisoire.

D’ailleurs, rassurez-vous ! Avec une générosité que bien
des Français jugent excessive, nos autorités prennent en charge une partie des frais
provoqués par la présence de la langue olympique. Votre ingratitude fait regretter que
notre gouvernement n’ait pas plutôt, appuyé par les 45 pays formant la
Francophonie, c’est-à-dire une grande partie des membres du CIO, rappelé avec la
fermeté nécessaire la règle aux autorités olympiques. Cela aurait fait trembler le
Comité International, colosse au pied d’argile, et nul ne se permettrait de parler
comme votre journal l’a fait.

Les comités organisateurs, non plus, ne se permettraient pas de tout
préparer, comme en témoignent leurs sites internet, seulement dans leur propre langue et
non en français. C’est la très grave faute que commettent actuellement les
organisateurs de Sydney et, à leur imitation, ceux de Salt Lake City (Jeux de 2002). En
revanche on constate que le site officiel des Jeux de 2004 à Athènes est
quadrilingue : dans l’ordre, tout est en français, langues des JO, en grec,
langue du pays organisateur et, pour aider ceux qui ignorent ces langues réglementaires,
dans deux autres idiomes l’espagnol et, enfin, l’anglais.

Je m’arrête pour ne pas dépasser la surface que me vaut le droit
de réponse. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, mes salutations distinguées.

Pierre-Louis MALLEN
Membre Ct de l’Institut
Président du Cercle Pierre-de-Coubertin
de Défense de la langue française



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